Desclée de Brouwer, 2008, 450 p., 27 euros.

 
Après tant d’études historiques sur Charles de Foucauld, à commencer par ses propres ouvrages, Jean-François Six propose ici une approche d’un genre différent : un impressionnant portrait du « frère universel », plus précisément une analyse, sans concession au souci d’édification, de son évolution psychologique. Évolution captivante : comment cet homme a-t-il réussi à ne pas sombrer dans la mélancolie qui faisait le fond de sa personnalité ? Comment l’enfant cerné par la mort (démence et mort du père, mort de la mère, suivie de celle de la grand-mère), puis l’adulte instable, épris de radicalité louche et travaillé par une sourde inquiétude, est-il devenu un rayonnant témoin de l’humanité évangélique au milieu des populations du Hoggar ? Quelles capacités de « résilience » n’a-t-il pas dû mettre en œuvre pour que lui soient données, à la fin, la paix et la joie qui l’habitaient si manifestement, et dont témoigne son dernier portrait ?
L’auteur suit pas à pas l’adolescent, puis le jeune homme, dans la construction de son blindage contre le malheur, ou plutôt dans le façonnage de sa propre statue. Foucauld se rêva longtemps en héros stoïcien, capable d’échapper au sentiment de vide et au désespoir de vivre qui n’étaient jamais loin. Le goût de l’exploit, le désir d’être le premier expliquent aussi bien la vocation militaire que les provocations qui y mirent fin. Ils expliquent également l’extraordinaire aventure marocaine et le succès qu’elle lui valut dans les milieux scientifiques. Foucauld aurait pu être le grand ethnologue français du siècle : ses travaux sur les Touaregs l’attestent aujourd’hui, à titre posthume.
Après la conversion, c’est toujours la pulsion stoïcienne, la recherche de l’exploit et sa permanente insatisfaction qui expliquent la Trappe, d’abord en France puis en Syrie, enfin le statut de clochard-sacristain à Nazareth : toujours Foucauld veut être le dernier des derniers, c’est-à-dire le premier dans l’ordre de l’« abjection ». L’acceptation du sacerdoce, le désir d’une première forme, encore timide, de présence apostolique au milieu des peuples du désert, marqueront un début de vraie sortie de soi et d’ouverture à l’autre. Mais c’est au milieu des Touaregs, dans les dix dernières années de sa vie, que Foucauld va accéder à la plénitude de son humanité. Une humanité non plus conquise à la force du poignet, mais reçue de Dieu et des hommes. Sainteté d’un homme qui n’a plus besoin de (se) prouver quoi que ce soit et qui vit l’Évangile au ras de la simplicité du quotidien.
Le parcours est magnifique, d’un stoïcisme farouche et d’une ascèse sauvage à la détente d’une humanité « abandonnée » (le traité de L’Abandon à la Providence divine, alors attribué à Caussade, était sa lecture favorite). Il faut admirer l’abbé Huvelin d’avoir eu la patience (la foi !) d’accompagner Foucauld sur cet improbable chemin. Et Jean-François Six d’avoir su le reconstituer pour nous. Un Foucauld humain, très humain : on n’est jamais trop humain quand il s’agit d’être un saint.