Ce qui remonte de l’ombre
Itinéraire d’un soignant.
Préf. Soeur Nathanaëlle. Av. pr. Y. Roullière. Lessius, coll. « Au singulier », 2011, 136 p., 19,50 euros.
 
La mort de René-Claude Baud (1933-2010) a suscité une grande émotion. Ce jésuite, aide-soignant de nuit pendant vingt ans à Lyon, puis fondateur de l’association « Albatros » à Lyon, pionnière dans la formation des accompagnateurs en soins palliatifs, avait publié en 2006 ce livre qui fut vite épuisé. Les éditions Lessius ont eu l’heureuse idée de le rééditer, enrichi d’une nouvelle préface et d’un nouvel avant-propos. Ce livre dense et riche réclame une lecture attentive et, sans doute aussi, une sorte de dépossession de soi-même, un peu semblable à celle de l’auteur. Ce dépouillement est en effet nécessaire pour accueillir les malades avec leurs peurs, leurs espoirs, leurs repliements sur eux-mêmes et puis, soudain, une ouverture inattendue où passe une longue confidence dont on ne sort pas indemne mais qui est libérante pour eux. Le « faire » ici (l’auteur le montre en acte) est bien davantage de l’ordre de l’être : être là, en silence ou avec quelques mots murmurés, comme une caresse qui signifie au patient qu’il est encore et toujours digne d’être aimé. Dans les soins palliatifs, « quand il n’y a plus rien à faire, il y a encore tout à faire » avec le malade en fin de vie, avec sa famille, ses proches, ses amis désemparés, révoltés, assommés ou dans le déni. Les mots « aimer », « aider », « accompagner », « être avec » doivent être alors purifiés pour mieux s’ajuster à l’attente, à la peur, au silence du malade, à sa souffrance de maintenant, peut-être liée à des blessures anciennes – pour ne pas croire trop vite qu’on a compris, car on n’est jamais à la place de l’autre. René-Claude Baud met aussi l’accent sur ces « lieux de paroles » où les membres de l’équipe apprennent à se connaître pour échanger avec respect et en toute confidentialité sur la personne malade. Car c’est ensemble qu’il faut apprendre à reconnaître le mystère de l’autre qui se livre parfois plus intensément à l’un ou à l’autre des « accompagnants », et donc accueillir le mystère de la vie, de la souffrance, de la mort, du sens, de l’après, en sachant qu’on n’est jamais qu’au seuil de ce mystère. Ainsi ne faut-il pas avoir peur de ses échecs, de ses pauvretés, insuffisances, impuissances, en nous laissant atteindre par la question de notre propre mort. Dans ce combat spirituel d’âme à âme, de coeur à coeur, on devient plus proche des autres, de « ceux de la nuit » selon l’horloge et de « ceux de la nuit » de la maladie, à l’espoir fragile. Comme le dit R.-C. Baud, le souffrant devient notre maître. On ne trouvera pas dans ce livre des « recettes » pour bien accompagner, mais un cheminement humain et spirituel souvent exigeant pour essayer d’être, en vérité, du côté de ces pauvres de la nuit des hôpitaux et pour oser rencontrer sa propre pauvreté. L’auteur a choisi de « quitter les terres chaudes de sa tribu pour devenir “agent de service hospitalier dans un immense hôpital public” ». Il se trouva alors « comme l’inconnu qui avait à trouver sa place ». Avec l’aide des autres soignants, il est vite devenu un « familier » pour aussi bien recueillir et partager « ce qui remonte de l’ombre ».