« Mes mains consigneront ce que mes pieds auront franchi, ce que mes pieds eux-mêmes auront écrit les premiers sur le rude vélin de la montagne à vaches. » Quand François Cassingena-Trévedy s'apprête à traverser ces monts d'Auvergne qui lui sont familiers, c'est tout autant un périple qu'un pèlerinage. Comment le moine cénobite ayant fait vœu de stabilité devient-il gyrovague ? C'est que l'auteur ne tient pas en place. Si son port d'attache est incontestablement la millénaire abbaye de Ligugé, il se fait marin-pêcheur ou paysan de temps à autre : « Ç'aura été en tout cas l'un des privilèges insignes de ma vie d'homme que d'avoir pu partager encore, tour à tour, fût-ce de façon bien modeste, les deux plus grands métiers qui prennent le monde à pleines mains. »
Moine des grands espaces, Cassingena-Trévedy inscrit sa vocation dans l'élément premier, la terre, la mer, la lumière du soleil et l'humidité du crachin. De temps à autre, il déploie donc son cloître au rythme des marées, ou encore à flanc de montagne, ce qu'il narre dans ce dernier livre, tout à la fois récit de voyage, méditation d'automne, livre d'heures.
« Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie », confiait Blaise Pascal. Loin d'être apeuré ou dépaysé, Cassingena-Trévedy traverse cet horizon qui fut celui de son enfance. Certes, la vie est rude dans les montagnes, mais les habitants portent en eux une flamme qui les porte. Allant d'une ferme à l'autre, le moine marcheur réside en son monastère intérieur : « Je n'ai d'autre bréviaire que l'Écriture indéfiniment remémorée, indéfiniment mémorable, parce que depuis longtemps avalée à longs traits. » Habité de musique, de la Parole et du souffle, le pèlerin poète n'est autre qu'un orant vagabond : « Le sacré […] s'étire, avec les caprices d'un ruisseau, avec la souplesse d'une couleuvre, tout au long du chemin. Il est dans chaque pas de l'homme qui marche, dans chaque motte de terre qu'il foule, dans chaque rencontre inopinée qu'il fait. »
Le terrain glissant, le temps brumeux, le sommeil fragile et réparateur : l'écrivain Cassingena-Trévedy raconte l'épopée ordinaire et dépouillée d'un chemineau de Dieu. « Il faut peu de chose, tout bien pesé, pour accomplir un vrai voyage ! » : spiritualité du dénuement et des chemins creux, cette équipée « en infinistère » s'élève comme un chant priant, le cantique d'un homme vivant.