Un maître de vie spirituelle, Jean-Sébastien Bach, lui qu'on écoute aujourd'hui plus fréquemment dans les salles de concert que durant les offices religieux dans les églises ? Il revient au pasteur Alain Joly, de l'Église évangélique luthérienne de France à Paris, de le montrer dans un essai enlevé qui n'est pas une biographie ni une étude musicologique sèche, mais davantage une approche « impressionniste » qui procède par courts chapitres. Autour de la figure du cantor de Leipzig, on croise aussi Fanny Mendelssohn, Ingmar Bergman, la chanteuse Barbara ou la pianiste Zhu Xiao-Mei, mais on entre surtout par de multiples portes dans une œuvre au goût d'infini, qui déploie à sa manière toute une prédication chrétienne. Car loin d'être un simple fonctionnaire d'Église, le musicien témoigne d'une vision théologique imprégnée de la Bible relue par Martin Luther : y domine en particulier une dimension christologique très forte, le sens de l'incarnation et de la rédemption par la Croix, la relation du croyant à son Dieu. Ses compositions qui s'adressent directement à l'auditeur de son temps, par le biais des chorals, cantates ou passions, l'invitent en permanence à l'expérience d'une foi personnelle et d'un salut centré sur le Christ.

Sans technicité excessive, Alain Joly évoque les procédés musicaux dont s'est servi Bach, la parodie ou la reprise de morceaux antérieurs, le figuralisme déjà souligné par Albert Schweitzer, les récitatifs qui n'ont rien de simples transitions, le contrepoint ou la fugue. Car, chez Bach, rien n'est anodin et la frontière entre le profane et le sacré n'a guère de sens à son époque : si les œuvres liturgiques sont explicitement religieuses, d'autres, en revanche, même instrumentales, recèlent probablement un sens spirituel implicite. Ainsi, par exemple, de l'Art de la fugue ou des six bouleversantes Sonates pour violon et clavecin, qui font penser aux Sonates bibliques de Johann Kuhnau, l'un de ses prédécesseurs à Leipzig, et se présentent presque comme des méditations pour l'auditeur.

Par son universalité, cette « hospitalité » déjà soulignée ailleurs par Christoph Theobald, la musique de Bach nous bouleverse toujours, insiste avec chaleur et conviction Alain Joly : « Bach rejoint l'âme qui questionne : où va le monde ? Où va ma vie ? Bach demande d'entrer en résonance avec le lieu où nous en sommes de notre vérité à nous-mêmes. Tantôt Bach dit Dieu en motifs luthériens, à ceux des auditeurs qui y sont disposés. Tantôt il oblige au seul respect de notre propre être intérieur, ouvert ou non à l'avènement du divin. Mais, toujours, il semble que Bach prie l'interrogation du sacré de nous solliciter. » (p. 151). Une belle invitation à l'écoute.