Rester à l'écart, détourner le regard, tenir à distance. Glisser à la surface, entendre sans être là… Se percevoir soudainement inattentif. C'est une expérience désagréable que de se découvrir distrait et négligent à un appel d'autrui, à une demande qui n'avait peut-être même pas été vraiment énoncée et que seule notre attention aurait fait venir à la lumière. Saisi au milieu d'occupations légitimes, on pourra trouver bien des justifications à son indifférence, mais cette rencontre manquée laisse un voile de tristesse, nimbé de culpabilité. Car tout le message évangélique promeut l'attention. C'est le Christ qui remarque la veuve déposant ses deux pièces de monnaie en offrande au Temple (Lc 21, 1-4), aperçoit Zachée, l'« homme de petite taille », au milieu de la foule (Lc 19, 1-6), ressent la présence sans même l'avoir vue de la femme hémorroïsse qui l'a discrètement touché (Mc 5, 24-34), remarque enfants, malades et tant de marginalisés et d'invisibilisés.

Face à cet idéal d'attention, célébré par une longue postérité d'auteurs spirituels, quelle lecture faire de nos inattentions contemporaines que l'on dit croissantes au point qu'un « trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité » (TDAH) est désormais catégorisé, abondamment diagnostiqué et semble nommer le mal de notre temps au moins autant que le burn-out ? Nous avons reçu en héritage une sagesse qui valorise dans le Bon Samaritain la figure de l'attention à autrui (Lc 10, 29-37). Dans notre culture philosophique, l'attention est aussi considérée comme un chemin vers la vérité. L'inattention annonce, quant à elle, la faute et l'erreur.

Comme le rappelait le philosophe Bernard Stiegler (1952-2020), l'attention « est inséparablement la capacité psychique de concentration au service des apprentissages […], d'une part, et, d'autre part, est solidairement la faculté sociale de prendre soin, la civilité : on ne peut pas séparer ces deux dimensions de l'attention1 ». Nous avons aussi appris que nous sommes responsables et comptables de nos