Coll. « Poètes d'aujourd'hui », 2004, 274 p., 21 €.
Voici un beau livre consacré à une belle oeuvre : il étudie pour la première fois dans son ensemble un itinéraire poétique dont la discrétion a pu voiler aux yeux du grand public l'authentique grandeur, celui d'Anne Perrier, née à Lausanne en 1922.
Jeanne-Marie Baude, professeur émérite à l'université de Metz, a su adopter à l'égard de l'oeuvre la même attitude que le poète à l'égard du monde dont elle parle : une écoute méditative. Son attention profonde lui permet de ne pas rester prisonnière du charme de cette voix mesurée qu'une lecture superficielle, trompée par la pudeur du poète, peut croire vouée à ne chanter que les beautés de la nature et des saisons dans un univers réduit aux dimensions d'un jardin. Elle décèle l'énergie qui habite la poésie d'Anne Perrier et qui la porte, dès les premiers recueils, sans jamais forcer le ton, aux limites de notre condition : entre l'éblouissement de la beauté et celui de la mort (« Dans une tombe si je l'ouvrais / Je trouverais / Le bleu du ciel »), les vers tendent un fil de funambule sur lequel le poète, comme Rimbaud, danse en posant chaque pas, chaque mot, avec une parfaite sûreté.
Le parcours, enfin envisagé ici du début au dernier recueil publié, n'apparaît plus uniquement comme une suite d'instants magiques mais comme une aventure spirituelle : l'oeuvre, toute chargée de la « richesse du monde, du poids sensible des créatures et des choses », est en même temps traversée d'un appel à la pauvreté qui l'achemine progressivement vers une rencontre avec l'Amour. C'est lui qui détache l'un après l'autre « nos doigts de la grappe » et finit par donner à « l'unique jardin » les couleurs du désert. Sur cette « voie nomade », il ouvre le poète au souci d'un « corps innombrable de frères » dont ne nous parviennent souvent, parmi nos distractions, que « bruits d'ossements ». Retracer ce chemin était une tâche d'autant plus délicate pour le critique que les poèmes sont dépourvus de repères anecdotiques ; seule une longue familiarité avec les motifs privilégiés du poète et leur évolution permet de révéler, à travers des élans parfois contraires, la constance de son voeu, le prix de sa joie.
Le livre de Jeanne-Marie Baude a une autre valeur : il explore les moyens proprement poétiques de la quête spirituelle ; de fines et précises analyses montrent, autant que faire se peut, à quoi tient la justesse de la voix qui naît « dans la gorge du merle », quel est le « je » qui parle au sommet de « l'arbre artériel », comment le rythme et la syntaxe soutiennent l'imprévisible développement d'un sens qui chante.
Anne Perrier a su admirablement « placer sa voix », comme on le dit pour une cantatrice, afin de faire entendre la « note unique » qui lui était dévolue dans le concert de la Création. Jeanne-Marie Baude mente, comme accompagnatrice, le même compliment pour son intelligente fidélité
Voici un beau livre consacré à une belle oeuvre : il étudie pour la première fois dans son ensemble un itinéraire poétique dont la discrétion a pu voiler aux yeux du grand public l'authentique grandeur, celui d'Anne Perrier, née à Lausanne en 1922.
Jeanne-Marie Baude, professeur émérite à l'université de Metz, a su adopter à l'égard de l'oeuvre la même attitude que le poète à l'égard du monde dont elle parle : une écoute méditative. Son attention profonde lui permet de ne pas rester prisonnière du charme de cette voix mesurée qu'une lecture superficielle, trompée par la pudeur du poète, peut croire vouée à ne chanter que les beautés de la nature et des saisons dans un univers réduit aux dimensions d'un jardin. Elle décèle l'énergie qui habite la poésie d'Anne Perrier et qui la porte, dès les premiers recueils, sans jamais forcer le ton, aux limites de notre condition : entre l'éblouissement de la beauté et celui de la mort (« Dans une tombe si je l'ouvrais / Je trouverais / Le bleu du ciel »), les vers tendent un fil de funambule sur lequel le poète, comme Rimbaud, danse en posant chaque pas, chaque mot, avec une parfaite sûreté.
Le parcours, enfin envisagé ici du début au dernier recueil publié, n'apparaît plus uniquement comme une suite d'instants magiques mais comme une aventure spirituelle : l'oeuvre, toute chargée de la « richesse du monde, du poids sensible des créatures et des choses », est en même temps traversée d'un appel à la pauvreté qui l'achemine progressivement vers une rencontre avec l'Amour. C'est lui qui détache l'un après l'autre « nos doigts de la grappe » et finit par donner à « l'unique jardin » les couleurs du désert. Sur cette « voie nomade », il ouvre le poète au souci d'un « corps innombrable de frères » dont ne nous parviennent souvent, parmi nos distractions, que « bruits d'ossements ». Retracer ce chemin était une tâche d'autant plus délicate pour le critique que les poèmes sont dépourvus de repères anecdotiques ; seule une longue familiarité avec les motifs privilégiés du poète et leur évolution permet de révéler, à travers des élans parfois contraires, la constance de son voeu, le prix de sa joie.
Le livre de Jeanne-Marie Baude a une autre valeur : il explore les moyens proprement poétiques de la quête spirituelle ; de fines et précises analyses montrent, autant que faire se peut, à quoi tient la justesse de la voix qui naît « dans la gorge du merle », quel est le « je » qui parle au sommet de « l'arbre artériel », comment le rythme et la syntaxe soutiennent l'imprévisible développement d'un sens qui chante.
Anne Perrier a su admirablement « placer sa voix », comme on le dit pour une cantatrice, afin de faire entendre la « note unique » qui lui était dévolue dans le concert de la Création. Jeanne-Marie Baude mente, comme accompagnatrice, le même compliment pour son intelligente fidélité