Que signifie adorer ? À quel besoin cette attitude répond-elle ? Qui adore-t-on ? Remontant à la petite enfance aussi bien qu’à l’aube des temps, elle est tellement liée à notre condition humaine que nous n’y prêtons plus attention. Pourtant, elle indique au plus profond de nous-mêmes ouverture et crainte devant ce qui nous dépasse infiniment, et qu’il faut nous concilier pour vivre en paix. Mais dans la Bible, et plus encore dans l’Évangile, l’adoration nécessite une conversion pour qu’il soit possible d’« adorer en esprit et en vérité ». C’est le chemin de Marie-Madeleine que Jésus aide à passer du besoin de « toucher » au désir de « voir ». La résurrection l’introduit dans l’« écoute » qui laisse Dieu absent s’exprimer en vérité à l’intime du coeur (S. Germain).

La première adoration est souvent celle de la nature : révérer l’amour de Dieu présent dans la création. Mais comment ne pas voir que sans cette présence de Dieu, cette adoration peut devenir alors fascination et sacralisation de la nature (C. Flipo) ? Elle peut aussi dévier de l’amour de Dieu qui la fonde, se perdre dans les choses, dans le matérialisme ou le consumérisme, ou encore se figer dans des riens, des passions idolâtres où je sacralise l’autre à la mesure de ce que je possède ou veux de lui (C.-H. Rocquet). Comment repérer ces dérives possibles ? Et comment refuser et dépasser les expressions fallacieuses et dangereuses de l’adoration ?

La tentation de l’idole se fait jour quand Dieu paraît trop lointain pour fonder assurance et confiance. L’épisode du veau d’or nous révèle le piège de l’idolâtrie : moins la représentation qui comble le regard que la prosternation devant le « faire », l’oeuvre de nos mains qui comble le temps. C’est pourquoi mettre en pratique la crainte et l’amour de Dieu dans les attitudes de la vie quotidienne demeure la seule voie du refus des idoles (B. Picq). La juste adoration est donc le lieu d’un combat médiatisé par la Parole, elle est adoration patiente, attente d’une survenue silencieuse et heureuse de Dieu comme pour Élie, ou marche à l’étoile comme pour les mages (F. Mies).

Dès lors, adorer en esprit et en vérité, c’est entrer dans l’éblouissement d’un amour. L’eucharistie en est le lieu privilégié, car c’est là où Dieu se fait le plus proche possible (Fr. Émile). Non sans nous souvenir que, depuis la Pâque de Jésus, toute chair est consacrée comme un ostensoir, et que l’ostensoir le plus transparent, c’est l’amour que nous avons les uns pour les autres (F. Cassingena-Trévedy). L’adoration se fait aussi apprentissage quand elle exerce chacun à trouver sa juste place devant Dieu, dans la Création et parmi les autres, au sein d’une société où les « idoles » sans lendemain le disputent trop avantageusement aux « modèles » libérateurs (G. Lescanne). Bien loin d’une attitude d’acquiescement à un ordre immuable des choses et du monde, l’adoration serait donc mouvement, mouvement d’amour : la gratitude pleine de respect pour Celui qui donne Sa vie nourrit chez celui qui adore une disponibilité, une « passivité paradoxale », dans la mesure où elle le fait accéder, à la suite du Verbe incarné et avec Lui, au coeur de la réalité et de sa vie (M.-J. Coutagne).

Marie-Madeleine demeure la figure même d’une adoration vraie.