Lourdes, Fatima, La Salette, Guadalupe, Pontmain... C'est un fait constaté par les professionnels du tourisme : les sanctuaires mariais attirent toujours des pèlerins. S'il y a un fléchissement en France pour les démarches en groupe, le nombre des familles et des individuels augmente. La voiture est préférée au transport en commun.
Pontmain, commune de neuf cents habitants, accueille un 17 janvier, dans l'inconfort de l'hiver, cinq mille personnes qui ne sont pas toutes sûres de pouvoir entrer dans la basilique ; le 15 août, elles sont dix mille, et, tous les jours, il y a du passage pour prier, se confesser... Trois cent cinquante mille visiteurs par an, déclarent les services du tourisme de la région Pays-de-Loire. Les pèlerinages, ça marche encore, spécialement ceux qui se dirigent vers des sanctuaires ayant pour origine une apparition de la Vierge Marie reconnue par le magistère de l'Eglise.
Des aumôneries de collèges et lycées organisent des marches de jeunes pour commencer ou condure une année pour préparer des confirmands. Le Mouvement Chrétien des Retraités (Vie Montante), les groupes du Renouveau charismatique provoquent des rassemblements, avec jusqu'à vingt mille participants. Le SIJEL (Service interdiocésain des jeunes équipes liturgiques) regroupe huit cents servants de messes en aube. C'est un défilé constant de vagues plus ou moins fortes de pèlerins de tout âge et de toute condition.

Pourquoi viennent-ils ?


• Les lieux visités par Marie sont marqués par sa présence.
Les pèlerins s'y sentent reconnus et écoutés. « Ce n'est pas comme ailleurs », disent-ils. Que de personnes viennent confier leur détresse à la Mère du Seigneur ! Soit que leur médedn leur ait dit : « Je ne puis plus rien pour vous ! », soit que leur comptable leur ait dédaré : « C'est bientôt la faillite ! », soit que l'épouse ait quitté la maison, soit que les enfants ne demandent pas le sacrement de mariage... Et ces mêmes personnes reviennent quelques mois, quelques années plus tard pour remerder : « Mon mari est guéri de l'alcool. » « Ma fille a trouvé du travail. » « Nous avons un bébé, alors que la médedne disait que c'était impossible. » La liste des intentions écrites est longue et variée ainsi que celle des reconnaissances. Les derges brûlent dans une chapelle des lumières ouverte jour et nuit. Ils sont le signe de ces demandes et de ces reconnaissances. Des milliers de pèlerins font id l'expérience de la présence de Notre Dame, selon ce que nous dit Vatican II : « Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils (...) qui se trouvent engagés dans les périls et les épreuves » (Lumen Gentium 62).

• Les fidèles aiment la Mère du Seigneur.
Sur la croix, Jésus a dit à Jean : « Voici ta mère !» Et le disdple la prit chez lui, dans son intimité. Jésus s'adresse à chacun de nous à travers l'Apôtre bien-aimé. Le Peuple de Dieu, en France, est héritier d'une tradition mariale millénaire et reconnaît encore aujourd'hui Marie pour sa mère II a besoin d'exprimer sa dévotion mariale d'une manière ou d'une autre. Le pèlerinage vers un sanctuaire mariai est une occasion préparée et attendue parfois pendant des années .

• La dimension mariale a manqué.
A la suite de mai 1968, une idéologie a marqué certaines paroisses et mouvements qui ont axé les efforts des fidèles sur une action missionnaire urgente, en abandonnant des aspects de la vie chrétienne jugés secondaires. Ce fut le cas de la dimension mariale. Des prédications mettaient plutôt l'accent sur l'aspect sodal, et parfois de manière ttès intellectuelle. Des fidèles en ont souffert, et donc apprédé de pouvoir se réfugier dans un sanctuaire pour chanter Marie, réciter un peu de chapelet avec d'autres et exprimer leur relation filiale envers Notre Dame.

• Un enracinement historique donne des repères. Le récit de l'événement fondateur est une activité ttès importante dans un sanctuaire mariai. Il plonge dans l'histoire et raconte comment la Mère de Dieu se manifeste pour soutenir les chrétiens à des moments diffidles : rue du Bac à Paris pendant la Révolution de 1830 ; à La Salette en 1846, en pleine industrialisation générant le prolétariat des villes ; à Lourdes en 1858, pour rappeler l'urgence de la prière pour la conversion des pécheurs qui se multipliaient dans la prospérité du ttoisième empire ; à Pontmain en 1871, au moment de l'invasion prussienne ; à Fatima en 1917, pendant la première guerre mondiale et la révolution communiste en Russie ; à Beauraing en 1932 et Banneux en 1933, alors qu'Hitler prend le pouvoir en Allemagne.
En notre temps où l'indifférence religieuse est croissante, les personnes qui veulent faire leur enquête sur la crédibilité de la foi chrétienne sont heureuses de trouver dans une histoire proche des signes de la communication entre le del et la terre. Les chapelains sont souvent témoins de conversions. La Lettre des évêques aux catholiques de France de 1997 parle des « recommençants » : les sanctuaires mariais sont des lieux de liberté favorables à la dédsion de reprendre une vie chrétienne avec les sacrements abandonnés pendant dix ou vingt ans.

• Là où est Marie le Saint-Esprit agit. Saint Louis-Marie Crignion de Montfort, dans son Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, écrit : « Quand le Saint-Esprit a trouvé Marie dans une âme, il y vole, il y entte pleinement, il se communique à cette âme abondamment, et autant qu'elle lui donne place ; et une des grandes raisons pourquoi le Saint-Esprit ne fait pas maintenant des merveilles édatantes dans les âmes, c'est qu'il n'y trouve pas une assez grande union avec Marie » (n° 36). Les sanctuaires mariais ne peuvent être que modestement équipés. Quoi qu'il en soit, les responsables sont émerveillés de leur fécondité spirituelle, sans commune mesure avec les moyens employés. Elle est humainement inexplicable. Elle témoigne de l'action du Saint-Esprit en présence de Marie.

• Une prière persévérante avec Marie.
Un prêtre découvrant Pontmain dédarait : « Id, c'est tous les jours dimanche ! » Pendant la saison des pèlerinages, de Pâques à la Toussaint, il y a toujours du monde qui prie dans la basilique. Cinq messes dominicales, deux en semaine Le dimat deprière s'amplifie lorsque les pèlerins sont plus nombreux à la faveur d'une fête mariale en semaine ou d'un mardi d'été. Ces jours-là, l'animation est plus soutenue, depuis les laudes chantées chaque matin jusqu'au chemin de lumière (procession aux flambeaux) vers le lieu de l'apparition.

• Un lieu de récondliation accessible. Alors que les églises des villes et des campagnes sont de plus en plus souvent fermées, les chrétiens cherchent la possibilité de rencontrer un confesseur. Les sanctuaires mariais leur procurent la joie du pardon. « N'est-ce pas dans le sein de Marie que s'est accomplie la récondliation entre Dieu et les hommes par le mystère de l'Incarnation ? » (saint Anselme). Marie demeure « mère de miséricorde », soudeuse de la conversion et du salut de tous ses enfants. Invoquée inlassablement afin qu'elle prie « pour nous, pauvres pécheurs », elle intercède « maintenant » pour les confesseurs et les pénitents. Un prêtre de 87 ans témoigne : « Vraiment, ce fut une grâce de pouvoir accueillir les pénitents toute une journée sans êtte fatigué... Il y a la Sainte Vierge. » Prêtres diocésains, missionnaires oblats se relaient chaque jour, hiver comme été. « J'ai plus appris en quelques années à Pontmain que pendant tout mon ministère... » Il se présente toujours quelqu'un : une famille entière (la mère au début, le père ensuite), une voiture de religieuses... qui font parfois plus de cent kilomètres pour ce sacrement. « Pontmain est une terre de liberté où il est plus facile de se laisser convertir, de changer de cap », lit-on dans le projet pastoral. On ne repart pas de Pontmain comme on y est venu. Les pèlerins font par Marie l'expérience de la dimension maternelle de Dieu, « Père des miséricordes ».

 

Dérives possibles


• Inflation verbale
Lorsque le coeur est séduit par un grand amour, il peut inspirer des paroles exagérées dans les discours, les chants, les prières. Cela s'est produit avec le « grand retour » de Notre Dame de Boulogne en 1944-1945. Un séminariste est devenu pasteur protestant à la suite des abus de langage divinisant Marie « qui sourit et pardonne ». Il y a des manifestations populaires en l'honneur de Notre Dame qui, aux yeux d'observateurs pointilleux, relèvent de la mariolâttie. Par réaction, certains prennent des mesures restrictives, jusqu'à supprimer des statues de la Sainte Vierge et omettre les chants en son honneur. Alors, spontanément, naissent d'autres réactions contraires et abusives avec des bergers sans mandat.

• Publicité commerciale.
Certains veulent soutenir des manifestations mariales non reconnues comme San Damiano, Medjugorge, Kerezinen... pour faire advenir leur reconnaissance. Ils font de la réclame pour une neuvaine de pèlerinages : les cars se remplissent, des personnes de bonne volonté font confiance et mettent en doute leurs curés qui les invitent à la prudence en citant Jésus : « Si quelqu'un vous dit : " Voici, le Christ est id ! " Ou bien : " Il est là ! ", n'en croyez rien... » (Mt 24,23-25). « Il y a des conversions », disent-ils. En fait, celles-ci n'authentifient pas le caractère divin du phénomène merveilleux, mais le sérieux de l'acte de foi provoqué à l'occasion d'une confession, d'une messe par un pèlerin ouvert à la grâce de Jésus sauveur.

• Critères
de discernement. Dom Bernard Billet, au cours du congrès de la Société française d'études mariales (SFEM) à Pontmain, en septembre 1971, disait : « Le discernement des vraies apparitions est difficile, par suite des ressemblances qui existent entre nombre d'apparitions reconnues et celles qui ne le sont pas... Un critère positif semble s'imposer : la transparence, par opposition aux contradictions, ambiguïtés, bizarreries, incohérences ; la transparence contraire à l'opacité, laquelle tend à faire de l'apparition un centre d'attraction et non un point de rayonnement. » Cette transparence doit exister au niveau des voyants, de l'apparition, des messages, de ceux qui se trouvent concernés, au niveau enfin de ceux qui ont la mission d'opérer le discernement. Il conclut : « Quand Marie apparaît, c'est pour faire bénéficier la terre de la lumière inaccessible où elle règne avec son Fils » 1.

Un accompagnement ecdésial


Si l'Eglise met en garde contre certaines pratiques déviantes, c'est pour soutenir une saine piété mariale En effet, dans la foi catholique, Marie a une place importante. Depuis le concile oecuménique d'Ephèse, elle est appelée « Mère de Dieu ». Elle est citée dans le symbole des Apôtres et celui de Nicée-Constantinople. Vatican II a voulu que le dernier chapitre de la Constitution dogmatique sur l'Eglise soit un résumé de tout l'enseignement mariai offidel. Il est intitulé : La bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le Mystère du Christ et de l'Eglise. Ce document a été complété, dix ans plus tard, par une exhortation apostolique de Paul VI sur Le culte mariai, le 2 février 1974. Ce texte guide de façon sûre « les exerdces de piété envers la Vierge Marie ». Il demande que ces pratiques soient christologiques, c'est-à-dire orientées vers Jésus, en sorte que la Mère ne soit pas séparée de son Fils ; il faut aussi qu'elles soient trinitaires et ecdésiales. Le pape indique quatre orientations pour la qualité du culte mariai : il doit être biblique, liturgique oecuménique, anthropologique.
En 1983, Jean-Paul II publiait le nouveau Code de droit canonique. On y trouve, dans le livre IV sur la « fonction de sanctification de l'Eglise », un chapitre absent du précédent code, intitulé « Les sanctuaires » (n° 1230-1234). Le 4 décembre 1997, les évêques de France faisaient éditer une Charte des sanctuaires. Edairant le code pour la situation française cette charte comporte trois points essentiels concernant le sens du sanctuaire ses fonctions, sa pastorale Au n° 9, il est écrit : « Pour éviter les confusions fréquentes des mots pris l'un pour l'autre il faut rappeler que le sanctuaire est le lieu vers lequel on vient en pèlerinage Le pèlerinage est la démarche qu'on fait pour aller vers ce lieu. » Cent dnquante sanctuaires de France se sont unis en Association des recteurs de sanctuaire (ARS), qui se rassemblent chaque année en congrès en janvier à Paris, en sousrégion en avril, en grande région apostolique en novembre. Les sanctuaires mariais partidpent à une autre instance, l'Assodation des oeuvres mariales (AOM), pour approfondir, avec les responsables des publications et des mouvements, leur spédfidté.
Le 7 octobre 1987, le cardinal Dadaglio, président du comité de l'Année mariale, a envoyé à tous les évêques du monde une note pour rappeler, en dnq points, ce que doivent être les sanctuaires mariais dans l'Eglise : 1. Des lieux de célébration liturgique ; 2. Des lieux de culture ; 3. Des lieux d'appel ; 4. Des lieux de charité ; 5. Des lieux d'engagement oecuménique... En 1988, il a invité les délégués de chaque pays à étudier les directives romaines sur les sanctuaires. En 1992, ce fut le premier congrès mondial de pastorale des sanctuaires et des pèlerinages à Rome, Domus Mariae. Jean-Paul II demanda « d'accueillir judideusement la piété populaire et de l'édairer respectueusement pour que les pauvres soient évangélisés ». Commentant l'épisode de Jésus au puits de Jacob, il compare les sanctuaires à des sources d'eau vive.
Pour Pontmain, Mgr Armand Maillard, évêque de Laval, a publié des statuts le 3 mars 1998. Ayant restructuré les paroisses de son diocèse, il a voulu prédser les relations de ce sanctuaire avec le diocèse de Laval, la paroisse, les diocèses voisins et les congrégations religieuses présentes sur le site.
A l'approche du troisième millénaire, le Conseil pontifical pour la pastorale des migrants a publié, le 25 avril 1998, un beau texte approuvé par le pape : Le pèlerinage dans le grand Jubilé de l'an 2000. Ce document détaille dix rencontres que peut faire le pèlerin, et il s'achève ainsi : « Le pèlerinage est ttès souvent la voie pour entter dans la tente de la rencontre avec Marie... Le chrétien se met en voyage avec Marie sur les routes de l'amour » 2. Avec le grand Jubilé, les sanctuaires mariais sont mis à l'ordre du jour. Chaque évêque doit désigner dans son diocèse les portes d'entrée Celui de Laval a choisi, en plus de la cathédrale les quatre basiliques qui sont toutes les quatre mariales. C'est plus ou moins le même cas pour les autres départements. Afin d'aider ces sanctuaires à donner de la qualité aux célébrations du Jubilé, l'Assodation des oeuvres mariales a déddé d'organiser à Paris un colloque ouvert au grand public sur « la dimension mariale de l'an 2000 », les 2 et 3 décembre 1999. Elle désire à cette occasion publier des documents. Chaque sanctuaire est entré depuis trois ans dans cette préparation avec l'année du Fils, du Saint-Esprit et du Père. Les bulletins, les conférences, les homélies se sont renouvelées grâce à ces thèmes proposés par Jean-Paul II. Les équipes animatrices ont déjà organisé leur calendrier et leur thème Celle de Pontmain veut redire à chaque pèlerin : « Voilà une année de grâce ! Avec Marie ouvre-toi à la tendresse de Dieu Amour. » Elle renouvelle ses activités : retraites spirituelles, journées de réflexion chrétienne, colloque oecuménique... Elle n'en rajoute pas, mais elle sait qu'il faut s'attendre à recevoir davantage de pèlerins.
Les sanctuaires mariais sont d'actualité. Ils sont dépositaires d'une lumière divine. Ils ont mission de la mettre en valeur « sur le lampadaire », nous dit Jésus (Mt 5,15). Qu'ils se rappellent qu'ils ne sont pas le centte du monde. Le but du pèlerinage de toute vie chrétienne est le Père. Les sanctuaires de Marie sont des étapes qui édairent la route, chacun à sa manière, selon son charisme : Lourdes parle de l'Immaculée Conception et de l'Annondation, Sainte-Marie-Majeure à Rome rappelle la crèche de Bethléem, Pontmain évoque le mystère pascal... Les pèlerins du Canada, de Tahiti ou de La Réunion ne se contentent pas de venir à Pontmain ou à Lourdes : ils suivent tout un itinéraire mariai, comme les compagnons de saint François font leur route avec Marie. « Le but ultime du culte rendu à la Vierge Marie est de glorifier Dieu et d'engager les chrétiens dans une vie totalement conforme à sa volonté (...) Dieu a aimé la Vierge Marie et a fait pour elle de grandes choses (Le 1,49) ; il l'a aimée pour lui, il l'a aimée pour nous ; il se l'est donnée à lui-même, il nous l'a donnée » (Le culte mariai, 39 et 56).



1. Vraies et fausses apparitions dans l'Eglise, Lethielleux, 1973, p 46.
2. Documentation catholique du 5 juillet 1998