Témoignage de confinéÀ la rencontre du Christ confiné à La DéfenseHugues Morel d'ArleuxMercredi 18 mars 2020 à 17 heures, au pied de la Grande Arche, je demeurais sidéré en contemplant le parvis de La Défense, le plus grand quartier d'affaires d'Europe, vide à l'heure habituelle de la sortie des bureaux. Pour être plus précis, il y avait bien un petit reste d'humains : des policiers, 1 % des 180 000 actifs dont la présence demeurait indispensable et les personnes sans domicile fixe vivant de mendicité. Ces dernières étaient chacune à sa place habituelle n'ayant d'autre lieu de confinement que la portion de dalle qu'elles occupaient jusque-là. Ce que j'ignorais alors, c'est qu'avec la fermeture des restaurants et des centres commerciaux, les mesures sanitaires interdisaient aussi l'accès aux toilettes publiques. Sans personne pour leur donner quoi que ce soit, les personnes sans domicile n'avaient plus la possibilité de s'hydrater car il n'y avait simplement plus d'accès à l'eau à La Défense.Sur les paroisses, nous étions en train d'organiser la retransmission des messes en numérique, à réfléchir au sens de la communion dite spirituelle telle que peuvent la vivre les malades ou les autres personnes empêchées physiquement. Nous voulions que l'impossibilité de recevoir le corps du Christ à la table eucharistique ne nous prive pas aussi des autres modes de présence du Ressuscité : le corps du Christ ecclésial, le Verbe de Dieu reçu à « la table de la parole de Dieu » (Sacrosanctum Concilium 51) et « les plus petits de [ses] frères » (Mt 25,40). Sans possibilité de participer tout entier à la messe, nous pouvions toujours rencontrer le Seigneur.La présence réelle du Christ sous la forme du pain nous a légitimement manqué. La présence réelle du Christ sous les traits difformes de la personne blessée a demeuré, car « des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14,7). Alors que l'Église était attendue pendant les confinements là où son expertise est reconnue, la solidarité, elle a pu donner l'impression de défendre, comme un privilège de corporation, de pouvoir célébrer quand tout le monde était confiné. Cette revendication cultuelle médiatique ne fut pas au détriment de la solidarité. Mais le bien ne fait pas de bruit.À La Défense, nous sommes témoins de la solidarité. En 2018, en partenariat avec Paris La Défense (l'établissement public local) et la fondation Sainte-Geneviève (proche du diocèse de Nanterre), s'était constitué le Réseau Solidarité La Défense. Des associations structurées de lutte contre le gaspillage alimentaire et d'aide aux personnes de la rue (plus d'une centaine de personnes adultes, jeunes et mineurs vivent en permanence dans les sous-sols, dont des familles) ont décidé de collaborer en synergie. Ce réseau fut en première ligne pendant le confinement.À la fin du mois de mars 2020, l'équipe d'entraide des jeunes de la paroisse de Puteaux a reçu plus de mille masques FFP2 périmés, retrouvés dans l'entrepôt d'un déménageur. Ces masques ont été offerts à un hôpital et au réseau. Ce don a facilité la reprise des maraudes à La Défense. En parallèle, les restaurants cherchaient à écouler leurs stocks de nourriture et des grandes surfaces ont proposé de l'eau. Ainsi, grâce au moyen d'une application numérique, des permanences de professionnels furent assurées et cinquante repas quotidiens distribués. Des points d'eau ont pu aussi être aménagés.Malheureusement, tous ceux qui auraient eu besoin d'aide n'ont pas pu être rejoints. Au déconfinement, nous avons découvert que l'homme qui se tenait quotidiennement devant la maison d'Église Notre-Dame-de-Pentecôte avait une telle infection au pied qu'il a fallu l'amputer. Tout en étant témoins de la solidarité, nous pouvons, hélas, passer à côté.Pendant ces temps de confinement, le pain eucharistique nous a manqué. Mais nous n'avons pas été privés du Christ qui est avec nous « tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20). À La Défense, nous avons été témoins que beaucoup, sans même le connaître, sont allés jusqu'à lui.