Nous voudrions donner la parole aux pauvres afin d’écouter ce qu’ils ont à dire sur notre monde.
Mais d’abord, qui sont-ils et d’où vient leur pauvreté ? Il s’agit de personnes fragilisées par l’éclatement actuel des familles. Un grand nombre se retrouvent seules à élever des enfants avec un revenu insuffisant, qui leur interdit parfois l’accès à un logement autonome. On les retrouve alors dans des foyers, des hôtels loués par leur municipalité, des squats, des terrains de camping ou des voitures (Jean Tonglet). De surcroît, la société de consommation impacte fortement ces familles. Or celles-ci ont le désir d’être comme les autres, faute de quoi la stigmatisation à leur égard augmente. C’est particulièrement vrai pour les enfants à l’école, et cela bloque certains (Véronique Davienne).
Phénomène très perceptible quand certains deviennent stagiaires et se retrouvent en proie à des addictions, notamment à la drogue. Phénomène encore plus radical quand ils sont exclus, demandeurs d’asile, sans-papiers, vivant dans la peur d’un contrôle de police (Philippe Darras et Patrick Thiollier). La présence des pauvres appelle donc à des retournements. Tout simplement, d’emblée, pour tourner la tête du côté où l’on n’a pas envie de voir. Ensuite, pour reconnaître des visages, ceux des frères et des soeurs qui nous manquent. Enfin, pour découvrir que rien de décisif pour une existence véritablement humaine ne peut se jouer dans l’ignorance et l’oubli de ceux qui d’habitude ne comptent pas (Étienne Grieu). Même s’il ne faut pas se cacher que les pauvres qui nous environnent nous renvoient à nos peurs primitives. Il nous est difficile de l’admettre, car prendre conscience de nos peurs, c’est devoir assumer que nous sommes constitutivement démunis. Se connaître avec ses pauvretés implique d’avoir à décider comment vivre avec elles (Nicolle Carré). Or la dépendance à l’alcool, par exemple, tend à nous les voiler à nous-mêmes. Vouloir en sortir, c’est combattre la déchéance, la tentation de se laisser engloutir. Combat où l’on découvre, par contre-coup, ce que tant de personnes vivant pauvrement expérimentent depuis toujours (Remi de Maindreville).
Le peuple de la Bible l’a aussi vécu à sa manière, lui dont l’expérience la plus fondamentale reste celle de l’Exode. C’est donc un groupe d’esclaves qui deviendra le coeur du peuple de Dieu. Leur histoire est désormais racontée sous la forme d’une épopée, première révélation du Dieu de Moïse, le Dieu de la Libération et du service, un Dieu qui ne supporte pas que ses enfants soient soumis à la misère et à l’oppression (Emmanuel Lafont). Car la pauvreté est bien une malédiction, mais c’est au plus près d’elle que se laisse saisir la bénédiction liée à la vie. Le non-lieu, le lieu inhabitable de la pauvreté, n’est pas le lieu de la vie, mais il en est tout proche, tandis qu’il se situe à des années-lumière des lieux édifiés autour de la richesse (Philippe Demeestère). De là vient que le souci et l’écoute des pauvres soient au coeur de la foi chrétienne. À leur contact, les chrétiens font l’expérience mystérieuse du Dieu qui s’est fait lui-même pauvre et apprennent la disponibilité qui ouvre à l’accueil du don de Dieu. Par sa diaconie au service des frères démunis, l’Église manifeste l’amour dont elle a été comblée en Christ (Alain Thomasset). L’histoire de l’Église fourmille de personnages, canonisés ou non, dont l’action démontre une synthèse concrète de l’économique et du social au service du développement humain. Durant un siècle, ce sont les « catholiques sociaux » qui ont été à l’origine des grandes réformes sociales au coeur de la vie économique. À nous aujourd’hui de faire en sorte, dans les entreprises, que ces réformes correspondent à une réalité humaine (Thierry Aumonier).