Dans un beau roman récemment paru1, l'auteur évoque avec un brin d'amertume un père qui savait parler, peu écouter et encore moins regarder. L'éducateur aurait probablement mieux fait de beaucoup regarder, bien écouter et très peu parler… Il en est de même de toute relation d'accompagnement : l'écoute y est certes essentielle, mais elle doit reposer sur une certaine qualité du regard. La sagesse de nos mots prend corps dans notre capacité à voir.

Dans le récit de l'appel des premiers disciples en Jean 1,29-51 (que le Lectionnaire nous donne à lire en ce début de janvier), l'évangéliste nous fait découvrir Jésus. Dans ce passage, c'est bien le Verbe incarné qui entre en scène mais, ici, la parole cède insensiblement le pas à la vue. C'est dans un ballet de regards où il est question de voir et d'être vu que se nouent les relations. Regard de Jean le Baptiste qui témoigne : « Moi, j'ai vu. » Regard des disciples et de Nathanaël qui sont encouragés : « Venez et voyez. » Et regard de Jésus lui-même qui pose ses yeux sur ces hommes. Pas besoin de longs échanges pour percevoir en chacun l'élan qui le meut, il suffit à Jésus de sonder les profondeurs de leur âme afin d'y déceler le désir. Par le simple poids de son regard, ce dernier voit ce qu'il y a à voir et peut apporter une réponse adéquate aux demandes maladroites ou aux résistances légitimes. Nathanaël ne s'y trompe pas qui fonde sa foi en Jésus sur cette qualité. À nous aussi, il n'est demandé rien d'autre que de faire bon usage d'une parole mesurée, d'une écoute généreuse et d'un regard circonspect.

1 Paolo Cognetti, Les huit montagnes, Stock, 2017.