En marge du numéro sur L'homme et l'animalité, une frontière à discerner, nous proposons la lecture de ce texte de saint Athanase d'Alexandrie. La profondeur et l'authenticité de la paix est bien ce qui distingue radicalement l'homme de la bête, une humanité réconciliée par le Christ avec Dieu des passions jalouses et des superstitions haineuses de l'animalité livrée à elle-même. Le Verbe fait chair purifie le cœur de ses idoles et éveille la conscience du sujet à un travail de la raison qui le rend libre des errances et des soubresauts d'une vie sensible séparée de Dieu, c'est-à-dire aliénée par l'appétit de l'imaginaire, un imaginaire à la fois social et individuel.


« Quel homme [sinon le Christ] a pu parcourir de telles distances, et aller chez les Scythes, les Ethiopiens, les Perses, les Arméniens, les Goths, chez ceux qui habitent, dit-on, au-delà de l'Hyrcanie, chez les Egyptiens et les Chaldéens, peuples qui pratiquent la magie, superstitieux outre mesure, aux mœurs sauvages, pour leur prêcher la vertu, la continence et l'abandon du culte des idoles, - comme l'a fait le Seigneur de tous, la puissance de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui non seulement leur a prêché par ses disciples, mais les a persuadés dans leur âme d'abandonner la sauvagerie de leurs mœurs, de ne plus honorer les dieux de leurs pères, mais de le reconnaître, lui, et par lui, d'adorer son Père ? Autrefois, quand ils étaient idolâtres, les Grecs et les Barbares se faisaient réciproquement la guerre, et étaient pleins de cruauté à l'égard de leur prochain ; il était impossible de traverser la terre ou la mer sans armer sa main d'un glaive, à cause de ses luttes irréconciliables qu'il y avait entre eux ; ils passaient toute leur vie sous les armes, l'épée leur servant de bâton, elle était leur soutien et leur seul recours. Et pourtant, comme je l'ai dit, ils servaient les idoles, ils offraient des sacrifices aux démons, et cependant, cette idolâtrie superstitieuse ne servait en rien à réformer leurs habitudes. Mais quand ils furent passés à la doctrine du Christ, alors, chose merveilleuse, véritablement percés au fond du cœur, ils abandonnent la cruauté des meurtres, et ne pensent plus à la guerre. Tout chez eux est pacifique, et ils n'ont pas d'autre désir que l'amitié.

(52) Quel est donc celui qui a fait cela, qui a rapproché dans la paix les peuples qui se haïssaient, sinon le fils bien-aimé du Père, le sauveur commun de tous, Jésus-Christ, qui dans son amour a tout supporté pour notre salut? Et depuis longtemps l'Ecriture avait prophétisé qu'il procurerait la paix, quand elle disait: «Ils forgeront leurs épées pour en faire des charrues, et leurs lances pour en faire des faux, le peuple ne prendra plus l'épée contre le peuple, et ils n'apprendront plus la guerre. » (Isaïe 2, 4). Et ce n'est point incroyable, puisque maintenant encore les barbares, qui ont de naissance des mœurs sauvages, et qui sacrifient encore à leurs idoles, sont enragés les uns contre les autres, et ne supportent pas de rester une heure sans armes. Mais quand ils entendent l'enseignement du Christ, aussitôt ils quittent la guerre pour se tourner vers l'agriculture, au lieu d'armer leurs mains du glaive, ils les étendent pour la prière. Bref, au lieu de se faire la guerre entre eux, ils s'arment contre le diable et les démons, et triomphent d'eux par la tempérance et la vertu de l'âme.»

 

Saint Athanase d'Alexandrie (298-373) in Traité sur l'Incarnation du Verbe et sur sa manifestation corporelle parmi nous, Sources chrétiennes, n°18, 1947, pp.308-310