Source cachée, Prés. D.-M. Golay. Trad. C. et J. Rastouin. Cerf/Ad Solem, 1998, 344 p., 190 F.
Le secret de la croix, Préf. P. d'Ornellas. Prés, et trad. V. Aucante et S. Binggeli. Parole et silence/CERP, coll. > Cahiers de l'Ecole cathédrale », 1998, 130 p., 79 F.
Edith Stein et le mystère d'Israël, Préf. J. Dujardin. Ad Solem, 1998, 167 p., 120 F.

Le 11 octobre dernier, le pape Jean-Paul II canonisait à Rome Edith Stein dans une atmosphère de grande joie : les saints ne sont-ils pas la manifestation de l'avenir eschatologique auquel tout homme est appelé ? Mais cette joie était empreinte de gravité : la foule qui emplissait la place Saint-Pierre venait, pour la plus grande part, d'Allemagne et de Pologne, et de nombreux membres de la famille juive d'Edith étaient également présents. Pour tous, cette canonisation venait toucher, avec l'onction de l'Esprit qui est à l'origine de toute sainteté, les blessures les plus douloureuses de notre histoire, celle de la Shoah et celle des relations judéo-chrétiennes pendant des siècles. Aussi l'événement ne pouvait-il ni ne devait-il passer inaperçu. Il faut se réjouir qu'il suscite un regain d'intérêt, en France, pour la figure spirituelle et la stature intellectuelle de cette nouvelle sainte : soeur Thérèse- Bénédicte de la Croix, Edith Stein. Un certain nombre des oeuvres d'Edith Stein sont déjà accessibles en français : elles ont paru, depuis 1955, en ordre dispersé ; plusieurs sont toutefois épuisées. Le Cerf, en partenariat avec Ad Solem, a désormais entrepris la traduction et la publication méthodiques des OEuvres complètes (Edith Steins Werke, Herder, 17 volumes). Le premier volume publié sous le titre Source cachée reprend le contenu du tome XI des Werke. C'est un choix excellent que de commencer par ces essais hagiographiques consacrés à plusieurs figures spirituelles féminines — dont une carmélite française, Marie-Aimée de Jésus — et par la reprise du beau texte sur « la prière de l'Eglise », auxquels sont joints divers autres textes spirituels. Ces écrits permettent d'accéder d'emblée au « saint des saints », à ce sanctuaire intérieur de l'âme dont Edith Stein parlait rarement directement, mais qui irrigue vraiment comme une source cachée sa vie et son oeuvre.
L'édition française des Werke doit se poursuivre avec La vie d'une famille juive, texte écrit par Edith en 1933 à partir de ses propres souvenirs de jeunesse et dont l'intérêt dépasse certainement, à en juger par les dtations recueillies dans les diverses biographies, sa seule vie individuelle : c'est une fenêtre ouverte sur la vie d'une famille juive de tradition libérale dans l'Europe de l'est, au début de notre siècle, et on sait de quels trésors culturels et religieux le judaïsme vécu dans ces régions a enrichi le patrimoine européen. On y trouvera également l'évocation du cercle des phénoménologues de Gôttingen, puisque le récit va jusqu'en 1916 et intègre ses années d'étudiante et de jeune assistante de Husserl. Signalons aussi la publication imminente de son essai sur Thérèse d'Avila, abordant cette grande figure sous l'angle de sa mission d'éducatrice.
En octobre 98 paraissait également Le secret de la croix. On peut y lire, grâce au flair de Sophie Binggeli qui l'a retrouvé dans les Archives Edith Stein à Cologne, un recueil de notes spirituelles qui renvoient aux années 1934-1938 et qui vont de simples citations ou rapides notations à des prières, méditations et poèmes. A cet inédit s'en ajoutent quelques autres, ainsi qu'un texte autobiographique, très émouvant dans sa simplicité : « Comment je suis venue au carmel de Cologne. » Chacun de ces textes représente une trace de cette vie d'intimité avec Dieu dont Edith Stein préservait humblement le secret, en même temps qu'ils témoignent de la vigueur théologique de sa pensée.
Il faut faire une place à part au petit ouvrage de Cécile Rastoin, carmélite de Montmartre, écrit avec ferveur, hardiesse et délicatesse. Edith Stein et le mystère d'Israël permet en effet de regarder en face et de lever, au moins pour le lecteur chrétien, quelques-uns des malentendus suscités par la canonisation et qui retentissent dans les relations judéo-chrétiennes d'une manière parfois douloureuse. Ce livre amorce, dans le droit fil de la méditation paulinienne sur l'olivier franc et sa greffe, comme des récentes déclarations romaines et initiatives de Jean-Paul II, une approche théologique du mystère de la relation entre l'Eglise et Israël, tel qu'il se réfracte et s'édaire à ttavers la vie et la mort d'Edith Stein.