Parole et Silence, 2004, 310 p, 25 €.

Le prix des Ecrivains croyants a récompensé cet ouvrage, où l'auteur, enseignante de la foi juive dans le cadre du judaïsme libéral, rassemble les textes qui jalonnent son long dialogue avec les chrétiens.
Beaucoup de ces textes sont nés de ces rencontres, d'autres sont des conférences ou des articles destinés à un public juif, ce qui inscrit dans la texture même du livre les deux partenaires du dialogue.
Dialogue exigeant, à la mesure de l'exigence intérieure d'où il procède : un appel spirituel personnel, entendu très jeune, aux lendemains de la Shoa, et résolument tourné vers l'avenir. Parce qu'il est né de la prière, et se nourrit de la prière, ce dialogue peut s'instaurer d'emblée au plan le plus profond, celui d'une rencontre entre hommes de foi, et selon la foi.
Colette Kessler sait que pareil dialogue n'est possible qu'au prix d'une mutuelle conversion. En ce qui concerne les chrétiens, elle en perçoit les signes dans le Concile Vatican II et dans ses suites, ainsi que dans le document émanant des Eglises de la Réforme, Eglise et Israël, paru en 2002. Face à cette teshouva chrétienne, elle presse courageusement ses interlocuteurs juifs de s'y engager à leur tour, si lourds que soient leurs griefs historiques. Car « le juif aussi a besoin du chrétien », et il s'agit, pour nous tous, de « devenir nous-mêmes par l'écoute de l'autre ».
Colette Kessler s'est nourrie de la pensée de Franz Rosenzweig, de Martin Buber, d'Edmond Fleg et de bien d'autres penseurs du judaïsme libéral : un des intérêts de l'ouvrage est de nous y donner accès. Mais elle s'est surtout nourrie de l'Ecriture et de la tradition midrashique, et c'est à la lumière et au nom de cette riche tradition qu'elle ouvre le Nouveau Testament et en commente lumineusement certaines pages Avec discrétion et respect, elle ne craint pas d'aborder le point le plus décisif du dialogue ce « lien-rupture » entre nous qu'est Jésus de Nazareth, pierre d'angle et pierre d'achoppement de toute rencontre judéo-chrétienne Sans syncrétisme ni dogmatisme, elle marque la différence, tout en sachant que, dans l'économie de la Révélation, les différences peuvent devenir des lieux de grâce.
Dans un beau texte écrit au moment de l'affaire du carmel d'Auschwitz, l'auteur exhorte ses amis chrétiens a « aller au-delà de l'humainement possible ». Peut-être est-ce le lieu du divinement possible, un possible qui, pour notre foi chrétienne, passe par la Croix.
Dès lors, l'« éclair de la rencontre » (ce moment fragile et inoubliable ou les deux partenaires de l'unique alliance se reconnaissent, dans leurs identités irréductibles, témoins solidaires du Dieu Vivant) ne jaillit pas de la nuit pour y retourner. II jaillit d'une longue et patiente fidélité dans l'écoute, et il annonce, en filigrane de ces pages, le plein jour à venir de la définitive Rencontre.