Magnificat anima mea Dominum » (Le 1,47). Dieu vous a parlé, ma révérende Mère, comme il parlait à nos pères lorsqu'il n'y avait pas de méthode : la fidélité à l'ordre de Dieu faisait toute leur spiritualité. La plus simple et la plus abandonnée des âmes (la très sainte Vierge) appliquait toute la théologie mystique de ses ancêtres quand elle répondait à l'ange : « Fiat mihi secundum verbum tuum » (Le 1,38). Il est vrai que les apparences de ce moment sont fort éclatantes ; mais la divine Marie se soumet aussi bien à l'action de la grâce lorsqu'elle se voile sous des ombres plus communes, et, sans doute, elle glorifiait Dieu et reconnaissait la grandeur des opérations du Tout-Puissant dans les choses les plus ordinaires. Son esprit, ravi de joie, regardait ce qu'elle avait à faire et à souffrir à chaque moment comme un présent de cette main qui remplit de bien un coeur qui ne se nourrit point de l'espèce et de l'apparence créées. La vertu du Très-Haut la couvrait incessamment de son ombre et cette ombre n'était que ce que chaque instant présentait de devoirs, d'attraits et de croix. Ces ombres, en s'écoulant sur les facultés de la sainte Vierge, remplissaient sa foi de celui qui est toujours le même. Retirez-vous, archange vous êtes une ombre, votre moment vole et vous emporte Marie vous passe et outrepasse ; mais l'Esprit Saint, qui la pénètre sous le sensible de votre mission, ne l'abandonne jamais.
Il y a peu d'extraordinaire dans la sainte Vierge ; sa vie est très simple et très commune à l'extérieur. Elle fait et souffre ce que font et souffrent les personnes de son état : elle va visiter sa cousine, les autres parents y vont comme elle ; elle se retire dans une étable, c'est une suite de sa pauvreté ; elle retourne à Nazareth, Jésus et Joseph y vivent de leur travail avec elle. Voilà le pain quotidien de la sainte Famille. Mais de quel pain se nourrit la foi de Marie et de Joseph ? Quel est le sacrement de leurs sacrés moments ? Ce qu'il y a de visible est semblable à ce qui arrive au reste des hommes ; mais l'invisible que la foi y découvre n'est rien moins qu'un Dieu opérant de très grandes choses. O Pain des anges, manne céleste, perle évangélique, sacrement du moment présent, tu donnes Dieu sous des apparences aussi viles que l'étable, la crèche, le foin, la paille ! Mais à qui le donnes-tu ? « Esurientes repies bonis... » Dieu se révèle aux petits dans les plus petites choses, et les grands, ne s'attachant qu'à l'écorce, ne le découvrent pas même dans les grandes.
Mais quel est le secret de trouver ce trésor, cette drachme ? Il n'y en a point. Ce trésor est partout ; il s'offre à nous en tout temps, en tout lieu comme Dieu : toutes créatures, amies et ennemies, le versent à pleines mains et le font couler par toutes les facultés de nos corps et de nos âmes jusqu'au centre de notre coeur. Ouvrons notre bouche et elle sera remplie L'action de Dieu inonde l'univers, elle pénètre toutes les créatures, elle surnage au-dessus d'elles, partout où elles sont elle y est, elle les devance, elle les accompagne, elle les suit ; il n'y a qu'à se laisser emporter au cours de ses ondes. Plût à Dieu que les rois et leurs ministres, les princes de l'Eglise et du monde, les prêtres, les soldats, les bourgeois, les laboureurs, en un mot tous les hommes, connussent combien il serait facile d'arriver à une éminente sainteté par les simples devoirs du christianisme, par ceux de leur état et par les croix qui y sont attachées, enfin par tout ce que la Providence les engage à faire et à souffrir incessamment sans qu'ils le cherchent !