Martin Steffens fait partie désormais du paysage catholique. Chroniqueur à La Croix et à La Vie, il a le don de tirer d'un petit fait de vie une leçon de philosophie, à la fois printanière et magistrale. Mais, de livre en livre, il creuse son sillon dans le champ dangereux de l'alliance de l'amour avec la souffrance et la mort. Dans L'éternité reçue, il réalise un tour de force philosophique en dégageant les fondations existentielles cachées derrière les mots de l'Église inaudibles à la raison : Résurrection, Jugement dernier, Paradis, et même « les pleurs et les grincements de dents » dont parle Jésus ! Pour ce faire, il commence par tordre le cou aux systèmes de pensée qui, trop facilement, apprivoisent ou évitent la mort et qui, en cela, empoisonnent la vie. Restant attentif à ceux qui refusent ces théories de la résignation, mais se perdent dans la lutte (Œdipe) ou la supplication (Orphée) désespérée, l'auteur s'appuie sur ses penseurs favoris, Nietzsche et Simone Weil, pour se confronter au gouffre final qu'est la mort, en reprenant la subtilité du mot « usage », mis en valeur par Pascal dans sa célèbre prière « pour demander le bon usage des maladies ». C'est en faisant « usage » de toutes les « petites morts » qui jalonnent notre existence, c'est-à-dire « en comprenant petit à petit et sans laisser la mort empoisonner la source de la vie », que nous apprenons la démaîtrise de nous-mêmes, ce que d'autres appelleront le « véritable amour ». La grande question sera alors : « Si l'on peut faire usage de nos petites morts, partielles, est-il toutefois possible de faire usage de la mort elle-même – de celle qui nous retirera jusqu'à l'usage qu'on en pourrait avoir ? […] Autrement dit, existe-t-il un passage de la petite à la grande mort ? Appartiennent-elles toutes deux à une dynamique commune ? » « Il faudra donc tout perdre, jusqu'à l'assurance même. Mais cette perte radicale se nomme l'espérance […]. Elle est non pas ce qui reste quand on a tout perdu, mais ce qui advient parce qu'on a tout perdu. » Ainsi, nous pouvons déjà ici-bas avoir un pied dans l'éternité. D'une lecture exigeante, ce livre contient d'innombrables perles.