Ruth Burrows, carmélite anglaise, est considérée dans le monde anglo-saxon comme une des plus importantes figures de la mystique contemporaine. Dans les Jalons pour la prière intérieure (Éditions du Carmel, 2021), écrit en 1975, elle expose deux voies possibles dans la vie spirituelle, celle de Claire et celle de Petra, la première excessivement rare, qu'elle appelle « pleins feux », celle des visions et des manifestations que l'on rattache aux grands auteurs mystiques connus, et l'autre, ordinaire, « tous feux éteints », qui n'est pas de moindre valeur. Sous l'alias de Petra se cache sans nul doute sa propre expérience, qui est bien souvent la nôtre, et c'est pour cela que ce livre est passionnant. La vie mystique n'est pas réservée à la voie « pleins feux ». L'on peut parfaitement vivre uni au Christ sans rien éprouver, en s'ennuyant dans la prière, en ayant le plus souvent conscience de ses propres limites et de ses insuffisances, dans l'aridité, la banalité des jours, au cœur d'une véritable pauvreté intérieure. Dans sa biographie, Face au Dieu vivant qu'il est très utile de lire en même temps que les Jalons pour mieux situer son propos, elle écrit : « L'expérience la plus courante est celle de l'absence, de l'obscurité, du néant. Quelle sottise que d'en conclure que cela dénote un ratage, que nous autres modernes avons perdu quelque chose, que Dieu semble moins se soucier de nous que de nos prédécesseurs. » (p. 171).

Dans les Jalons, Ruth Burrows n'hésite pas à proposer une lecture iconoclaste de Thérèse d'Avila et nous invite à avoir un véritable regard critique sur la recherche de sensations, de signes, tout ce qui nous ferait « éprouver Dieu ». Ruth Burrows reproche aux commentateurs de l'œuvre de Thérèse d'« en avoir fait une légende » (p. 144). Il ne s'agit pas de remettre en cause l'expérience de Thérèse mais notre fascination devant le merveilleux, qui nous permet finalement de nous croire dispensés d'une authentique quête de Dieu ou, au contraire, nous fait rechercher à tout prix des phénomènes surnaturels en oubliant de chercher Dieu. C'est bien par sa pauvreté que Thérèse est un exemple et non par ses visions.

C'est pourquoi les Jalons ne sont pas une réflexion réservée aux religieux ou aux seuls contemplatifs. Ruth Burrows nous assure que cet état de misère que nous pouvons éprouver si nous sommes honnêtes peut tout à fait être compris comme une « grâce de la Providence divine » afin de fortifier la foi. Son texte est un antidote sérieux à un certain nombre de courants spirituels qui cherchent à « éprouver Dieu » à travers une efficacité, des signes sensibles, des « manifestations de l'Esprit ». Pour Ruth Burrows, le chemin le plus sûr est la foi nue, la nôtre bien souvent, et c'est une bonne nouvelle.