Comme le fait remarquer l'auteure de ce livre, deux expériences sont universellement partagées : la naissance et la mort. Sur la seconde, les philosophes se sont déjà largement penchés, alors que la première semble être un point aveugle de l'histoire de la pensée. C'est pour remédier à ce manque que Laurence Aubrun, elle-même philosophe, écrit ce livre. Et voici que le lecteur se trouve plongé, en ces pages éclairantes, dans l'expérience de la maternité, de son point de départ à son point d'arrivée (un point de commencement, à vrai dire). Il y découvre les moments d'une chronologie partagée par les femmes et les hommes. Neuf mois débordant sur le temps d'avant : celui d'un corps qui, chaque mois, se dispose à abriter une nouvelle vie. Neuf mois qui se prolongent dans le temps d'après : celui de l'accueil de cette vie. Neuf mois et une vie entière de bouleversements physiques et spirituels.

Le pari de l'auteure, remporté haut la main, est de nous faire « découvrir, de l'intérieur et par le corps, l'incommensurable puissance de la chair, de la vie et de l'amour » et de chercher une réponse à cette question majeure : « que signifie pour l'humanité de naître en relation ? » car « l'expérience de la maternité vient bousculer la représentation d'un individu fermé sur lui-même, isolé et unifié ». Ces pages en attestent, qui parviennent à s'adresser aux hommes dont on pourrait croire qu'ils sont exclus de l'expérience de la maternité, et aux femmes qui n'ont pas pu ou pas voulu enfanter. Le livre de Laurence Aubrun tend ainsi des ponts entre tous.

Rédigé dans une langue accueillante par une femme, philosophe et mère de famille, l'ouvrage n'abdique ni devant la profondeur de la réflexion philosophique, ni devant celle de la proposition spirituelle. C'est un livre qui porte à la réflexion autant qu'à la méditation. Il s'agit de donner la vie, expérience pour le moins spirituelle, et d'honorer la dimension incarnée de ce don. On ne peut que se réjouir que nous soit enfin proposée une entrée dans cette expérience charnelle et savourer un essai où audace de la parole et pudeur se répondent. La chair des femmes est présente, du corps amoureux à celui qui enfante. Nous quittons enfin, et c'est un soulagement, les terres fantasmées de la mère vierge. Ce fantasme – surtout entretenu par les hommes, clercs et laïcs, qui ont été trop longtemps tenus à l'écart de ce mystère – a épargné les femmes qui lavaient les langes et ont toujours su d'expérience qu'il n'y a pas de vie sans un certain « désordre » ! Les mères, dont il est question dans ce livre, ont des corps désirants, saignants et aimants. Des corps forts et vulnérables à la fois. Tout ici parle d'expérience spirituelle : la fragilité, le moi ouvert, la disponibilité à l'autre, l'insondable de la relation, le don de soi, la vie qui se fraye un chemin, les liens, l'incommunicable, la dépendance, la blessure, etc. La beauté et la joie de l'enfantement sont évoquées mais aussi le reste : ce qui peine et résiste. Osons le dire, c'est pour notre bonheur que l'auteure nous partage cette « expérience totale » pour reprendre les mots de la magnifique préface d'Alice Ferney. C'est un ouvrage à mettre entre toutes les mains. Les mères parmi nous s'y retrouvent et il y a fort à parier que les autres, celles et ceux qui sont appelés à « enfanter » autrement, aussi.