Il est probable que chaque époque ait ses sujets sensibles. La place des femmes et le militantisme qui l'accompagne sont probablement une des grandes questions du moment, notamment dans le monde étudiant dans lequel je suis engagé depuis près de dix ans. Dans un tel contexte, évoquer sans le dénoncer immédiatement le retour de la virilité1 peut sembler pour le moins inadéquat, voire carrément provocateur. Pourtant, je peux pointer certains défis, certaines fragilités, certains combats qui frappent durement la jeunesse d'aujourd'hui. Et l'analyse des réponses face à ces obstacles dessine une place renouvelée à la virilité, comme vertu de force morale et physique.

Le premier défi est celui d'inventer un avenir dans un monde qui nous est décrit comme allant vers sa destruction. Le deuxième défi qui atteint prioritairement la jeunesse masculine concerne l'addiction à la pornographie. Enfin, j'évoquerai seulement en conclusion la remise en cause induite par la réaction masculiniste au féminisme.

Dans un monde qui se détériore

« Invente avec ton Dieu l'avenir qu'il te donne2 » dans un monde qui se détériore. « Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle3 ? » Cette éternelle question de la jeunesse avait peut-être depuis la Deuxième Guerre mondiale perdu de sa gravité. En effet, dans un contexte d'amélioration sociale, de croissance économique et technique, la confiance dans le progrès permettait d'espérer des lendemains meilleurs. Aujourd'hui, à l'horizon de quelques décennies, si l'on en croit ce que disent les scientifiques du climat, il ne devrait plus en être ainsi. Le monde de demain devrait être plus dur. Et si nous ouvrons les yeux : l'école, l'hôpital et le système de santé en général sont déjà en train de se détériorer. Par ailleurs, l'histoire loin d'en être à sa fin redécouvre la voie des règlements violents et des mobilisations de masse. La prise de conscience de cette situation est, depuis plusieurs années pour de nombreux jeunes, source d'éco-anxiété. Plus récemment, beaucoup affirment vouloir renoncer à avoir des enfants. Pourtant, et c'est ce que je voudrais porter à notre regard, certains choisissent en conscience des métiers pour maintenir ou relever ce monde. Ils s'engagent dans l'aventure du mariage pour donner la vie, conscients que la vie sera très probablement difficile. Ils témoignent, à mon sens, d'une forme de courage, de la force de la foi, qui croit que la vie ne vaut pas seulement par la facilité, mais bien par la joie qu'elle procure.

À cette force morale, à cette force de la foi dans l'adversité, à ce courage de vivre s'ajoute pour certains jeunes une ascèse physique. En effet, presque dix ans après la publication de l'encyclique Laudato si', les voix qui mettaient en doute le changement climatique se sont tues. Pourtant, nous devons reconnaître que, pour beaucoup, nous vivons dans une forme d'indifférence de fait face au défi climatique. Nous ne savons guère comment modifier notablement nos manières de vivre. Si l'engagement des jeunes n'est pas unanime pour la cause écologique et s'ils n'en ont pas le monopole, j'admire la force, la rusticité, l'ascétisme physique déployés par certains au quotidien pour relever ces défis : force pour quotidiennement restreindre leurs choix culinaires au motif d'une alimentation moins carbonée ; force pour vivre sans chauffage ; force pour affronter plusieurs jours de transport parfois inconfortables pour se rendre de l'autre côté de l'Europe alors que l'avion serait moins cher et plus rapide.

Face à un monde qui semble se craqueler, je découvre chez certains jeunes une vertu de force morale et physique qui s'apparente aux images de la virilité d'hier, même si elle a perdu son caractère proprement sexué.

Exodus et la pornographie

À ce premier défi, s'en ajoute un plus spécifiquement masculin. Je l'ai découvert lors de mes premières années de ministère de prêtre. En effet, la formation de jésuite m'a mis très tôt en position d'accompagnateur spirituel. Mais il a fallu attendre que je sois ordonné pour prendre conscience, dans le sacrement de réconciliation, de l'épidémie – le mot est volontairement fort – d'addiction à la pornographie à l'œuvre chez les jeunes hommes d'aujourd'hui que je rencontre. Il s'agit bien sûr d'un phénomène complexe, qui ne saurait être appréhendé uniquement sous l'angle spirituel, sans mobiliser d'autres types d'accompagnement, notamment psychologique. Il me semble pourtant pertinent de l'évoquer dans ce court article car le caractère presque exclusivement masculin de ce lieu de fragilité peut donner une dimension nouvelle à la notion de virilité que nous avons à ce stade dégagée.

Les réponses sociales ou chrétiennes à ce phénomène sont encore très peu nombreuses. Mais depuis quelques années, je suis témoin du développement du parcours Exodus4 qui est une des réactions à ce phénomène d'addiction. Ce parcours propose à des hommes pendant les quatre-vingt-dix jours qui précèdent Pâques de vivre une forme de retraite spirituelle très spartiate dans leur vie ordinaire (une heure de prière par jour appuyée sur la lecture de l'Exode, sept heures de sommeil, douche froide le matin, pas d'alcool et de dessert, abstinence des réseaux sociaux, d'ordinateur et de smartphone [sauf pour le travail], jeûne deux jours par semaine, trois séances de sport intense par semaine, rencontre hebdomadaire avec un petit groupe de partage de vie et contact quotidien avec un binôme).

À première vue, ce parcours peut à juste titre paraître excessif et caricaturalement viril. Pourtant, au regard d'une situation vécue comme honteuse, le chemin proposé par Exodus valorise comme essentielle la dimension corporelle et relationnelle de l'individu. Le blessé, le meurtri n'est plus seul, il rejoint le peuple des esclaves qui crient vers le Seigneur. Je n'ai pas le recul pour évaluer les fruits d'un tel parcours, et il est possible que leur effet soit momentané, mais il est clair que ce qu'il offre met en œuvre la force physique, une force ascétique, une force pour entrer et tenir dans le combat spirituel, une force pour rompre la solitude et retrouver une estime de soi. Nous savons combien le mauvais esprit tend à focaliser sur l'échec et à lui donner le plus de place possible. Un tel parcours, en multipliant les objectifs de manière peut-être excessive, ouvre la voie, en parvenant à en tenir quelques-uns, pour revenir à l'estime de soi. Il me semble qu'il propose une pédagogie du désir qui pourrait être résumée ainsi : « Tu n'arrives pas à sauter 1,20 mètre ; eh bien, aie pour objectif de sauter 1,80 mètre ! » Mais il tire surtout sa dimension masculine de la commune appartenance à un peuple d'esclaves en quête de liberté. Cette virilité prend sa source dans le sentiment collectif de faire partie d'une humanité masculine blessée. Elle n'est donc pas une virilité qui domine mais une virilité qui lutte pour la vie et pour la liberté.

Masculinités face au féminisme

Ce retour de la virilité pourrait-il être aussi une riposte à la mise en difficulté de certains hommes par l'influence d'un féminisme peut-être exacerbé ? Il ne me semble pas possible dans le cadre de ce court article et dans le contexte militant actuel de poser sereinement et précisément les termes du débat en jeu. En effet une réponse même partiellement positive à cette question relèverait de ce que le rapport du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes nomme l'idéologie masculiniste qui est définie et qualifiée comme un « mouvement social conservateur ou réactionnaire5 qui prétend que les hommes souffrent d'une crise identitaire parce que les femmes en général, et les féministes en particulier, dominent la société et ses institutions6 ». Il s'agit alors seulement de se demander, comme nous l'avons fait au cours de l'article, si les formes de revirilisation mises en lumière peuvent ou non relever de cette idéologie masculiniste.

Comme nous le disions en introduction l'emploi du terme virilité fait certainement en soi difficulté. Pourtant pour affronter les défis d'un monde sans espérance, peut-on vraiment faire fi de la force morale et physique ? Et l'ambiguïté d'un terme, suffit-il pour décrédibiliser a priori les tentatives, même maladroites, qui s'inventent pour aider des jeunes d'aujourd'hui à vivre ?

1 Sur le sens originel de cette vertu, tant masculine que féminine, voir Mariette Darrigrand, Viriles comme Vénus, Éditions des Équateurs, 2021.
2 Didier Rimaud et Jacques Berthier, Peuple d'un Dieu qui est justice (KP19-93-1), Bayard-CNPL ; Didier Rimaud, « Peuple d'un Dieu qui est justice », À force de colombe, Cerf, 1994.
3 Matthieu 19, 16, selon la traduction liturgique de la Bible.
4 https://exodus90.com/
5 Souligné par l'auteur.
6 Sylvie Pierre-Brossolette, Xavier Alberti, Marie-Anne Bernard, Mahaut Chaudouët-Delmas et Mahaut Bernard, S'attaquer aux racines du sexisme. Rapport annuel 2024 sur l'état des lieux du sexisme en France, 22 janvier 2024, p. 10.