Bayard, 2010, 145 p., 15 euros.

Cet ouvrage de Robert Scholtus, bien connu de nos lecteurs, est dans la continuité des deux derniers livres qu’il a confiés à la collection « Christus ».
En effet, ceux qui ont lu Faut-il lâcher prise ? (2008) goûteront la manière dont l’auteur, comme il le fit pour l’abandon, « travaille » ici le thème des limbes, moyennant une patiente enquête culturelle, historique, littéraire. Enquête infinie sur une région incertaine – ni enfer, ni purgatoire, ni paradis –, où séjourneraient ceux qui se seraient éteints sans avoir été baptisés, en particulier, cas douloureux s’il en est, les enfants morts-nés. Par extension, les limbes (de limbus : « lisière », « frange ») ont dès le XVIIe siècle désigné un vague à l’âme plus ou moins conscient et permanent. Comme un certain nombre de nos contemporains, Robert Scholtus avoue sa fascination pour ce « quasi-non-lieu », en ce qu’il toucherait de près à notre condition d’homme moderne.
Car enfin, à quoi renvoient les limbes aujourd’hui ? Au vide, à « la sensation d’être au milieu de nulle part », sensation que nous préférerions le plus souvent ne pas connaître. Or s’il est une zone de l’existence que traverse le commun des mortels, c’est bien celle de nos mornes zones vertes, urbanisées, industrielles, commerciales, tellement quotidiennes qu’elles en deviennent quelconques, insignifiantes ; et il en va de même de tous ces moments « creux » de nos journées que nous remplissons vaille que vaille pour ne pas vaciller.
Robert Scholtus, le temps d’une saison, essaie de comprendre cet attrait pour cette « géographie de la vacuité » et il finit par y voir se révéler « ce non-lieu de nos solitudes flottantes, et de nos libertés englouties », « l’état co-mateux d’une humanité en suspens », aux antipodes, par conséquent de la plénitude à laquelle nous sommes enjoints d’adhérer dans la société de consommation. Ce passage à vide, en ce qu’il est ici volontaire, a la vertu de nous faire ressentir ce que peut avoir de fallacieux la recherche effrénée de la performance, y compris au sein de l’Église, qui fait trop souvent passer la joie pour une fête exubérante, ou l’espérance pour un optimisme béat. Les psaumes et les livres de la Sagesse sont à cet égard des plus vigilants.
On ne plonge pas dans une telle enquête sans implication personnelle, sans confession, et ceux qui ont lu Lettres à mes morts (2009) retrouveront cette manière si lumineuse qu’a Robert Scholtus d’évoquer la présence des absents que nous côtoyons dans nos limbes par delà les distances spatiales ou temporelles.