La vie a toujours été une succession d’événements, mais jamais le changement n’a autant dominé nos existences. Nous aimons prendre nos vies en main, les imaginer, les forger, les reprendre comme l’artisan peaufine l’objet sur lequel il travaille pour lui donner la forme souhaitée. Plus que l’artisan, encore guidé par la reproduction d’un modèle à imiter, nous voici même dans le rôle de l’artiste, inventant la forme qui s’incarne sous ses yeux, se laissant guider par son inspiration. Nos vies sont devenues l’expression de nos individualités.
 
Dans Les Sources du moi, le philosophe canadien Charles Taylor a bien identifié l’« expressivisme » comme l’une des pierres angulaires de la culture moderne et l’une des sources de la subjectivité moderne : « L’expressivisme fournit la base d’une individuation nouvelle et plus pleine. C’est l’idée qui se développe à la fin du XVIIIe siècle que chaque individu est différent et original et que cette originalité détermine la façon dont il doit vivre. […] Les différences ne sont pas seulement des variations accessoires à l’intérieur d’une même nature humaine fondamentale […]. Elles impliquent plutôt l’idée que chacun d’entre nous doit suivre sa propre voie, elles imposent à chacun de se mesurer à sa propre originalité » 1. Les temps sont loin où, du berceau à la tombe, les existences se déroulaient dans l’imitation des Anciens et de leurs modèles. Car qui dit « expression » de soi, quête de son originalité et de sa différence propres, dit aussi tâtonnements, ajustements et crises, donnant parfois lieu à des changements radicaux. Tel est désormais le style de nos existences de Modernes. Dans nos