Nous croyons être les artisans de notre vie intérieure et désirons mettre tous nos efforts au service de sa progression. Même s'il ne faut pas perdre de vue ce qui dépend de nous, l'essentiel n'est pourtant pas là. Il n'en demeure pas moins que nous peinons à accepter notre impuissance en ce domaine, car il est décidément bien difficile de se défaire de l'illusion que la croissance dans la foi serait le fruit d'une volonté bien exercée ! Après ces mois d'été où nous avons peut-être pris la route pour voir du pays, nous pourrions appliquer, à notre manière souvent volontariste de « mener notre embarcation » spirituelle, l'affirmation formulée en préambule d'un magnifique récit de voyage : « On croit qu'on va faire un voyage mais, bientôt, c'est le voyage qui nous fait1. » Certes, tout périple requiert une part de préparation et d'attention. Mais vient toujours le jour où, si nous voulons aller plus loin dans la découverte d'un pays nouveau, il faut essayer de mettre fin à la tentation de tout consigner, de tout comprendre et de décider de l'itinéraire jusque dans ses moindres détails. Il s'agit de se rendre simplement présent à ce qui est donné : une saveur inattendue, un paysage, des visages. Non plus toucher mais se laisser toucher, non plus regarder mais se laisser regarder et, pour finir… se laisser accueillir. Car arrive le moment de se rendre à l'évidence : le « voyage » que nous avons entrepris est en train de nous transformer. Alors même que nous pensions le faire, c'est lui qui nous faisait.

1 Nicolas Bouvier, L'usage du monde, La Découverte, 2014.