Les vingt dernières années, depuis l'écriture de ce texte, ont vu s'accentuer la sécularisation faisant passer la Bible au rang de simple archive culturelle en émoussant sa force d'interpellation. Ces deux décennies ont aussi et surtout vu se multiplier, dans le monde, des gestes d'instrumentalisation inquiétants. Le Livre est brandi par des pouvoirs se posant en défenseurs de « la civilisation chrétienne », alors même que leurs choix sociétaux et politiques sont un déni flagrant de la Parole qui retentit dans les Écritures. Face à cette perversion, rien de tel que la Bible elle-même pour dénoncer les manipulations idéologiques dont elle est l'objet. Plus que jamais, elle doit faire la démonstration de sa force critique, de sa capacité à démasquer les mensonges et les idoles. Encore et toujours, la Bible doit être un livre dangereux.

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Le XXe siècle avait commencé dans le tumulte des controverses du modernisme au centre desquelles figurait la question biblique. Ce même siècle s'est achevé dans l'apaisement et la réconciliation. Mais les temps de paix ne sont pas toujours aussi neutres qu'il paraît. Il arrive que les crises couvent à l'heure où tout paraît calme. Qui peut affirmer qu'au moment où la Bible est soustraite à la polémique, où elle trouve une place dans le grand paysage mondial des biens culturels, où son appartenance confessionnelle semble débordée par des lectures culturelles, où, en un mot, elle cesse d'être un texte dangereux, elle ne risque pas, en fait, d'affronter de nouveaux périls, peut-être plus redoutables que ceux de la critique ? C'est ce risque que veulent tenter de préciser les réflexions qui suivent.

La Bible, aujourd'hui ouverte à tous

Le premier constat est que nous avons dépassé aujourd'hui le face-à-face qui avait opposé violemment une exégèse rationaliste et critique à une lecture croyante inquiète, persuadée que les questions incisives de la science pouvaient nuire au texte biblique. La publication en 1943 de l'encyclique Divino afflante spiritu, puis, en 1965, à l'heure du Concile, la constitution Dei Verbum et un document de la Commission biblique pontificale publié en 19931 ont, en l'espace de quelques décennies, affirmé et confirmé que la Bible pouvait être l'objet d'une lecture simultanément croyante et attentive aux questionnements de la modernité. Même si un débat polémique et passionné peut resurgir ici ou là2, ce sont des rapports plutôt pacifiés qui dominent présentement.

L'une des conséquences majeures de cette évolution est que le monde catholique, qui s'était progressivement fermé à la lecture de la Bible depuis la Réforme, a retrouvé depuis quelques décennies un