Ce livre de Dominique Bertrand, s.j., un bon connaisseur de la tradition ignatienne, est fort original. Son but est de dessiner un « portrait spirituel » de Favre, qui ne soit ni une biographie érudite, ni une hagiographie convenue. Sa présentation est convaincante, même si ses élans rhétoriques égarent un peu le lecteur. Le « portrait » retenu est celui d’une sanguine où Favre est montré parmi les premiers compagnons. Si sa présence physique impressionne (« le cou de taureau, les yeux profonds qui, même de trois-quarts, regardent en face »), elle peut, selon l’auteur, aider à « mettre au jour » le mystère de celui qu’il scrute.
Pour ce faire, Dominique Bertrand s’explique clairement : « Nous disposerons donc les écrans de l’intérieur vers l’extérieur. Une première partie [“La force des choses”], réemployant les Vies [de saints], mettra en place le cadre, les dates et les actes. Une seconde [“L’intelligence des choses”], fondée sur les écrits, sera autobiographique en vue de laisser toute sa place au Dieu de Pierre Favre, cet homme saint… »
Au seuil de la première partie qu’il veut « rigoureuse », l’auteur en fixe les principes : ne pas dépasser le cadre de son sujet (1506-1546) et éviter les pièges de l’anachronisme. Puis, suivant Raymond Aron : « L’histoire est saisie rétrospective d’un devenir humain », c’est-à-dire social et personnel, il propose à son lecteur une double entrée.
La première, « l’humanisme navré », est une analyse du milieu où vécut Favre. À juste titre, Dominique Bertrand préfère cette présentation à celle, plus classique, traitant de la Renaissance et de la Réforme. Très nourri des livres, pionniers en leurs temps, de Lucien Febvre et Jean Delumeau, il pointe l’essentiel. Des études plus récentes lui auraient permis de mieux souligner les débats d’alors sur les textes bibliques. Quoi qu’il en soit, son expression « l’humanisme navré » est fort bienvenue.
Dans sa seconde approche, « l’efficacité d’une vie », l’auteur en vient directement à Pierre Favre. Ici, il reprend les travaux de Georg Schurhammer, de Michel de Certeau et de Mary Purcell, sans hésiter toutefois à les dépasser.
Sa présentation est chronologique :
1. « Les hautes vallées. Piété et intelligence (1506-1516) » ;
2. « Enchantements et tentations d’un collégien (1516-1625) » ;
3. « Paris : succès, insatisfaction, guérison (1525-1536) » ;
4. « L’efficacité favrienne (1536-1546) ». Malgré quelques approximations au sujet des études, cette approche est très suggestive. On lira, en particulier et avec intérêt, les réflexions sur les dernières années où Favre parcourt l’Europe.
La deuxième partie de l’ouvrage, « l’intelligence des choses », consacrée aux écrits de Favre, est sans conteste la meilleure. On reconnaît là l’excellente plume de celui qui analysa la correspondance de saint Ignace (cf. La politique de saint Ignace de Loyola, Cerf, 1985). Il distribue sa matière en trois chapitres :
1. « Correspondance et mission » ;
2. « Le sens de Dieu en toutes choses. Le Mémorial » ;
3. « Pour conduire au discernement et pour en profiter. Les “Petits traités spirituels” ».
En chacun de ces points de vue, Dominique Bertrand donne toute sa profondeur au portrait spirituel de Favre. Si sa correspondance « s’étend de Dieu aux frères, pape, supérieur, compagnons », le Mémorial propose une belle réflexion sur le discernement des esprits. L’auteur le montre avec finesse en dialoguant avec les PP. Plaza, de Certeau et O’Leary. Enfin, on lui saura gré de proposer, dans son dernier chapitre, les textes mêmes de Favre.