Né en 1918 d’un père hindou et d’une mère catalane catholique, philosophe et théologien, enseignant universitaire et essayiste, prêtre et guide spirituel, Raimon Panikkar a publié, en plusieurs langues, une cinquantaine d’ouvrages et de très nombreux articles. Les relations entre les civilisations ainsi que la rencontre des traditions spirituelles, notamment l’hindouisme et le bouddhisme, ont été constamment au coeur de ses préoccupations. Peu de temps avant qu’il ne nous quitte (août 2010), naquit le projet de publier l’ensemble de son oeuvre, d’abord en italien, puis en d’autres langues, dont le français. Dans un programme qui prévoit près de vingt volumes, il est significatif que le premier soit consacré à la spiritualité et la mystique.
L’auteur puise librement dans différentes traditions, saute allègrement de l’une à l’autre, sans cependant sacrifier ce que chacune a de singulier. Doué d’une culture prodigieuse et ne craignant pas de forger à l’occasion son propre langage, R. Panikkar ne se satisfait pas d’enquêtes purement académiques : il s’adresse à l’homme d’aujourd’hui, souvent déraciné mais en quête d’intériorité et de sagesse. La mystique est ici définie d’emblée comme expérience de la Vie en plénitude, expérience unifiante qui intègre toutes les dimensions de la personne, expérience essentielle qui appartient à tout être humain.
 
Les trois sections de ce recueil traitent de la « nouvelle innocence », puis de la contemplation qui s’origine dans le silence, enfin de l’expérience mystique et de ses langages. Tantôt condensée en aphorismes (à la manière des sûtras indiens) tantôt prolixe, la pensée demeure toujours stimulante par les ouvertures qu’elle pratique et par la liberté de ton. S’il convie inlassablement ses contemporains à l’écoute des traditions de l’Orient comme de l’Occident, R. Panikkar ne joue jamais les religions contre la culture séculière : tout au long du livre, le « langage séculier » fait obstinément entendre sa voix, à l’égal des langages hindou, bouddhiste ou chrétien. Et chacune de ces langues se déploie selon trois dimensions nécessaires : « Aujourd’hui, le vrai devoir humain est d’intégrer non seulement les exigences du logos, mais aussi la réalité du mythe et, la dernière mais non la moins importante, la liberté de l’Esprit.»
Jacques Scheuer