En bons disciples du Christ, nous pensons qu’il ne doit pas y avoir de limites au don de soi, n’est-ce pas ? Que nous soyons prêtres, religieux ou laïcs, révéler le Seigneur en se donnant au service de la charité, c’est la vocation la plus belle. Nous pressentons qu’il y a là une grandeur à laquelle nous aspirons à participer, parfois jusqu’à la négation de nous-même… Or, c’est là que le bât peut blesser. Car il paraît que la propension à l’épuisement est un trait largement partagé par les « Bons Samaritains ». Nous sommes tentés de tout risquer, jusqu’à notre santé parfois ou jusqu’à l’équilibre de notre vie familiale, parce que des grands saints qui ont suivi cette voie nous ont été donnés en exemples. Et, comme eux, nous voudrions, c’est légitime, gagner nos lettres de noblesse dans la sainteté. Or, il faut accepter que, même pour ce qui est de l’exercice de la charité, il y a quelques rares personnes en mesure de réaliser des prouesses, et puis… il y a la majorité : celle « dont la troupe anonyme forme la masse innombrable des vivants ». Ces vivants-là sont précisément appelés à le demeurer !

Pour rayonner, pour œuvrer dans l’humble et invisible service quotidien du prochain, et y durer, il faut garder des forces. Et cela passe par une attention à nous-même, par l’accueil lucide et modeste de nos limites. Reconnaissons simplement que nous appartenons en fait aux classes moyennes de la charité ! Notre rayon d’action est restreint : un conjoint et des enfants, des compagnes ou compagnons de communauté, l’un ou l’autre voisin, quelques collègues, un service de bénévolat… Vraiment ? voilà tout ce que nous aurons à présenter au Seigneur ? une si maigre moisson ? Et nous qui nous rêvions en nos jours d’éternité, exhibant fièrement nos faits d’armes glorieux. Mais est-ce ce qui est attendu de nous ? Le Seigneur ne veut-il pas tout simplement que nous brillions dans nos « vies minuscules » et que nous nous donnions précisément là, à ces tâches minimes, avec sérieux et application ? sans nous préoccuper d’autre mesure que la nôtre ? Si nos faibles forces ne nous permettent de n’aimer et de ne servir qu’une seule personne, qu’à cela ne tienne, adonnons-nous à cette tâche assidûment et nous mériterons nous aussi d’être les humbles destinataires de ces paroles réconfortantes « c’est bien serviteur bon et fidèle, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai ; entre dans la joie de ton maître ».