Malicieuse, délicieuse Marie Noël, qui, avec ses allures de « petite fille sage » et cette « espièglerie angélique » qui ravissait tant l'abbé Bremond 1, trompe si bien son monde. Tenez, feuilletez Les Chansons et les Heures, égrenez Le Rosaire des joies, régalez-vous du bonheur de Petit-Jour ou de quelque Conte de Noël : la joie fleurit sous sa plume comme évidence printanière Ce qui s'accorde avec sa « nature joyeuse » 2 et ce tempérament de ses compatriotes bourguignons qui « ont de bons pieds solides, bien en terre, mais [qui] suivent la joie de leur tête » 3. La cause est donc entendue : Marie Noël, « poète de la joie », ou mieux, des joies simples, enfantines et quotidiennes, mais aussi des joies de l'âme, de la création littéraire, sans parler de celle de la foi.
Pourquoi pas ? Cependant, on entend aussi dans les Chants et Psaumes d'automne, le thrène lugubre de l'Office pour l'enfant mort ; des Chants de la Merci, l'inexorable détresse ; enfin, le ressassement de la douleur qui monte des Chants d'arrière-saison. Poète de la joie, oui, mais de quelle joie ? De cette gaîté mièvre dont on aura affublé cette âme lucide et implacable, ainsi défigurée en paroissienne bien-pensante et poète de patronage ? Certes non ! La joie noëlienne, fragile et déchirée, je la vois si proche, presque cousine, de la joie franciscaine. S'en étonnera-t-on quand on sait les affinités de Marie Noël avec le « petit pauvre d'Assise, si joyeux, si franc, si libre », puisque l'un et l'autre ont traversé « la grande nuit où personne ne guide personne » ?
Revient en mémoire l'épisode fameux où François, instruisant Frère Léon de ce qu'est la joie parfaite, passe en revue toutes les satisfactions que procurent la vanité et la gloriole humaine — et Marie Noël le suit sans peine, elle qui considère la renommée comme « mensonge qui s'étend » 4—, puis imagine que, « par une nuit profonde » d'un « hiver boueux et froid », il se voit refuser l'hospitalité par un frère incommode qui l'insulte et le chasse sans ménagement : « Je te dis que si je garde patience et ne suis pas ébranlé, en cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l'âme » 5.


La joie parfaite


Joie singulière que cette « joie parfaite », puisqu'elle scelle l'étonnante alliance de l'humiliation de l'être et de