Dans les années 1950, la société IBM développe ses activités en France. Comment traduire le terme computer alors utilisé ? La traduction littérale de ce mot anglais – « calculateur » – paraît trop restreinte au regard des immenses possibilités qu'offre cette machine. Le PDG d'IBM France, Christian de Waldner, souhaite trouver une appellation plus vendeuse et se tourne vers Jacques Perret, professeur de philologie latine à la Sorbonne, pour trouver un terme adapté. En 1955, l'universitaire propose celui qui sera très vite adopté et répandu : « ordinateur »1. Il ne s'agit pas d'un néologisme, mais d'une récupération. D'après le Littré, le mot « ordinateur » renvoie à « Dieu qui met de l'ordre dans le monde ».

Certes, dans notre quotidien, nous oublions cette étymologie, mais le passage du « calculateur » à l'« ordinateur » signifie bien qu'on entre dans un nouveau paradigme, celui d'une mise en ordre, divine, du monde. Initialement conçues pour un usage restreint, les technologies du numérique investissent progressivement tous les domaines de la vie humaine, avec une propension à ordonnancer le réel, voire à remplacer Dieu : elles proposent à l'humanité une forme de vie nouvelle, susceptible de dépasser les limites spatio-temporelles qui l'enferment, voire ses capacités physiques et intellectuelles2. Elles débordent donc leur statut de simples outils au service des projets humains pour construire une civilisation. Dès lors que nous vivons au sein de cette culture du numérique, nous sommes transformés par elle, parfois à notre insu, par le biais de l'expérience quotidienne. Notre façon de communiquer, de percevoir le monde et de l'habiter est bouleversée par l'utilisation des nouvelles technologies.

Appelés par notre baptême à vivre en chrétiens dans le monde, nous devons nous laisser interpeller par cet imaginaire du numérique, non seulement parce qu'il nous façonne, mais aussi parce que c'est au cœur de cette civilisation que nous devons annoncer notre foi et en vivre. Inutile de faire comme si le monde n'avait pas changé : il y va de notre responsabilité d'« entrer en dialogue » avec le numérique afin de l'accueillir comme une occasion de revivifier notre foi, sans