Les témoignages de la soeur Marie de Monneron et du père Léon Burdin que l’on va lire – et dont nous avons tenu à conserver le caractère oral – sont à plusieurs titres exceptionnels.
Chacun se situe, en effet, dans des lieux, en région parisienne, où sont soignés des cas-limites (maladies mentales et cancers souvent en phase terminale). L’aumônier catholique y prend de grands risques personnels, car il est sans arrêt confronté à des personnes que la maladie a fait basculer dans un monde auquel elles n’étaient pas le moins du monde préparées. Charge alors à cet aumônier, autant que faire se peut, d’aider le patient à accepter cette nouvelle vie – car c’en est une, avec toute sa dignité –, et non simplement de l’aider à survivre.
En outre, la soeur de Monneron et le père Burdin se livrent ici librement à une relecture de leur propre parcours, dans la mesure où ils n’exercent plus (la première depuis quelques mois, le second depuis dix ans). À les écouter, cette mission auprès de ces malades si particuliers semblait être inscrite depuis longtemps dans leur vocation religieuse. M ais on ne se lance pas dans une telle aventure sans avoir connu de près ce passage de la folie ou de la mort dans toute sa nudité. Ainsi voit-on combien les multiples expériences – dont ces témoins ne cachent pas les ombres – ont transformé non seulement leur perception des autres, mais leur foi dont on a le sentiment qu’elle a su déplacer bien des montagnes. On ne sort pas totalement indemne de la lecture de ces pages.


À Ville-Évrard


C’était un dimanche matin de novembre, pendant la grande grève de 1995 : mon premier jour à l’aumônerie. Je n’avais pas encore la clé du local, et nous étions un petit groupe à attendre l’arrivée du prêtre accompagnateur. On essayait de faire connaissance et comment oublier les présentations ? Il y avait là deux « Dieu », une « Sainte Vierge » et un ange ! Je n’étais ni vraiment rassurée ni apeurée, juste un peu perdue dans cette étrangeté… Comme il y avait une nombreuse assistance à la messe, il a fallu se serrer, rajouter des chaises et je me suis retrouvée face à l’assemblée. J’ai vu prier ceux que j’avais côtoyés juste avant, et il s’est passé quelque chose. J’ai senti que c’était vraiment là que je devais être. À Ville-Évrard. Ces hommes, ces femmes me furent donnés ce jour-là