À La Xavière, la réconciliation est un aspect très important de nos vies et de notre mission. Vivre ensemble en communauté n'est pas chose facile. Nous avons des caractères bien trempés, des histoires personnelles très différentes, un passé où subsistent des blessures plus ou moins profondes. Nous avons aussi un grand désir de nous accueillir telles que nous sommes, de témoigner ensemble d'une fraternité qui nous dépasse et dont nous recevons du Christ la force au jour le jour.

Dans le quotidien

Parfois, les causes de nos divisions sont sans objet. Il s'agit simplement de malentendus ou de broutilles. Parler permet de les faire tomber. D'autres fois, nous posons des gestes qui blessent l'autre, nous tenons des propos méprisants, nous avons des paroles violentes et dures, nous exprimons notre colère ou notre jalousie, nous sommes impatientes ou provocantes. Des attitudes et des gestes nous échappent, ils disent ce qui habite notre cœur. « L'accueil de nos différences n'exclut pas les conflits. Nous les vivons dans le pardon mutuel », disent nos constitutions.

Nous avons un travail intérieur personnel à faire pour nous exercer à reconnaître ce qui blesse soit une relation interpersonnelle, soit le climat communautaire. Ce chemin passe par la reconnaissance de nos faiblesses, de nos écarts et de nos manquements à la charité. Le soir, la relecture de notre journée sous le regard miséricordieux du Père est un moment propice pour faire la vérité, pour accueillir nos limites, pour reconnaître notre péché et demander pardon, pour rendre grâce aussi de ce qui nous a été donné.

Un conflit concerne toujours au moins deux personnes. Deux démarches vers la réconciliation sont donc possibles. Soit celle qui a été agressive vient trouver sa sœur pour mettre des mots sur ce qui s'est passé, reconnaître ses torts et pour lui demander pardon à travers une parole libératrice ou un geste fraternel. Soit celle qui s'est sentie blessée s'adresse à celle qui l'a blessée et lui exprime ce qu'elle ressent, car nous ne sommes pas toujours conscientes des conséquences de nos paroles. Cette deuxième attitude participe alors de l'entraide fraternelle. Mais la question se pose de savoir si, quand nous sommes touchées personnellement par une remarque, il convient de dire à l'autre : « Tu m'as blessée » ou bien de passer outre intérieurement et vivre patiemment ses blessures sans se replier sur elles. Faire une remarque à quelqu'un fait aussi partie du chemin de conversion et d'humilité. Il est préférable de parler quand nous sommes en paix mais, quand une remarque est juste, même si le ton n'est pas ajusté, il est possible d'en tirer profit.

Il est essentiel de nous rappeler que cette démarche n'est ni un jugement, ni une condamnation, elle est avant tout recherche de vérité. Il arrive que cela s'étale sur un certain temps, car le pardon est d'abord un don à recevoir de Dieu.

Chaque mois, nous vivons un temps de partage spirituel au cours d'un week-end communautaire. Chacune exprime quelque chose de la manière dont elle a vécu le mois, ce que le Seigneur lui a donné dans la prière ou dans la vie apostolique, ce qui a peut-être été plus éprouvant ou blessant. Ce partage se vit dans une écoute de chacune, sans échange. Ce peut être l'occasion pour l'une ou l'autre de demander pardon à la communauté pour telle ou telle attitude ou comportement qui a pu blesser ou introduire une tension. Cette reconnaissance procure un apaisement qui permet d'aller au-delà de ce qui a été blessé. La vie circule mieux entre nous.

Le travail de réconciliation s'appuie, au fur et à mesure que nous en prenons conscience, sur ce qui est abîmé, pour aller dans le sens de davantage d'amour, pour marcher vers une résurrection. Ainsi, notre vie commune permet de laisser le Christ opérer en nous son œuvre de guérison et de pardon.

À travers la liturgie

La prière de la Liturgie des heures, célébrée en communauté quotidiennement, nous permet de nous remettre ensemble sous le regard d'amour de Dieu, de réentendre son appel à vivre telles que nous sommes, avec ce que nous sommes, en l'ayant reconnu et nommé. En nous mettant sous la miséricorde de Dieu, nous reconnaissons notre besoin d'être ensemble sauvées, guéries. Nous cultivons une espérance en chacune et en tout être humain capable de se redresser, quelle que soit sa misère.

Certaines communautés de xavières vivent, pendant l'Avent ou le Carême, une célébration communautaire du pardon avec un temps de louange sous le regard aimant du Seigneur. Nous la vivons de différentes manières qui ne sont jamais imposées mais discernées communautairement. Si une sœur de la communauté bloque ou n'est pas prête, c'est le signe qu'il faut encore patiemment cheminer, car la démarche n'est pas encore mûre et ne serait pas vécue dans la liberté intérieure.

Je me souviens avec émotion d'une célébration de Carême que nous avons vécue dans la communauté où réside le noviciat. Nous avions choisi l'épisode évangélique suivant : « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère et ensuite viens présenter ton offrande. Accorde-toi vite avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui… » (Mt 5, 23-25), en laissant ces paroles de Jésus retentir en nous pour qu'elles nous travaillent intérieurement. A suivi un temps de silence durant lequel a pu jaillir une parole personnelle, humble et vraie, dans la reconnaissance de nos torts envers la communauté, exprimée à voix haute. Puis chacune est venue déposer un caillou devant l'autel, geste symbolique pour exprimer un poids dont elle voulait se délester. Nous avons terminé par un Notre Père qui nous a resituées comme filles bien-aimées du Père et sœurs les unes des autres. Un apéritif festif a manifesté notre joie d'être réconciliées et allégées !

D'autres formes sont possibles et toujours à vivre dans la créativité. Dans une communauté où des tensions se font jour, une prière d'alliance vécue en commun peut permettre de cheminer selon ce que propose Ignace : une action de grâce pour les bienfaits reçus en communauté, une demande de pardon exprimée à voix haute pour celles qui le désirent, ou dans le silence, et une remise au Seigneur pour continuer d'avancer ensemble dans la confiance.

Un autre temps fort a lieu lors des premiers vœux et de l'engagement définitif d'une xavière. Au cours d'un office qui rassemble toutes les xavières présentes qui ont déjà prononcé leurs vœux, celle qui s'engage reconnaît et nomme le travail de l'Esprit en elle pendant son noviciat ou depuis ses premiers vœux, et elle exprime son désir de continuer à en vivre. Dans cette lumière, elle demande pardon aux xavières avec lesquelles elle a vécu et cheminé. Elle dit également son désir de pardonner le mal dont elle a souffert. La supérieure générale, de son côté, exprime la joie de l'accueillir et demande pardon au nom de La Xavière pour ce qui a pu être blessant envers celle qui s'engage. C'est toujours un moment très fort, différent à chaque fois, qui nous soude les unes aux autres et qui nous permet de faire corps.

Ces démarches personnelles, communautaires et ritualisées supposent de la part de chacune une certaine liberté intérieure qui s'acquiert progressivement au fil des années de vie religieuse. Les démarches de pardon et de réconciliation s'opèrent parfois sur des années, tant la blessure a pu être profonde en ravivant d'autres blessures personnelles. Nulle d'entre nous ne peut être forcée à pardonner et à se réconcilier. Il nous faut veiller à ce qu'aucune pression ne s'exerce de part et d'autre, en respectant le travail de l'Esprit saint en chacune.

Un enjeu missionnaire pour le monde

Nos constitutions disent aussi que « xavières, missionnaires du Christ Jésus, nous sommes appelées, selon le charisme de Claire Monestès [notre fondatrice, 1880-1939], à suivre le Christ dans sa mission de récapituler toutes choses et de réconcilier l'humanité en son Corps, par l'Esprit, à la louange de la gloire du Père ». Notre vocation est donc de travailler à la réconciliation dans le monde. Pour prendre part à cette vaste entreprise, il convient d'abord que nous fassions l'expérience de nous réconcilier les unes avec les autres et de le manifester de manière très concrète à travers notre vie et des démarches liturgiques.

Il y a tant de mal commis ou subi dans le monde. Nous ne pouvons pas forcer des démarches de réconciliation entre les êtres, mais nous pouvons les suggérer, nous pouvons en montrer les bienfaits. Nous les portons aussi dans notre prière personnelle et communautaire en faisant des intercessions spontanées pour nos collègues, pour les pays en guerre, pour les prisonniers, pour les intentions qui nous sont confiées…

Dans un regard de foi, nous croyons que tout geste de pardon et de réconciliation travaille le monde et contribue à la croissance du Corps du Christ. Nous restons attentives à repérer le Seigneur autour de nous, dans nos milieux professionnels ou associatifs, dans nos familles. C'est ainsi que se construit notre corps apostolique envoyé dans le monde pour témoigner humblement de la miséricorde du Père pour l'humanité tout entière.