Les discours et la conscience chrétiens transportent avec eux un certain nombre d'expressions habituelles sur la charité : « Tant qu'on n'a pas tout donné, on n'a rien donné », « Aimer tous les hommes », « Se faire un cœur à la dimension du monde »… Le vocabulaire plonge avec délices dans la dimension universelle, en compagnie d'adverbes sans nuances : totalement, complètement, jusqu'au bout… On voit bien la valeur incitatrice de ce langage. Il réveille, il stimule, il relance. On devine aussi la culpabilité qu'il fait lever : qui peut se dire en règle avec un tel objectif ? Évidemment personne.

On objectera immédiatement qu'il ne s'agit pas d'être en règle, ce qui s'avère impossible, mais d'avancer, de s'améliorer, de se donner de plus en plus… J'entends bien, mais cela ne fait peut-être que reculer le problème au lieu de le résoudre. S'il ne s'agit plus d'être en règle avec un objectif inaccessible, ne vise-t-on pas cependant à être en règle avec une démarche indéfinie ? Voilà bien où commencent les difficultés ! Car, certes, d'un côté, on pose une orientation précise (aimer, se donner, servir) mais, de l'autre côté, vers un objectif si large (tous les hommes, tout le temps) que la rigueur du commandement se dilue dans l'étendue du champ d'application. L'impossibilité d'étreindre le but recherché se retourne alors contre la validité du précepte enseigné.

Il vaut la peine d'examiner les aléas de