N'est-il pas naïf de penser que la musique puisse apporter quelque lumière ou exercer quelque pouvoir sur les forces considérables et de plus en plus complexes qui ébranlent nos existences personnelles et collectives ? Comment croire que sa fragilité puisse longtemps tenir bon, lorsque tout vacille et s'effondre autour de soi ? Quand le monde est en feu, n'y a-t-il pas plus urgent que pratiquer la musique ou passer du temps à l'écouter ?

La musique est sans défense

On peut comprendre que la musique puisse faire l'objet de critiques sévères, voire de condamnation sans appel. Ainsi, le philosophe confucéen Mê Ti écrivait : « L'exercice de la musique présente quatre inconvénients : les affamés restent sans pain ; ceux qui ont froid, sans feu ; ceux qui n'ont plus de maison, sans abri ; ceux qui ont perdu l'espoir, sans consolation. » Mê Ti n'est pas le seul à penser que la musique peut nous fourvoyer sur les chemins d'une intériorité qui nous éloigne du monde et nous distrait de l'attention à notre prochain. Pire encore, face aux atrocités innommables qui ont marqué et marquent encore notre temps de blessures inguérissables et le plongent dans la désespérance, il ne manque pas de voix pour dire que le moment n'est plus à la quête de la beauté, ni à la création artistique.

Pourtant, à lire nombre de témoignages, à fréquenter les livres de sagesse ou à parcourir la tradition philosophique, on voit se dégager une tout