Les ruptures font partie de notre vie et laissent souvent des cicatrices promptes à se rouvrir. Si certaines sont de notre fait, les ruptures qui nous meurtrissent le plus sont celles que l’on subit, nous renvoyant à notre impuissance (R.-C. Baud). Cependant, les unes comme les autres éveillent en nous des résonances affectives d’autant plus durables que nos repères peuvent en être bouleversés. Qui n’a senti le sol se dérober sous ses pieds à l’annonce du suicide d’un proche (R. Scholtus) ou l’incompréhension le gagner en apprenant « les effroyables ténèbres » dans lesquelles Mère Teresa a été plongée cinquante années durant à Calcutta (L. O’Dono­van) ? Comment vivre ces ruptures ? Comment, après les avoir vécues, se reconstruire ? En quoi la foi peut-elle aider à sortir de cette épreuve spirituelle qui atteint de plein fouet notre motivation, notre goût de vivre, jusqu’à ébranler nos convictions les plus profondes ?
L’Écriture est riche en récits de rupture. Singulièrement, le long récit de l’Exil nous fait approcher les situations de survie du peuple d’Israël, son sentiment persistant d’être abandonné par Dieu lui-même – jusqu’à sa conversion au « Dieu caché » que proclama Isaïe. Dieu n’est pas celui que l’on croyait : passé la nuit de l’espérance, il se révèle aux cœurs pauvres qui consentent à ne pas anticiper les gestes par lesquels il les sau­vera (A.-M. Pelletier). Toute rupture, aussi douloureuse soit-elle, est ici vécue comme un nouveau commencement, une nouvelle naissance, une nouvelle création (J.-P. Lemaire). Et c’est à partir de cette dynamique que peut être évaluée notre part de mal ou de péché. Car les multiples infidélités que nous avions tendance à vivre dans une « insouciance tranquille » (Ézéchiel) s’avèrent le principal terreau de nos ruptures d’alliance au quotidien, comme le suggèrent certains films (M. Guillet).
Dieu crée et sauve en appelant à la liberté, à la rupture avec des conduites et des logiques sans horizon. Avec la mort et la résurrection du Christ, le sentiment d’abandon éprouvé par le juste ou par le peuple livré à son péché ou à l’injustice disparaît au profit d’une alliance qui se joue au coeur de chaque homme de bonne volonté. Comme le fils du prodigue qui fait retour sur lui-même et rompt avec sa conduite mortifère, nous pouvons entrer dans une démarche de conversion pour vivre l’épreuve en union avec le Seigneur mort et ressuscité, et non plus seulement comme un châtiment ou un mépris de Dieu.
Qu’elles soient dues à la rupture d’un engagement à vie (N. Hausman), aux mises en cause politiques les plus vives, comme celles de l’Abbé Pierre (B. Forthomme) ou aux crises économiques (E. Perrot), nos désolations gagnent à être relues à l’aune d’une relation nouvelle avec le Christ et avec nous-mêmes. Le Ressuscité devient alors celui qui donne la joie de rompre avec ce qui nous emprisonne. Le sentiment d’être détruit même par Dieu, comme l’ont éprouvé nombre de justes (Job) ou de saints (Ignace, Jean de la Croix ou plus récemment Mère Teresa), est à même de nous faire plonger avec lui dans la mort, afin de renaître avec lui, comme le dit saint Paul (R. de Maindreville). Sous cet horizon, hommes et femmes meurtris par des ruptures sociales peuvent jouer un rôle évangélique essentiel (C. Henning). Rompre avec des addictions, des dépendances, ou tout simplement avec une vie ordonnée aux seuls appétits de la consommation, trouve son sens le plus achevé si c’est l’amour qui nous réoriente.