La notion même de combat spirituel rebute, lestée qu’elle est par un double déficit aux yeux de nos contemporains. D’abord, le mot « combat » sonne dur : il est agressif, guerrier, voire meurtrier. Ensuite, il se marie mal avec le « spirituel » qui s’affirme à présent comme le territoire intime d’une paix intérieure et construite, où toute violence est hors-jeu (cf. F. Le Corre). Pourtant, la tradition spirituelle atteste le combat comme une donnée fondamentale de la vie de la foi. Choisir la vie dans l’Alliance, suivre le Christ en Église ouvre nécessairement à une lutte contre tout ce qui y fait obstacle. Le combat spirituel est donc un élément essentiel du discernement des esprits. Il commence dès que celui qui croit cesse de fuir (cf. F. Muckensturm).

 Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est le déplacement du théâtre du combat : la spiritualité du « militant » qui lutte dans le monde comme en son propre coeur contre l’injustice, n’a-t-elle pas été recouverte par une spiritualité du « pèlerin », davantage faite d’itinérance, d’expériences tâtonnantes, empruntées à des traditions diverses ? Dans cette « aventure » spirituelle, l’adversaire est moins une réalité désignée que des forces mystérieuses surgies de l’inconnu (cf. M. Farin et Paul Legavre). Le combat de Jésus Christ lui-même éclaire celui qui l’écoute : laisser son Esprit prendre corps en nous, devenir fils en lui. Expérience d’un amour qui dépasse l’imaginable et rend toute sa pertinence à l’ascèse, ce travail fait mourir en nous ce qui ne lui appartient pas, nous enracinant pour le service de celui que nous voulons suivre et aimer (cf. B. Régent et J. Lavoué).

La figure de François d’Assise s’impose ici. Qui mieux que lui a évoqué dans « la joie parfaite » le don à la fois le plus intime et le plus « social » de Dieu ? Au coeur même des refus et des ruptures les plus mortelles, une joie peut être donnée et reçue qui retisse du lien dans une fraternité nouvelle avec toute la création (cf. B. Forthomme). Mais le combat spirituel peut aussi présenter un visage moins attrayant, dans la mesure où les défaites alternent avec les victoires, et l’assurance en ses capacités avec la tristesse, voire une profonde et durable désolation. L’histoire de Pierre-Étienne Lardeur, en ce sens, a quelque chose d’emblématique, tant sa quête de Dieu dans un ministère presbytéral qui n’est qu’échec se fait abandon total à la miséricorde de Celui qui l’a appelé (cf. R. Scholtus)…

 Sans aller jusqu’à une telle nuit, le combat engagé est souvent porteur d’une vive souffrance, celle de se voir loin du Christ, si loin du disciple que l’on voudrait être, et peut-être sur un mauvais chemin. Ici, l’Église joue tout son rôle. La conduite du combat spirituel a besoin d’être accompagnée : par la parole et l’exemple éclairants des Anciens comme les Pères du désert pour affronter les passions, trouver la bonne posture (cf. M.-A. Le Bourgeois) ; par la parole paternelle et confiante d’un P. Lallemant qui apprend à garder son coeur pour être plus docile à l’Esprit (cf. D. Salin) ; ou tout simplement par la présence et l’écoute du frère ou de la soeur dans la foi afin d’aider à déchiffrer ce qui habite notre coeur pour mieux suivre le Christ, comme dans les scrutins au sein de la démarche catéchuménale (M. Guillet).