Mai 2013 - Diaconia 2013 : Sauvons la fraternité, qui mobilise de façon très significative la vie et la réflexion ecclésiale en France depuis son lancement en janvier 2011. Nous avons voulu nous en faire l’écho à travers les témoignages – parsemés tout au long du dossier – de personnes aux ancrages très différents (Jean-Yves Grenet, François-Xavier Boca, Isabelle Le Bourgeois, Jean-Claude Caillaux, Guy Aurenche, Arnaud Desjonquères, Nathalie Arrighi, Claire Fourcade). Toutes se réfèrent à d’autres personnes dont le parcours a marqué leur propre vocation au service. Toutes pourraient sans doute se reconnaître dans cette « mystique du service » que saint Ignace exprimait ainsi : « Dieu cherche en nous la volonté sincère de le servir et de servir ainsi le prochain. » C’est-à-dire : « En tout aimer et servir » (Jean Charlier).
Mais cela ne doit pas se faire sans pudeur : si l’on peut donner sans rien retenir à soi, on ne doit le faire sans retenue. Car la dette créée chez le donataire est d’autant plus grande que le don est généreux. On ne peut en outre ignorer que la main qui donne est au-dessus de celle qui, humblement ou honteusement, s’ouvre et reçoit (Martin Steffens). D’autant que, bien des fois en voulant rendre service, en cherchant à faire du bien, le résultat n’est pas à la hauteur de la visée mais, bien plus, il provoque des conséquences funestes et contribue plutôt à accroître les difficultés. Ici, la bonne intention se révèle néfaste, mais comment éviter un tel risque dans les relations humaines (Paul Valadier) ?
Seule une configuration au Christ serviteur peut nous faire sortir de ces impasses humaines, trop humaines. Mais il n’est pas aisé de reconnaître le Christ sous les traits du serviteur, que la foi nous désigne plutôt comme sauveur. Cette part cachée du Christ, à proprement parler mystique, s’éclaire progressivement à la lumière conjointe de nos choix de vie et de l’Évangile qui nous révèle l’unique Serviteur, celui à qui peut renvoyer tout service des hommes envisagé comme service du frère (Remi de Maindreville). C’est bien à une mystique de service, par amour de Celui qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir, que le désir d’« aider les âmes » a conduit Ignace. Dans la chapelle de la Storta, en novembre 1537, il sembla voir le Christ avec la croix sur l’épaule et le Père auprès de lui qui disait : « Je veux que tu prennes celui-ci pour ton serviteur. » Et alors Jésus le prit et lui dit : « Je veux que tu nous serves. » Les modalités pratiques d’une vie de service de Dieu avec le Christ, et comme lui par amour, furent déterminées par les circonstances. Faire en sorte d’agir comme aurait fait le Christ était une manière de répondre à l’appel du Règne et de voir Dieu en toutes choses (Monique Luirard).
Encore aujourd’hui, à la perspective d’un bonheur uniforme et sans consistance, se substitue la joie intrinsèque au service. C’est ce que beaucoup de jeunes expérimentent quand leur désir de solidarité peut répondre au besoin d’un autre. En essayant d’aider un enfant dans son apprentissage de la langue française, un étudiant est édifié par le courage et la générosité d’une famille primo-arrivante. Une jeune lycéenne surmonte son appréhension du handicap jusqu’à confier qu’elle n’a plus peur du risque de donner elle-même la vie à un enfant handicapé… Des actes concrets les renvoient à une réalité qui les dépasse, un Amour qui se découvre à eux de mille manières et les transforme (Sabine Laplane). La fraternité n’existe pas. N’existent que des femmes et des hommes à reconnaître comme des frères, des personnes concrètes et singulières. La fraternité n’advient qu’avec le dérangement que provoque l’autre, la blessure qu’il inflige à mon autarcie quand, au travers de sa différence parfois traumatisante, je découvre en lui mon semblable, mon frère en humanité (Robert Scholtus).