L’art est donné, il ouvre à plus grand que soi, il élève l’existence. Fruit d’un travail de création, il porte la marque de la gratuité. La relation à la nature, de bien des manières, vient signifier et cet élargissement et cette gratuité. La ville aussi y ouvre par sa beauté, même si l’agitation et les multitudes affairées la dissimulent souvent.

Beaucoup de nos contemporains recherchent beauté et gratuité en pratiquant différents arts durant leurs loisirs. Chaque ville moyenne a son conservatoire ; les maisons de quartier sont investies par de nombreuses associations culturelles ; expositions, concerts, festivals se multiplient. Autant d’îlots de gratuité, de vacance, qui nous sont offerts pour nous initier aux arts plastiques ou à la musique, au théâtre ou à la danse. Autant de lieux et de moments dépaysants qui aident à découvrir des capacités créatrices parfois enfouies depuis l’enfance. Émerveillement de voir comment des émotions rentrées peuvent faire sens lorsqu’elles se cristallisent dans une oeuvre d’art, aussi modeste soit-elle. Émerveillement de découvrir autrui à cette aune et de voir le monde autrement, comme transfiguré.

À cause de la tentation de la consommation qui vise à la satisfaction de soi, la gratuité dans l’art est aujourd’hui décisive : se poser, se re-poser, goûter, être présent à ce qui se donne, dans la création comme dans la réception de l’oeuvre artistique. Ces expériences sont constitutives de notre être : en apprenant à durer dans la perception, en laisser l’art éduquer notre affectivité et notre imaginaire, nous retrouvons des racines intérieures. Et l’expression artistique appellera la beauté du geste et la rectitude. À partir de ce qui est senti et goûté, un sens commun s’élabore, il est partagé par ceux qui n’auraient pas les ressources intérieures pour vivre l’expérience artistique en plénitude. De même aussi se façonnent les sens spirituels, comme y invite la composition de lieu des Exercices de saint Ignace.

Cette pratique active et contemplative de l’art se situe souvent pour nos contemporains dans l’ordre du spirituel. Jusque dans les attitudes parfois syncrétistes de la « religion de l’art », une gratuité proche de l’expérience religieuse s’offre dans ce qu’on ne peut pas prévoir et qui est donné par surcroît, gracieusement. L’art religieux a puissamment contribué à initier à la contemplation de Dieu incarné en Jésus Christ. La peinture, l’architecture et la musique, ou encore la liturgie, sont le lieu où la grâce peut se rendre visible et audible, où l’invisible et l’inouï prennent forme. L’oeuvre d’art éduque à la manière — empreinte de sensibilité — dont Dieu aime les hommes, au sein d’une relation libre et gratuite ; elle nous pousse sans cesse à nous ouvrir, à nous dépayser, pour nous faire habiter autrement notre vie ; elle « nous fait pressentir l’Autre absolument autre qu’est Dieu » (P. Varillon).