Dans son précédent recueil, L'ombre des heures (L'herbe qui tremble, 2019), Anne Dujin tentait de « prendre à la nuit / la petite clé qu'elle [lui] refuse », obéissant au rythme de chants souvent invocatoires, nostalgiques du « temps où les mots scintillaient dans la ressemblance universelle des choses » (Michel Foucault, cité par l'autrice). En outre, elle assumait porter tout un héritage profane et sacré, les grands récits littéraires et religieux.
Ce nouveau recueil, mine de rien, opère un retournement : « D'où te vient l'idée que c'est toi qui portes le jour / et non l'inverse ? / […] Alors que le café fume tu le vois / par la fenêtre, s'ébrouer dans le ciel mauve / il n'a pas besoin de toi, encore moins / de ta volonté, pour tirer derrière lui / la couverture de la nuit et faire lever / la maison, le quartier. » La poète, dorénavant, se laisserait-elle porter ? Elle semble s'être en effet délestée de tout a priori, afin d'accueillir les jours et les nuits sans autre interprète qu'elle-même. Au risque de voir le poids des poèmes ne plus reposer que sur sa seule qualité d'attention. Tels des mouvements intérieurs, les mots hésitent, avancent à reculons, vont cahin-caha d'un vers à l'autre, avant de se libérer en rechignant à tout point final… Ne retrouve-t-on pas là ce qui se joue dans l'état d'indifférence préalable à la contemplation, puis à la méditation sur les bribes de notre quotidien ? C'est bien dans de tels interstices qu'Anne Dujin évalue sa présence au monde, sa mystérieuse permanence, qui est aussi la nôtre. En témoigne, parmi d'autres, le poème intitulé « Confinement » : « Les rideaux du jour s'allongent un peu plus / chaque soir et entrent obliques par les fenêtres / Quand on consent au silence on peut les voir / s'enrouler autour de l'axe de la Terre / dont nous avions oublié que c'est elle / qui tourne sous nos pieds. »