Patrick Goujon

ÉCOUTE ET SILENCE INTÉRIEUR
CHRISTUS N°223
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Patrick Goujon
J’écoutais en silence.René (Chateaubriand) Dimanche matin, onze heures, Théâtre du Châtelet à Paris. Les premières notes des Variations Goldberg font entendre le silence dont elles proviennent. Elles s’en détachent, ce serait encore trop dire : la musique ce matin-là faisait chanter le silence. La musique révélait ce dont il était gorgé ; le silence lui avait été nécessaire pour en venir là. Au terme d’une heure de musique, nous nous en retournions transformés. La musique s’était tue sans que le silence éteigne ce qu’il avait éveillé. Venu de cet obscur fond de scène d’où rien ne semblait pouvoir surgir, le silence portait le chant sans qu’il s’épuise ou sature l’oreille. Zhu Xiao-Mei, l’interprète de ce matin-là, n’avait-elle pas autrefois traversé l’horreur des camps, tenue par l’écoute intérieure de ces Variations ? Ce silence s’était à nous révélé force vive. Il invitait chacun à écouter le chant entonné en lui-même. On l’aura compris, le silence et la musique ne s’opposent pas comme le vide et le plein, celle-ci emplissant le creux de l’oreille jusqu’à l’obturer. La musique n’es...
Mots clés : Art (cinéma, peinture, sculpture) Ascèse Dieu Discernement Ecoute Espérance Jésus-Christ Silence Désert Désir
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LE JOURNAL DE SAINT IGNACE
CHRISTUS N°218
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Patrick Goujon
Cet article reprend une intervention donnée lors de la présentation au Centre Sèvres, en novembre 2007, de la nouvelle édition, par Pierre-Antoine Fabre, du Journal des motions intérieures de saint I gnace (Lessius, 2007). Le Journal, texte riche et complexe, mérite à lui seul d’être distingué au sein de l’oeuvre écrite d’Ignace de Loyola – et de son oeuvre tout court comme fondateur de la Compagnie de Jésus. Cette édition apporte beaucoup, tant du point de vue de l’établissement du texte que dans le travail de lecture que Pierre-Antoine Fabre accomplit et donne à accomplir à son lecteur. Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris), celui-ci étudie et enseigne depuis plus de vingt ans les écrits fondateurs de la Compagnie. Il a collaboré avec Maurice Giuliani à l’édition des Écrits d’Ignace (Desclée de Brouwer, coll. « Christus », 1991). Accomplissant son travail d’érudition critique, sa lecture conduit, selon ses termes mêmes, à des propositions, et non à une prise de position qui serait arrachée ou opposée aux interprétations données traditionnellement par des jésuites.   Une démarche éditoriale La meilleure de...
Mots clés : Compagnie de Jésus Discernement Expérience spirituelle Mystique Parole de Dieu Saint Ignace de Loyola
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DE LA DÉLECTATION À LIRE LES AUTEURS SPIRITUELS
CHRISTUS N°201
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Patrick Goujon
Si l'on en juge par leur étendue dans les rayons des libraires, les livres de spiritualité doivent effectivement procurer quelque bonheur et répondre, pour les chrétiens, à l'attente d'y trouver Dieu. Qu'advient-il dans la lecture spirituelle quand surgissent une expression ou une figure qui nous éclairent et nous réconfortent dans notre existence en désir de Dieu ? Nous nous réjouissons alors d'avoir senti le goût de Dieu, d'avoir reconnu son allure. Mais cette délectation est-elle bien la joie qui signe la présence de Dieu dans la pensée du lecteur ? N'est-elle pas illusion de nos sens, trompés à la lecture même ? Tentons d'éclairer cette question en nous confiant à l'expérience de maîtres spirituels et de gens de lettres. Rompus à l'art de la lecture, ils nous révéleront peut-être en quel esprit se délecter. IGNACE OU L'ATTENTION À LA DIFFÉRENCE Atteint par un boulet de canon au siège de Pampelune, Ignace est contraint de garder le lit. Comme il le raconte dans le Récit, « pour passer le temps », il s'adonne à la lecture des livres de chevalerie. Mais voilà que dans la maison qui le retient ne se trouvent qu'une Vie du Christ et la Légende dorée. Ignace observe que des pensées lui naissent au cours de la lecture. Elles...
Mots clés : Affectivité Combat spirituel Discernement Expérience spirituelle Joie Mensonge Motion Spiritualité ignatienne
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LA MYSTIQUE SELON SURIN
CHRISTUS N°193
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Patrick Goujon
Les itinéraires mystiques nous fascinent et ne laissent pas notre curiosité en repos. Mais qu'en faire pour notre vie de croyants ? La lecture spirituelle est réputée nous servir d'aide pour approfondir notre relation à Dieu. Nous choisissons alors une « vie de saints » ou, dans un genre plus courant aujourd'hui, un « témoignage », récit dont nous attendons, au moins secrètement, que nous puissions progresser dans notre attachement à Dieu. Nous lisons alors dans l'espoir de recevoir un encouragement. Mais en quoi consiste précisément cet effet espéré de la lecture spirituelle ? En quel sens nous inspirer du témoignage des croyants qui nous ont précédés ? La question se pose avec acuité pour ces itinéraires dont la singularité paraît hors de portée de notre existence ordinaire et d'une foi peut-être encore trop tiède. Une lettre de Jean-Joseph Surin, écrivain mystique du XVII’ siècle, au sujet de sainte Thérèse d'Avila pourra éclairer le rapport que nous entretenons aux textes mystiques. « A Monsieur Du Sault, conseiller au siège présidial de Guyenne. Monsieur, Il ne faut pas passer la fête de sainte Thérèse et son octave sans faire réflexion sur la grâce que le ciel nous présente...
Mots clés : Amour Contemplation Dieu Grâce Imagination Mystique Pédagogie Sainte Thérèse d’Avila Spiritualité ignatienne
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DOCTRINE SPIRITUELLE
CHRISTUS N°232
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Patrick Goujon
Éd. et prés. D. Salin. Desclée de Brouwer, coll. « Christus », 2011, 480 p., 37 euros. « Le grand nom qui domine le courant mystique parmi la Compagnie de Jésus en France est celui du P. Louis Lallemant (1588-1635) », déclarait Louis Cognet dans son Histoire de la spiritualité moderne (Aubier, 1966). Cette nouvelle édition procurée par Dominique Salin fera de redécouvrir cette oeuvre et son auteur. L’édition que François Courel avait donnée dans cette même collection en 1959 rendait certes Lallemant encore accessible, et les savants n’igno­raient ni la fortune de ce maître ni non plus les difficultés à disposer d’un texte fiable. Le mérite de l’édition qu’offre Dominique Salin est de rendre possible la lecture d’un texte sûr, autant qu’il est possible, éclairé par une introduction et des notes qui constituent une des meilleures introductions qui soient à la tradition spirituelle ignatienne et à l’épineuse question de ses transformations à l’époque moderne. Les problèmes d’édition de textes pourraient paraître relever de disputes byzantines s’ils ne permettaient de faire apparaître la nervure d’une oeuvre. Pourquoi ces enquêtes ? C’est qu’au fond Lallem...
Mots clés : Livres
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L’AFFECTIVITÉ CHEZ IGNACE DE LOYOLA
CHRISTUS N°233
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Patrick Goujon
Patrick GOUJON s.j. Centre Sèvres, Paris. A publié : Prendre part à l’intransmissible. La communication spirituelle à travers la correspondance de Jean-Joseph Surin (Jérôme Millon, 2008). Derniers articles parus dans Christus : « La relation de l’homme à Dieu selon Ignace » et « Pudeur et délicatesse » (n° 230HS, mai 2011).     À la faveur des renouveaux qui ont traversé l’Église, et comme en témoigne l’engouement pour des spiritualités hors frontières, l’affectivité a acquis dans nos manières de vivre et de penser une place qu’elle semblait n’avoir jamais eue dans le christianisme. L’affectivité n’est pas une dimension secondaire de notre humanité. Il y a affectivité parce que nous sommes des êtres de relations. Elles se vivent au travers de nos cinq sens dont l’unification forme la sensibilité, racine de nos manières d’être 1. Quelle place l’affectivité tient-elle dans les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola et de quoi celui-ci a-t-il hérité ? Poser cette question à notre passé devrait nous permettre de situer ces retours de l’affectivité dans nos propositions actuelles pour faire en sorte qu’elles soient des occasions d’évang&eac...
Mots clés : Affectivité Dieu Exercices spirituels Parole de Dieu Saint Ignace de Loyola Désir
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SUPPRESSION ET RÉTABLISSEMENT DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS
CHRISTUS N°245
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Patrick Goujon
En 2014, les jésuites ont célébré le bicentenaire de la restauration de la Compagnie de Jésus. Un colloque s’est tenu au Centre Sèvres à cette occasion. Le père Patrick Goujon, théologien et historien, a donné une conférence à ce sujet. L’article qui suit est la reprise de son propos. Entre 1773, date à laquelle est proclamé le bref de suppression de la Compagnie de Jésus, et 1814, quand est promulguée la bulle de son rétablissement, à peine quarante ans se sont écoulés. Mais ces années comptent double, si l’on peut dire : fin de l’Ancien Régime, Révolution française, guerres napoléoniennes et enfin congrès de Vienne qui, en 1814, donne à l’Europe des frontières et des régimes politiques nouveaux, même sous l’habit ancien des monarchies… Cependant, ces deux dates dessinent également un trompe-l’œil : les suppressions ont commencé bien avant la décision du pape Clément XIV. Quant au rétablissement, il a été précédé de multiples entreprises, dès les premières années qui ont suivi la suppression. Retraçons les grands moments de ces événements afin d’essayer de comprendre ce qui s&rsq...
Mots clés : Saint Ignace de Loyola Spiritualité ignatienne Histoire Jésuites
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L’ESPRIT DE VERDUN
CHRISTUS N°251
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de MAINDREVILLE Remi Patrick Goujon
Les célébrations qui viennent de se passer à Verdun font prendre conscience que la réconciliation franco-allemande, impensable il y a cent ans, a pourtant bel et bien eu lieu. Et voilà qui, d’un coup, fait sentir ce qu’est la brèche de l’espérance quand rien ne semble possible. Au-delà même du rêve et de l’imagination, tout ce qu’il faut traverser de violence, de résistance, ce qu’il faut mettre en œuvre pendant cent ans de renoncement, de conversion, d’alliances politiques et économiques, mais aussi de gestes humbles et patients, accueillir chez soi des familles qui autrefois étaient l’ennemi. Si la réconciliation a été possible ici, alors l’inespéré pourra se produire ailleurs, sur d’autres terres ensanglantées, mais ce ne sera jamais sans l’acharnement de ceux qui ne regardent pas leurs frères d’abord comme des ennemis. Aujourd’hui, en Syrie, dans des cités dévastées où les armes n’en finissent plus de tuer et d’opposer des familles déchirées, des religieuses et religieux scolarisent plus de 3 000 enfants sunnites, chiites et chrétiens d’Églises diverses. Ils apprennent, lisent, chantent, jouent ensemble, prient, dans l’espoir que, lorsque des aînés...
PIERRE JOSEPH DE CLORIVIÈRE
CHRISTUS N°253
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Patrick Goujon
  Lessius, « Christus », 2014, 448 p., 29 €. La vie du jésuite Pierre de Clorivière, héros de la traversée de la suppression et du rétablissement de la Compagnie de Jésus, se lit d'un trait comme un récit d'aventures. La clarté de l'écriture de Chantal Reynier, érudite sans pesanteur, et la vivacité d'une narration jamais romancée font revivre un personnage encore peu connu, longtemps oublié. Cette vie offre en outre une coupe à travers la fin de l'Ancien Régime, la Révolution française, l'Empire et la Restauration et donne à comprendre les transformations – en ruptures, résurgences et innovations – d'une période dense et pénible de l'histoire de l'Église en France. Ces qualités de style et de travail historiographique, loin de n'être que de pures formes, sont au service de l'intelligence d'un itinéraire spirituel, « contre vents et marées », et de questions de théologie de la vie religieuse : comment vivre d'une consécration au Christ quand elle est socialement rendue impossible ou ecclésialement improbable ? Ce n'est pas le moindre bienfait du livre de Chantal Reynier que de purger notre imaginaire de la résistance spirituelle en temps de tribulations. Certes, à lire aujourd'hui les écr...
DISCERNER POUR LA MISSION
CHRISTUS N°254
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Patrick Goujon
  À partir d’une analyse des Constitutions de la Compagnie de Jésus, l’auteur souligne ici que le fondement d’un discernement libre et vrai consiste en un travail de l’intelligence et en une prise en compte réelle des circonstances. L’appel au discernement se fait aujourd’hui plus pressant en Église. Est-ce une réaction face à la complexité des situations, une conséquence de l’épuisement de certains modèles de stratégie pastorale, l’espoir qu’une approche spirituelle ouvrira des passages ? Le discernement n’appartient pas en propre à la tradition jésuite mais il est au cœur de la vie de la Compagnie de Jésus. Les Exercices spirituels (Ex. sp.) en font la clé de voûte des manières de conduire sa vie pour prendre des décisions dans une plus grande liberté. En cela d’ailleurs, le discernement ignatien déborde la Compagnie et se propose à tous ceux qui se laissent initier par les Exercices. Cependant les Constitutions de la Compagnie de Jésus offrent des vues qui peuvent enrichir nos manières d’exercer le discernement en vue de la mission, d’un point de vue personnel et institutionnel. Nous proposerons simplement ici de lire le processus de discernement pour la mission tel qu’il se présente dans les Constitutions, laiss...
IGNACE DE LOYOLA
CHRISTUS N°255
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Patrick Goujon
  Le piège d'une biographie est de prendre son personnage pour une exception et l'abstraire de ses relations. Pour peu qu'il soit devenu saint, on perd encore plus son monde ; et Dieu cache l'homme. La question à laquelle on cherche à répondre – pourquoi un destin si singulier ? – s'enlise dans la narration des exploits et le tableau des vertus. Le lecteur s'ennuie. Enrique García Hernán le passionne : son Ignace de Loyola nous enracine dans la chair sociale, politique et culturelle d'un monde religieux qui se délite et dont la nouvelle figure n'émerge qu'après coup, à l'insu de ceux qui sont à l'œuvre. Leur main droite ignore ce que fait leur main gauche ; Dieu ne se devine qu'à ses traces. Cette vie ne suit pas un modèle de perfection qui conduirait à faire d'Ignace un saint, fondateur de la Compagnie. Une question la travaille : « essayer de comprendre comment la Compagnie de Jésus a été possible dans ces conditions pénibles » puisqu'en effet, ce Loyola, Iñigo, fils d'une grande famille noble du Pays basque, pris dans les conflits des clans de Navarre, ne fut « pas un homme de guerre, tout soldat qu'il ait été, ni un noble de grande notoriété, bien qu'il en ait connu ; qu'il n'avait pas de dons d'exception pour l'étude et l'écriture, bien qu...
FEMMES ET DIRECTION SPIRITUELLE AU XVIIE SIÈCLE
CHRISTUS N°255
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Patrick Goujon
  Sainte Jeanne de Chantal et saint François de Sales, ou Elmire et Tartuffe ? Deux figures de dirigées et de directeurs au XVIIe siècle. Certes, un de ces couples n'existe que sur les planches, par la force de l'imagination comique d'un Molière. Peut-être a-t-il puisé dans les abus de l'actualité ; sans aucun doute se souvient-il des prêtres des farces médiévales, vicieux sans vergogne. Quant à Jeanne de Chantal, son amitié pour l'évêque genevois, si elle fut pour lui un profond appui, se coulait dans les formes d'une obéissance dont on ne sait plus que penser aujourd'hui. Parler des femmes dans la direction spirituelle au XVIIe siècle, c'est nécessairement considérer leur rapport avec les hommes, et le faire à l'intérieur des relations qui se tissent entre Église et société. Car s'il y eut des saintes, et de grandes, célèbres, canonisées, et s'il en est dont la sainteté demeure à jamais oubliée, combien de femmes durent être dirigées, redressées même, sans parler de celles qui furent jugées et condamnées1. Parce que, souvent, nos lectures spirituelles, par lesquelles les « dames du temps jadis » nous sont connues, nous parviennent aux termes d'une intense sélection, de réécr...
L'ASSISE ET LA PRÉSENCE
CHRISTUS N°256
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Patrick Goujon
Ce n'est pas le moindre intérêt de ce petit ouvrage que de faire valoir la place décisive du corps dans la tradition chrétienne de la prière. Place méconnue, oubliée sans doute en partie, que la rencontre des traditions de méditation de l'Orient bouddhique a remise sur le devant de la scène chrétienne. Pourtant, ici, pas l'ombre d'un syncrétisme, pas le moindre soupçon d'assaisonnement à la mode : la tradition pure, vivante et parfois drôle, puisée largement aux Pères du désert. « Le moine se reconnaît non à ses paroles et à ses discours mais à son assise en silence », selon saint Jérôme, si on doutait de cette longue tradition. La culture de l'intériorité, avant d'être veille sur les pensées, et moins encore astreinte du corps, est positionnement devant Dieu, qui commence par là où les choses adviennent à l'Homme. Avec précision et simplicité, l'auteur expose ensuite ce qu'il en est du souffle dans cette assise, de l'appui que l'Homme y prend, sans négliger de souligner la singularité de la relation à Dieu, où le corps est l'expression du respect. Les chapitres suivants, conformément au titre, en viennent à cette autre tradition de la prière sur le Nom, l'oraison de simple regard, o&ugra...
EXIGENCE ET BIENVEILLANCE
CHRISTUS N°260
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Patrick Goujon
Exigence et bienveillance ? La question n’est pas de savoir s’il faut être exigeant ou bienveillant, un peu, beaucoup, pas du tout, mais pourquoi il est question d’exigence et de bienveillance dans l’accompagnement. C’est ainsi qu’Ignace de Loyola entend répondre à la demande d’aide.Ignace de Loyola nous propose de prendre soin de notre vie spirituelle dans des conversations pour que nous puissions trouver, en nous situant devant Dieu, chacun notre place dans l’Église et dans la société. C’est parce qu’Ignace fait jouer à la conversation un rôle central qu’il nous faut entrer dans une attitude bienveillante pour permettre à chacun d’honorer l’exigence qui lui est faite de tenir sa place devant Dieu. Non seulement la bienveillance est-elle requise du fait même que notre vie spirituelle grandit dans la conversation, mais encore la part du travail qui nous revient dans la vie spirituelle est de trouver notre place devant Dieu, dans le monde et avec autrui, et que cela se révèle à chacun comme une exigence intérieure. Nous sommes invités à prendre soin de la parole pour la croissance de notre vie intérieure. Notre vie spirituelle grandit dans la conversation On peut partir de cette considération élémentaire : les conversations que nous avons entre nous aident &agr...
JEAN DE LA CROIX OU LE DÉSIR ABSOLU
CHRISTUS N°267
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Patrick Goujon
Albin Michel, 2020, 256 p., 19,90 €.Alain Cugno offre un livre fort, fruit d'un itinéraire philosophique et spirituel inauguré il y a quarante ans par un précédent livre, sobrement intitulé Saint Jean de la Croix (Fayard, 1979). Plus que par un commentaire de l'œuvre, Cugno nous entraîne à penser, avec Jean de la Croix, l'aventure de la rencontre de chacun avec Dieu. L'œuvre de Jean de la Croix a, en cela, valeur universelle.Il faut noter ce qui étonnera sans doute : Cugno arrache son auteur à une interprétation biographique. Ce qui compte n'est pas de savoir ce qui s'est passé pour Jean de la Croix mais de comprendre ce qu'il écrit à propos d'un personnage qui s'appelle l'âme et qui est tout sauf le moi de Jean de la Croix. Ce choix, fondé sur la lecture attentive du texte, ouvre à une réflexion plus riche que ne le proposerait une lecture qui, bien que fidèle et croyante, biaise la démarche du carme espagnol.Arrêtons-nous sur ce qui fera peut-être le plus difficulté dans la réception du livre et qui fait son prix, parce qu'il prend à rebours une conception commune de l'amour et de Dieu. Cugno relève d'abord l'évidence sanjuaniste : la relation amoureuse entre l'âme et l'Aimé se fait dans les termes de l'amour humain. Mais la force révélatrice...
DISCERNEMENT ET AMOUR DE DIEU
CHRISTUS N°270
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Patrick Goujon
Depuis Amoris lætitia du pape François, il est beaucoup question en Église du discernement. Le risque est d’en restreindre la pratique à la prise de décision, là où il s’agit d’abord de repérer comment Dieu cherche à se donner à nous pour que nous vivions. La tradition ignatienne apprend à découvrir que l’œuvre de Dieu au quotidien est la source de la vie spirituelle et qu’elle s’identifie à son amour pour nous. À la suite de ceux qui me l’ont enseigné, je reviens ici sur une proposition spirituelle qui consiste à prier avec la « Contemplation pour atteindre l’amour » (Exercices spirituels, 230-237) dans la vie ordinaire, afin d’ancrer la pratique du discernement dans la reconnaissance concrète de l’amour de Dieu. Pour ce faire, nous présenterons d’abord la place et le sens de l’Ad amorem dans l’itinéraire des Exercices et comment cette prière, d’un genre particulier, nous aide à enraciner le discernement au cœur de la vie spirituelle, et non pas à en faire une technique inspirée des Exercices qui échapperait au dynamisme de la vie de l’Esprit en nous1. L’Ad amorem dans les Exercices spirituels Il faut rappeler ici, même brièvement, quelques éléments fondamentaux des Exercices : la place de la « Contemplation pour atteindre l’amour », l’unification de la vie spirituelle par l’élection et le rôle de cette contemplation. L’Ad amorem apparaît au terme de la quatrième semaine. Nombreux sont les commentateurs qui, de ce fait, la considèrent simplement comme l’étape finale de...
DISCERNER POUR LA MISSION
CHRISTUS N°258HS
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Patrick Goujon
L'appel au discernement se fait aujourd'hui plus pressant en Église. Est-ce une réaction face à la complexité des situations, une conséquence de l'épuisement de certains modèles de stratégie pastorale, l'espoir qu'une approche spirituelle ouvrira des passages ? Le discernement n'appartient pas en propre à la tradition jésuite mais il est au cœur de la vie de la Compagnie de Jésus. Les Exercices spirituels (Ex. sp.) en font la clé de voûte des manières de conduire sa vie pour prendre des décisions dans une plus grande liberté. En cela d'ailleurs, le discernement ignatien déborde la Compagnie et se propose à tous ceux qui se laissent initier par les Exercices. Cependant les Constitutions de la Compagnie de Jésus offrent des vues qui peuvent enrichir nos manières d'exercer le discernement en vue de la mission, d'un point de vue personnel et institutionnel. Nous proposerons simplement ici de lire le processus de discernement pour la mission tel qu'il se présente dans les Constitutions, laissant à notre jugement de décider comment nos « planifications apostoliques » pourraient aujourd'hui en tirer parti.La liberté de se décider en missionPortons notre regard sur la septième partie des Constitutions, consacrée à l'envoi en mission, et plus particuli&egrav...
LA CONVERSION D'IGNACE
CHRISTUS N°273
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Patrick Goujon
Le récit de vie d'Ignace atteste que la conversion ne constitue qu'une étape première. Il révèle plutôt la force d'un désir à recevoir et à travailler dans les conditions concrètes où le converti se trouve, non dans la poursuite d'un imaginaire de sainteté. Parler de conversion dans la vie d'Ignace de Loyola, c'est lui appliquer un terme qui n'appartient ni à son vocabulaire, ni à sa vision de l'existence chrétienne. Non qu'Ignace refuse de voir sa vie se transformer en réponse à l'appel de Dieu, bien au contraire. Mais ce qui retient Ignace dans son Récit, comme dans les Exercices spirituels ou les Constitutions, c'est l'œuvre de Dieu et la manière dont elle permet à chacun de donner forme librement à son existence. Au mouvement de la conversion, qui implique un retournement, Ignace préfère celui de l'ordonnancement qui articule les temps d'un travail du désir et la découverte de sa juste mesure à la recherche de Dieu en toutes choses. Nous proposons de parcourir le Récit en nous questionnant sur le genre littéraire auquel ce texte appartient, car il détermine le sens que le lecteur lui donne : face à ce que nous prenons pour un récit de vie, nous sommes ici conviés à interroger le regard que nous portons sur le « saint fondateur » et à sortir d'un rapport d'imitation. Le Récit déloge son lecteur et barre la route à ce qui pourrait susciter de l'admiration afin que soit attisé, dans le lecteur, son propre désir de servir Dieu, en découvrant comment il fortifie en lui « l...
LA COLLABORATION ENTRE JÉSUITES ET LAICS
CHRISTUS N°280
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Patrick Goujon
Cet article est la reprise d'une conférence donnée en décembre 2022 lors d'une rencontre entre jésuites de la Province d'Europe occidentale francophone, amis, collaborateurs et partenaires dans la mission. Il donne à voir l'intelligence d'Ignace de Loyola concernant les interactions des premiers compagnons de Jésus avec leurs contemporains. La collaboration entre jésuites et laïcs est, aujourd'hui pour la Compagnie, une réalité vivante et complexe. On aurait peine pourtant à trouver, de manière directe, un modèle dans les écrits d'Ignace, tant la réalité sociale, politique et religieuse de notre temps est différente. Pour autant, à considérer comment Ignace concevait l'action des jésuites et leurs relations avec la société, se dessine nettement une manière de faire : elle exige la conversion des jésuites dans leur rapport au pouvoir – et donc la reconnaissance des formes du pouvoir religieux – et le partage, selon des intérêts distincts des partenaires, d'un projet commun où tous sont invités à reconnaître l'action de Dieu. La distance entre le monde d'Ignace et le nôtre Nous vivons dans une société démocratique qui pose pour principe l'égalité des citoyens devant la loi, même si ce principe connaît dans la réalité des entorses et des violations. En outre, la séparation des pouvoirs est fondatrice. Il en allait tout autrement au temps d'Ignace, à l'aube de transformations politiques d'envergure. À la Renaissance, le principe d'égalité n'existait ni en fait, ni en droi...