Jésuite, professeur d’Écriture sainte au Centre Sèvres (Paris) et à l’Institut biblique pontifical (Rome).
A récemment publié Simon Pierre dans le Nouveau Testament (Salvator, 2019).
JÉSUS, LE JUSTE JUGE
CHRISTUS N°222
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Marc RASTOIN
«Le juge, c’est Dieu ! » (Ps 50,6). Cette exclamation du psalmiste décrit bien la conviction commune de tous les Juifs au temps du Christ. Il y a bien un juge qui jugera et les hommes et les nations : « L’impie méprise le Seigneur et dit dans son coeur : “Tu ne demanderas pas des comptes” (cf. Ps 10,13). À cela Rabbi Hanina répond : “Il y a un jugement et il y a un juge !” » 1. Ce qui pourrait apparaître comme une menace est en réalité une espérance. Le jugement de Dieu n’est pas d’abord une mauvaise nouvelle, car la foi que Dieu veut le salut de son peuple et, plus profondément, aime la vie de toutes ses créatures habite tant le Livre que le culte. La foi biblique est traversée de part en part par cette foi que Dieu est le seul juste juge. Aucun empire humain ni aucune autorité ne peut se substituer à lui.
Dans l’Évangile, Jésus partage cette foi avec ses interlocuteurs juifs. De nombreuses paraboles, images et paroles témoignent de cette conviction profonde. Dieu fera justice, car il est dans sa nature d’être un juste juge : « Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit tandis qu’il patiente à leur sujet ? Je vous dis qu’il leur fera prompte justice » (Lc 18,7-8a). Pourtant, Jésus a des accen...
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Discernement
Jésus-Christ
Jugement dernier
Justice
Salut
Vérité
Temps
Cinéma
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LE CANON DES ÉCRITURES
CHRISTUS N°218
-
Marc RASTOIN
Quelle autorité accorder au canon des Écritures ? Pourquoi certains écrits chrétiens n’y ont-ils pas été retenus ? Qui dans l’Église en a décidé et sur la base de quels critères ? En quoi l’autorité que nous reconnaissons à nos Écritures canoniques renvoie effectivement à l’autorité du Christ sans la masquer ? Ces vieilles questions sont revenues au premier plan, d’une part en raison de la découverte des manuscrits de Qumran en 1947 et d’autre part en raison de la grande mode des écrits gnostiques chrétiens depuis une trentaine d’années. Il est si tentant de vouloir, comme l’on dit, « accéder directement aux textes », sans passer par la médiation d’une Église, vue comme prompte à la dissimulation. Pourtant, sans les communautés porteuses du canon, pas d’Écritures. Il y a un renvoi mutuel entre communauté, credo et Écriture.
Dans un premier temps, il convient d’insister sur le statut second d’une Écriture qui renvoie à un autre qu’elle-même. Dans un second temps, pourra être rappelé comment s’est historiquement constitué le canon catholique des Écritures.
Pas d’Écriture sans Esprit Saint
Un premier rappel s’impose :...
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Bible
Catholicisme
Eglise
Esprit
Evangile
Foi
Liturgie
Sainteté
Tradition
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LES JUIFS CONVERTIS DANS LA COMPAGNIE NAISSANTE
CHRISTUS N°211
-
Marc RASTOIN
L’anecdote est célèbre. Discutant avec un Espagnol, Ignace lui aurait déclaré souhaiter être d’origine juive. Devant l’effarement de son interlocuteur, il s’explique, affirmant qu’il aurait considéré comme un immense honneur d’être du même sang que Notre Seigneur et Notre Dame. Et le plus étonnant de l’histoire, c’est qu’il aurait convaincu son interlocuteur 1 ! Rien ne dit mieux quel était le charisme d’Ignace pour la conversation spirituelle et son attachement à la personne charnelle, concrète, de Jésus. Les poisons du siècle d’or espagnolL’Espagne du siècle d’or était minée par deux poisons : le premier d’origine interne, cette obsession de provenir d’une souche de vieux chrétiens, et non de Juifs ou de musulmans convertis. Le second d’origine externe, le flux de métaux précieux d’Amérique, qui provoqua inflation et fuite des capitaux. L’Espagne représente sans doute ce qu’il y a de plus novateur dans la théologie catholique grâce à ses universités de Salamanque et d’Alcalá. Un renouveau spirituel y est à l’oeuvre depuis la fin du XVe siècle, lequel suscite par exemple l’écriture de manuels d’exercices spirituels mais a...
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Compagnie de Jésus
Eglise
Judaïsme
Saint Ignace de Loyola
Conversion
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LE DON DU CHRIST
CHRISTUS N°207
-
Marc RASTOIN
Bayard, coll. « Christus », 2005,243 p., 19,80 €.
L'auteur, jésuite français, longtemps professeur d'exégèse à l'Institut Biblique à Rome et président de la Commission biblique pontificale, est certainement le meilleur spécialiste actuel de la Lettre aux Hébreux. Mais ce n'est pas d'abord un ouvrage d'exégèse qu'il nous propose ici. Il s'agit plutôt pour lui de méditer sur la prière et l'offrande que le Christ a fait de sa vie, sur lesquelles cette lettre offre de très riches perspectives. Sa conviction est précisément qu'entrer dans ce texte, dense et parfois difficile, déploie des horizons spirituels insoupçonnés et qui n'ont pas pris une ride.
La première partie est sans doute la plus accessible. Elle montre comment la prière du Christ, notamment à Gethsémani, demeure pour nous un encouragement. Loin d'être mise à part, la prière est le coeur de la vie : « A l'exemple de Jésus et avec la force obtenue par son sacrifice, la vie chrétienne doit continuellement unir ces deux dimensions : l'offrande de la prière et l'offrande de la charité. »
Dans la partie centrale, le P. Vanhoye nous fait entrer dans une lecture rigoureuse et fine du texte de la Lettre aux Hébreux, n'hésitant pas à attirer notre attentio...
LE SENS PROPHÉTIQUE DE LA FIERTÉ CATHOLIQUE
24 OCTOBRE 2011
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Marc RASTOIN

La première raison du succès des JMJ est qu'elles permettent à des jeunes de s'afficher catholique dans un contexte où cela devient, année après année, de plus en plus difficile. Même si l'Eglise se maintient encore quelque peu en Pologne ou en Italie, dans les autres pays traditionnellement catholiques, (France, Espagne, Belgique, une partie de l'Allemagne et de la Hollande, etc) il est difficile, voire quelque peu honteux, de se dire catholique. La majorité des jeunes est sans 'religion' tandis que jeunes juifs et musulmans affichent, eux, leur foi sans complexe. Les JMJ croissent en ce sens à la mesure de l'essoufflement sociologique majeur que vit le catholicisme européen, qui, tel un boxeur sonné de coups, vit son quotidien sous le signe de scandales honteux à répétition, de réduction drastique du nombre de prêtres, d'une ringardisation médiatique croissante de sa foi et d'un appauvrissement croissant de sa culture catéchétique. Les observateurs s'étonnent que le succès soit là, quel que soit le pape. Mais justement, c'est cela le pape! Ce qui compte, c'est que ce soit le pape, et non ce pape. N'importe quel pape en un sens. Il est le symbole de l'unité catholique. De l'unicité de son ancrage historique, de sa profondeur théologique, de son sérieux en un mot....
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Action
Amitié
Catholicisme
Eglise
Evangélisation
Foi
Louange
Media
Prophète
Universalité
Conversion
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LA VIE CHRÉTIENNE COMME UNE COURSE
CHRISTUS N°247
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Marc RASTOIN
A Corinthe, les jeux isthmiques eurent sans doute lieu en 51. La ville se vantait d’abriter l’un des quatre grands jeux panhelléniques avec les jeux olympiques (d’Olympie), les jeux pythiques (de Delphes) et les jeux néméens (de Némée, non loin de Corinthe). Dans ses écrits, et notamment dans ses lettres aux Corinthiens, Paul emploie plusieurs fois des métaphores inspirées de ces compétitions entre cités qui étaient un élément majeur de la culture grecque. Pourquoi le fait-il et comment le fait-il ? Et, plus important, qu’estce que ces exemples pris dans la culture antique peuvent nous dire de la vie chrétienne ?
Pratiques païennes
Force est de constater que Paul emploie de nombreuses fois cette métaphore pour parler de la vie des croyants et d’épisodes de sa vie personnelle sans jamais pour autant la critiquer d’un point de vue religieux. Pourtant n’était-il pas un Juif pharisien et fier de l’être (cf. Ph 3,5) attaché aux traditions de ses Pères (cf. Ga 1,14) ? Et les Juifs n’étaient-ils pas de farouches adversaires de ces pratiques païennes ? Les récits du livre des martyrs d’Israël racontent l’opposition à la culture grecque qui est – en partie – à l’origine de la révolte de la Jud...
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Dieu
Exercices spirituels
Expérience spirituelle
Foi
Sport
Spiritualité
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JUIFS ET CHRÉTIENS, PARTENAIRES DE L’UNIQUE ALLIANCE
01 JUILLET 2016
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Marc RASTOIN
Ce livre est inclassable : il ne s’agit ni d’une série de biographies, ni d’un essai théologique, ni d’une analyse thématique du dialogue judéo-chrétien. Il s’agit plutôt d’une plongée dans la constellation des grandes figures, connues ou inconnues, qui ont œuvré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (et souvent dès avant) pour que les relations entre juifs et chrétiens changent radicalement de nature. Au-delà des questions, de plus ou moins grande portée, qui ont nourri ce dialogue, on découvre surtout un réseau d’amitiés et de contacts, un vaste réseau informel où les amitiés se développent selon des trajectoires parfois surprenantes. On mesure mieux à quel point le rapprochement entre chrétiens et juifs a progressé en premier lieu en raison de liens humains d’amitié, que le dialogue est d’abord une affaire de corps et d’esprit, de personnes bien concrètes qui nouent peu à peu des liens de confiance et d’estime. Le livre, dense, riche et documenté, tout en étant de lecture aisée, nous fait découvrir d’abord la figure majeure d’Emmanuel Levinas puis l’incroyable complicité qui unissait Colette Kessler, inlassable enseignante juive engagée de tout son c&oe...
JUIFS ET CHRETIENS PARTENAIRES DE L UNIQUE ALLIANCE
CHRISTUS N°251
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Marc RASTOIN

Préface de Marguerite Léna. Parole et Silence, 2015, 292 p., 25 €.
Ce livre est inclassable : il ne s’agit ni d’une série de biographies, ni d’un essai théologique, ni d’une analyse thématique du dialogue judéo-chrétien. Il s’agit plutôt d’une plongée dans la constellation des grandes figures, connues ou inconnues, qui ont œuvré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (et souvent dès avant) pour que les relations entre juifs et chrétiens changent radicalement de nature. Au-delà des questions, de plus ou moins grande portée, qui ont nourri ce dialogue, on découvre surtout un réseau d’amitiés et de contacts, un vaste réseau informel où les amitiés se développent selon des trajectoires parfois surprenantes. On mesure mieux à quel point le rapprochement entre chrétiens et juifs a progressé en premier lieu en raison de liens humains d’amitié, que le dialogue est d’abord une affaire de corps et d’esprit, de personnes bien concrètes qui nouent peu à peu des liens de confiance et d’estime. Le livre, dense, riche et documenté, tout en étant de lecture aisée, nous fait découvrir d’abord la figure majeure d’Emmanuel Levinas puis l’incroyable complicit...
LE MINISTÈRE DE PAUL
CHRISTUS N°254
-
Marc RASTOIN

de Benoît Standaert - Médiaspaul, 2016, 232 p., 18 €.
Benoît Standaert est un bénédictin, exégète, spécialiste du Nouveau Testament. Ce petit livre sur saint Paul est à la fois classique et original. Il emprunte sa structure à une phrase de la tradition juive tirée des Maximes des Pères, texte fondateur de la Mishna, repris dans la liturgie, et qui énonce que « le monde repose sur trois piliers : l'étude de la Torah, le culte divin [la liturgie] et les œuvres de miséricorde ». L'auteur présente en conséquence les lettres de Paul en montrant la culture biblique de celui-ci et la façon dont il recourt aux Écritures, en relevant la place fondamentale de la prière dans la vie et les écrits pauliniens et enfin en soulignant la place majeure accordée à la « charité », l'agapè. Si cette répartition thématique est originale, le parcours est fort classique. Des passages assez longs des lettres sont lus puis expliqués, de façon synthétique et spirituelle à la fois. Devant sans doute son origine à une retraite, le livre cite à l'occasion des auteurs spirituels des siècles ultérieurs. Si l'auteur est clairement au fait des derniers travaux exégétiques, i...
DU SACRIFICE
CHRISTUS N°255
-
Marc RASTOIN

Cet ouvrage appartient à une catégorie fort rare. Il s'agit en effet d'un essai à la fois concis, original et interdisciplinaire sur un sujet ancien et très débattu : le sens et la place du « sacrifice » dans les affaires humaines. Il part d'une analyse de la place du « sacrifice à » dans la tradition biblique, en dialogue avec les grands noms de ce domaine, à commencer bien sûr par René Girard. Dans un deuxième volet, il se penche sur les États modernes et leur incroyable propension à mobiliser la capacité humaine de se « sacrifier pour ». Comment passe-t-on, dans les langues anciennes comme dans les langues modernes, de l'antique notion d'un sacrifice offert à la divinité à l'idée que l'on peut, voire doit, se sacrifier soi-même pour autrui ou pour une cause ? En passant, l'auteur aborde la notion maussienne du don et du contre-don, la conception du martyre comme un acte mystique d'amour à partir de l'époque chrétienne (en étant proche du Mourir pour Dieu de Daniel Boyarin, Bayard, 2004), la description de l'aumône au pauvre comme un prêt fait directement à Dieu et qui rend celui-ci notre débiteur, et bien d'autres questions. Sur cet itinéraire en partie mystérieux, Halbertal se livre à des analyses tou...
JE VOUS ÉCRIS DE LA TERRE SAINTE
CHRISTUS N°257
-
Marc RASTOIN

David Neuhaus est sans contexte un être rare : juif et prêtre jésuite, Israélien et arabophone, Sud-Africain durant sa jeunesse, ayant découvert le christianisme grâce à une moniale orthodoxe, il décide de devenir catholique. Dans l'introduction de ce recueil d'articles, il se présente lui-même sobrement et retrace les étapes de l'itinéraire de celui qui est maintenant le vicaire patriarcal des catholiques de langue hébraïque. Cette population, minuscule il y a vingt ans, augmente en effet rapidement à la suite du développement de l'immigration en Israël de catholiques de toutes origines : Philippines, Kenya, Inde, etc. Les interventions réunies dans ce volume ne regroupent pas tous les écrits mais seulement ceux publiés ces dernières années. Ce sont des articles accessibles qui cherchent à faire comprendre les subtilités tant de la situation des chrétiens au Proche-Orient que de celle des juifs qui croient en Jésus. Ils sont répartis en trois groupes. Dans le premier, centré sur la question de la « Terre sainte », on trouve l'analyse que Neuhaus faisait à la veille du voyage du pape François en 2014, tout comme à celle de Benoît XVI en 2009. On peut y ajouter une synthèse sur la situation des chrétiens au Moyen-Orie...
JÉSUS, AU RYTHME DES HOMMES, AU RYTHME DE DIEU...
CHRISTUS N°260
-
Marc RASTOIN
Comment Jésus habitait-il le temps ? Il est difficile pour l'homme du XXIe siècle de dire ce que pouvait ressentir celui du Ier siècle. La lecture des évangiles permet de révéler comment Jésus s'est laissé porter par les rythmes sociaux et religieux de son temps, mais aussi comment il s'est accordé au rythme de Dieu pour entrer dans son dessein de salut.
Comment Jésus habite-t-il le temps ? D'emblée, il nous faut reconnaître l'écart qui nous sépare de ce que pouvait ressentir un homme du Ier siècle de notre ère. Grand est le risque de commettre des anachronismes. Ils peuvent être remplis de bonnes intentions mais ils nous en diront sans doute plus sur notre temps que sur celui de Jésus lui-même. Nous essaierons de partir du plus incontestable pour aller vers le plus insaisissable et délicat, la spécificité de l'homme Jésus dans son caractère propre, tel que nous pouvons essayer de mieux le cerner à partir du matériel évangélique.
Au rythme des saisons
Jésus vient du monde rural galiléen. Et les métaphores et les images venant du rythme de la campagne viennent spontanément dans sa bouche. Jésus évoque la patience du paysan qui sème et espère en une bonne récolte (cf. Mc 4,3-9). Celle de celui qui a sem...
LE MONOTHÉISME ET LE LANGAGE DE LA VIOLENCE DE JAN ASSMANN
CHRISTUS N°261
-
Marc RASTOIN

Dire que le monothéisme est intrinsèquement porteur de violence est devenu un lieu commun de la culture occidentale. Dans la sphère de langue allemande, et bien au-delà, Jan Assmann, auteur de nombreux ouvrages sur la question, est devenu un spécialiste du thème. Son propos semble s'appuyer sur de nombreuses sources mais qu'en est-il exactement ? Notons d'entrée que son approche est celle d'un amateur dans le champ exégétique et théologique. C'est ainsi, par exemple, qu'il semble découvrir le caractère récent et théologique du topos de la persécution des prophètes. Assmann est d'abord un égyptologue, un archéologue et un essayiste. Attention, cependant ! L'homme est cultivé, intelligent et à prendre très au sérieux. Son analyse pousse à réfléchir sur la façon dont une certaine conception du monothéisme, qu'il appelle « monothéisme de vérité » (par distinction avec le « monothéisme de fidélité », centré sur le maintien de l'alliance avec le Dieu du salut plus que sur la dénonciation des idoles) a pu susciter un langage incitant à la violence envers les tièdes. Certains passages sont vraiment suggestifs : c'est ainsi qu'il montre combien la récurrence du thème des...
MYSTICA DE STÉPHANE BARSACQ
CHRISTUS N°264
-
Marc RASTOIN

Le recueil d'aphorismes est un genre difficile mais qui peut être lumineux. Il s'agit, en peu de phrases, de dire une intuition, de défier son lecteur par une ligne énigmatique et de prendre sciemment le risque de soumettre son « je » à une permanente exposition. Appartenant depuis longtemps au monde du journalisme et de l'édition, Stéphane Barsacq révèle ici qu'il est un homme de lectures et d'écoute, de convictions et de foi. Conformément à la maxime talmudique qui impose de citer ses sources, il rend explicitement hommage à ceux qu'il appelle ses maîtres, en particulier Simone Weil, Edmond Jabès et Yves Bonnefoy et qui ne sont tels que dans la mesure même où ils ne veulent pas de disciples serviles mais que d'autres deviennent auteurs, et donc libres, à leur tour. Confronté à cette parole habitée, libre, fulgurante parfois et souvent dérangeante, le lecteur sera sans cesse renvoyé à sa propre foi et à ses propres choix (de vie, comme de lecteur). C'est à quelque chose d'extrêmement délicat que s'est risqué Stéphane Barsacq, tant il est difficile de parler sous cette forme ramassée, paradoxale souvent, et provocante parfois, de choses délicates sur lesquelles notre société préfère se taire, quand elle ne cherche...
JESUS AVANT LE CHRIST
01 AVRIL 2020
-
Marc RASTOIN
Presses de la renaissance, 2019, 300 p., 20 €.Armand Abécassis est une figure bien connue de la communauté juive française : auteur d'une somme sur la pensée juive (1987), il est également depuis longtemps engagé dans le dialogue judéo-chrétien, comme en témoignait déjà son En vérité je vous le dis. Une lecture juive des évangiles (Éditions 1, 1999). Dans cet ouvrage de style oral et aisé, il nous partage quelques-uns de ses travaux sur l'enseignement de Jésus et le style des évangiles. Trois parties composent l'ouvrage ainsi qu'une grande conviction : Jésus de Nazareth a été un Juif de son temps pleinement enraciné dans son peuple et les débats religieux qui agitaient celui-ci, un maître fort et original, pas un marginal bizarre. Armand Abécassis s'inscrit ainsi dans ce grand courant juif qui, depuis un siècle environ, redécouvre Jésus le Juif après dix-huit siècles d'enseignement où celui-ci fut situé en contre-position du judaïsme. Une première partie montre comment Luc et Matthieu ont conçu leurs évangiles de l'enfance à la façon du Midrash (où il rejoint au fond les travaux d'André Paul dès la fin des années 1960). Une deuxième partie se penche sur les B&e...
LE MONOTHEISME ET LE LANGAGE DE LA VIOLENCE
01 AVRIL 2020
-
Marc RASTOIN
Bayard, 2018, 220 p., 21,50 €.Dire que le monothéisme est intrinsèquement porteur de violence est devenu un lieu commun de la culture occidentale. Dans la sphère de langue allemande, et bien au-delà, Jan Assmann, auteur de nombreux ouvrages sur la question, est devenu un spécialiste du thème. Son propos semble s'appuyer sur de nombreuses sources mais qu'en est-il exactement ? Notons d'entrée que son approche est celle d'un amateur dans le champ exégétique et théologique. C'est ainsi, par exemple, qu'il semble découvrir le caractère récent et théologique du topos de la persécution des prophètes. Assmann est d'abord un égyptologue, un archéologue et un essayiste. Attention, cependant ! L'homme est cultivé, intelligent et à prendre très au sérieux. Son analyse pousse à réfléchir sur la façon dont une certaine conception du monothéisme, qu'il appelle « monothéisme de vérité » (par distinction avec le « monothéisme de fidélité », centré sur le maintien de l'alliance avec le Dieu du salut plus que sur la dénonciation des idoles) a pu susciter un langage incitant à la violence envers les tièdes. Certains passages sont vraiment suggestifs : c'est ainsi qu'il montre com...
VIVRE APRÈS LA FOUDRE
CHRISTUS N°267
-
Marc RASTOIN

L'événement de la rencontre du Christ sur la route de Damas signifie pour Paul d'accueillir pleinement le don gracieux qui lui est fait et de se laisser faire, tout en restant tendu vers son but qui est de choisir à tout instant la fidélité au Seigneur.
La vie d'un homme se joue souvent dans quelques moments rares. Il peut s'agir d'une décision, d'une action entreprise ou, au contraire, d'un événement purement subi, comme une maladie ou un acte arbitraire commis par d'autres à son encontre. Ces instants décisifs peuvent se situer à tout moment dans le parcours d'une vie, à un âge relativement jeune (comme la décision de se marier ou d'entrer dans la vie religieuse) ou à un âge plus avancé (à l'occasion d'une démission ou d'un accident de santé). Il en va des apôtres et des saints comme de tout un chacun, sur ce point.
J'aimerais commencer en partant d'un film, tiré d'une pièce de théâtre, intitulé Les deux papes1 et qui porte sur le parcours de vie de Jorge Mario Bergoglio et de Joseph Ratzinger. L'une des intuitions les plus pénétrantes du scénario est de mettre en contraste deux moments de « crise » vécus par ces deux hommes. Pour le premier, il advient assez tôt, au mitan de sa vie : sorti de sa charge de provincial, durement critiqué par beaucoup, se reprochant lui-même beaucoup, cet homme doit de nouveau ratifier l'appel dont il croit profondément qu'il a bénéficié plus de vingt ans auparavant. Pour le second, il survient sur le tard, alors qu'il se sent de plus en p...
JESUS AVANT LE CHRIST
CHRISTUS N°267
-
Marc RASTOIN
Presses de la renaissance, 2019, 300 p., 20 €.Armand Abécassis est une figure bien connue de la communauté juive française : auteur d'une somme sur la pensée juive (1987), il est également depuis longtemps engagé dans le dialogue judéo-chrétien, comme en témoignait déjà son En vérité je vous le dis. Une lecture juive des évangiles (Éditions 1, 1999). Dans cet ouvrage de style oral et aisé, il nous partage quelques-uns de ses travaux sur l'enseignement de Jésus et le style des évangiles. Trois parties composent l'ouvrage ainsi qu'une grande conviction : Jésus de Nazareth a été un Juif de son temps pleinement enraciné dans son peuple et les débats religieux qui agitaient celui-ci, un maître fort et original, pas un marginal bizarre. Armand Abécassis s'inscrit ainsi dans ce grand courant juif qui, depuis un siècle environ, redécouvre Jésus le Juif après dix-huit siècles d'enseignement où celui-ci fut situé en contre-position du judaïsme. Une première partie montre comment Luc et Matthieu ont conçu leurs évangiles de l'enfance à la façon du Midrash (où il rejoint au fond les travaux d'André Paul dès la fin des années 1960). Une deuxième partie se penche sur les B&...
AFFRONTER LE MONDE NOUVEAU
CHRISTUS N°268
-
Marc RASTOIN

Deux convictions sont au cœur de cet ouvrage : le monde vit une crise écologique sans précédent qui met en péril le futur de l'humanité et les religions doivent absolument se comprendre pour aider l'humanité car l'athéisme paresseux de beaucoup ne contient pas autant de ressources pour penser le présent. Pour les traiter, Jean-François Bensahel, Juif engagé de longue date dans le dialogue judéo-chrétien, part de la figure controversée de Paul : il le lit de près et en propose une vision à la fois personnelle et plutôt en phase avec la recherche actuelle. Il le lit comme un Juif messianique animé d'une intense attente et espérance eschatologique qui met toutes ses forces dans la constitution de « communautés eschatologiques totalement fraternelles, des communautés préparées pour vivre de façon imminente la fin des temps » (p. 94). Écrite avec passion et verve, non comme un travail académique pondéré mais comme un cri du cœur, cette « épître à Paul » aidera ses lecteurs à (re)découvrir Paul et à mieux saisir ce que la nouvelle fraternité juive et chrétienne (spécialement catholique, mais pas que) porte d'indispensable pour l'avenir de notre Terre.
JÉSUS DE NAZARETH
CHRISTUS N°268
-
Marc RASTOIN
Labor et Fides, 2018, 320 p., 24 €.
Jens Schröter est un exégète chrétien allemand reconnu. Dans cet ouvrage court, dense mais accessible, il présente les éléments clefs pour comprendre l'homme de Nazareth : les sources, son insertion dans le judaïsme de son temps, ses guérisons, son enseignement sur le Royaume, son rapport à la Torah. Moins historien et plus théologien que John Paul Meier (Un certain Juif : Jésus, cinq volumes, Cerf, 2004-2018), il se rapproche davantage de la démarche d'un James Dunn dans Jesus Remembered (Eerdmans, 2003), soulignant fortement combien éléments historiques et remémorations croyantes sont indissociablement imbriqués dans les textes néotestamentaires. Il ne rentre pas dans le détail des débats et, à mon sens, a un peu trop tendance à prendre toutes les paroles évangéliques ou presque comme remontant au Jésus de l'Histoire (voir son significatif « dont le noyau le plus ancien est très certainement dû à Jésus lui-même », en commentant Luc 13,32-35). Ceux qui veulent une présentation synthétique, sérieuse et claire des travaux sur le Jésus historique disposent ainsi d'une version nettement plus accessible que celle de Meier et surtout plus brève. En outre, à la différence de ce dernier, il couvre la question des « titres » (« Fils de l'Homme », « Messie », etc.) et va jusqu'aux témoignages sur la Résurrection. L'ensemble compte 270 pages car les trente dernières pages sont une brève introduction au christianisme, aux conciles de l'Antiquité,...
CE MONDE EST TELLEMENT BEAU
CHRISTUS N°271
-
Marc RASTOIN

Actes Sud, 2021, 336 p., 21,80 €.En 2021, à Paris, est-il possible de raconter, de façon à la fois crédible et vivante, drôle et fine, l'accès à la foi d'un Français ordinaire ? C'est le pari qu'a relevé Sébastien Lapaque. Lazare est un parisien de 39 ans, prof d'histoire-géographie et en couple, depuis longtemps, avec Béatrice. Mais quelque chose ne va pas dans sa vie. Difficile de mettre le doigt dessus. Et voilà qu'un mois de février, il y a de cela quelques années, sa vie va commencer à changer. Il se pose des questions sur le monde tel qu'il est et le perçoit autrement. Dans le monde, il voit soudainement l'immonde, l'inutile, le vulgaire, le laid. Il soliloque, il erre, il relit son passé. Des conversations improbables le font peu à peu avancer. Il y a cette jeune voisine solaire qui a quitté son métier pour s'occuper des moineaux. Il y a ce collègue croyant, un autre qui est juif et un prêtre atypique, dont il va finir par croiser le chemin. Se peut-il qu'il soit tenté par la foi ? Peut-on devenir croyant, et catholique qui plus est, dans la France d'aujourd'hui ? Lui-même s'interroge. Aucun éblouissement miraculeux mais la lente accumulation de petites décisions ; des barrières qui cèdent peu à peu, une cohérence improbable qui se dess...
JÉSUS ET LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE, JOHN BERGSMA
CHRISTUS N°274
-
Marc RASTOIN

Bayard, 2021, 356 p., 23,90 €.
La littérature sur Qumrân, et notamment sur les rapports entre le mouvement chrétien et la communauté énigmatique qui a occupé ce site pendant des décennies, est immense et inégale. Le livre de John Bergsma se distingue par son accessibilité. Le cœur de la thèse est juste, quoique pas nécessairement nouveau. Il souligne l'enracinement de Jean le Baptiste, de Jésus lui-même et de ses premiers disciples, dans le judaïsme du temps. Alors que, depuis les travaux de John Paul Meier (étrangement non cité dans le livre), on met davantage en valeur le lien du christianisme naissant avec les pharisiens, John Bergsma donne plusieurs exemples (l'importance donnée au baptême, au célibat, aux repas fraternels, la place des prêtres dans la communauté, etc.), qui montrent des échos avec des rites et des croyances esséniennes. Les analogies mises en lumière sont réelles et parlantes. Mais le conservatisme de l'auteur l'amène parfois à des décisions étonnantes, que ses propres convictions théologiques n'exigeaient d'ailleurs pas. C'est ainsi qu'il valide l'ensemble du témoignage de Flavius Josèphe sur Jésus, considère Jean, fils de Zébédée, comme l'auteur du quatrième évangile, suit Annie Jaubert sur la chronologie de la Semaine sainte en défendant l'idée que Jésus aurait suivi le calendrier essénien (la chose n'est pas impossible mais il va, ce me semble, au-delà de ce que les indices signalent : même Joseph Ratzinger n'avait finalement pas retenu cette hyp...
JÉSUS, LE JUSTE JUGE
CHRISTUS N°250HS
-
Marc RASTOIN
« Le juge, c'est Dieu ! » (Ps 50 [49], 6). Cette exclamation du psalmiste décrit bien la conviction commune de tous les Juifs au temps du Christ. Il y a bien un juge qui jugera et les hommes et les nations : « L'impie méprise le Seigneur et dit dans son cœur : “Tu ne demanderas pas des comptes” (cf. Ps 10 [9], 13). À cela Rabbi Hanina répond : “Il y a un jugement et il y a un juge !”1 » Ce qui pourrait apparaître comme une menace est en réalité une espérance. Le jugement de Dieu n'est pas d'abord une mauvaise nouvelle, car la foi que Dieu veut le salut de son peuple et, plus profondément, aime la vie de toutes ses créatures habite tant le Livre que le culte. La foi biblique est traversée de part en part par cette foi que Dieu est le seul juste juge. Aucun empire humain ni aucune autorité ne peuvent se substituer à lui.Dans l'Évangile, Jésus partage cette foi avec ses interlocuteurs juifs. De nombreuses paraboles, images et paroles témoignent de cette conviction profonde. Dieu fera justice, car il est dans sa nature d'être un juste juge : « Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit, tandis qu'il patiente à leur sujet ? Je vous dis qu'il leur fera prompte justice » (Lc 18,7-8a). Pourtant, Jés...