Poète, a enseigné au lycée Henri-IV et à Sainte-Marie de Neuilly, a publié une dizaine de recueils et un essai sur la poésie.
A récemment publié Graduel (Gallimard, 2021) et Le sommet de la route et l’ombre de la croix. Six poètes chrétiens du XXe siècle (Gallimard, 2021).
LA VENUE
CHRISTUS N°223
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Jean-Pierre LEMAIRE
Arfuyen, coll. « Cahier », 2006, 101 p., 13 euros.
La Venue dont nous parle Gérard Bocholier a lieu au plus épais de notre chair contractée et souffrante où la mort « Gagne toujours/D’un pli d’un souffle ». Comment, dans cette impasse, « un flux soudain » tire-t-il « les vieux verrous d’argile », c’est la vertu de ces vers denses de nous le dire en respectant, par leurs ellipses, le mystère de celui qui vient parmi nous toutes portes closes et nous offre « Son fruit mûr/Sur la nappe blanche ». Les mots sont les miettes tombées de la table où l’amour desserre nos coeurs et nos lèvres ; mais dans ces miettes, comme dans celles du pain eucharistique, le don tout entier nous est proposé.
La fidélité au réel qui caractérise toute poésie vraie se marque ici par le fait que la lumière n’advient pas au-dessus de la nuit ou seulement après elle, mais dans l’obscurité même du corps où transparaît l’effigie du Crucifié : « Le temps qui tout déchire/Fait entrer l’éternel// Fissures de beauté/De souffrance indicibles// Marques des clous ardentes/Où s’engouffre le jour. » Les « graines de ciel » sont toujours à « mettre en terre &ra...
L’ÉVANGILE DES BOITEUX
CHRISTUS N°220
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Jean-Pierre LEMAIRE
Un souvenir, d’abord : dans un faubourg de Brest, un homme titubant, boitant, qui s’effondre au milieu de la route. Autour de lui, un petit attroupement. Sur le trottoir, sa femme qui ne veut plus de lui et reste au bord du maelström qui aspire l’épave. Au souvenir s’est peu à peu superposée une espèce de vision : tout en bas de la spirale entraînant cette épave humaine avec d’autres vers le fond, la Sainte Face grise. L’homme dans la rue boitait parce qu’il était ivre, sans doute aussi parce qu’il était déjà tombé : son visage semblait tuméfié par ses chutes précédentes. Boiter, c’est toujours descendre (on dit parfois « boiter bas »), c’est chercher à chaque pas la marche qui manque pour retrouver sa propre hauteur. Témoin de la scène, j’étais terrifié par cet engloutissement, je ne voulais pas tomber à mon tour dans l’entonnoir. Plus tard, un banal accident m’a fait boiter à mon tour ; j’ai rejoint le fond et, d’une certaine manière, j’ai été rejoint : la Sainte Face grise et rouge s’était approchée.
On pourrait faire un lien entre cette expérience et celle d’un personnage biblique qui a senti simultanément, dans la nuit, que sa hanche se dé...
Mots clés :
Evangile
Guérison
Maladie
Conversion
Désir
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LE PACTE DE LUMIÈRE
CHRISTUS N°219
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Jean-Pierre LEMAIRE

Le Castor astral, 2007, 87 p., 10 euros.
Dès les premières pages, on est initié au « mystère de l’homme éveillé, tout entier au bout de ses yeux ». L’attention du poète prend dans son réseau transparent les moindres signes d’un monde matinal, « plein d’air et de bleu comme un premier souffle », la lumière « aux mailles des branchages, milliers de poissons d’or ». Cependant, il s’agit d’une liaison souple et ténue entre les êtres plutôt que d’une capture ; l’image du filet est moins présente que celle du fil, de clarté, de silence, qui passe par le chas d’une aiguille ou sur lequel on marche. Ce fil relie notre corps au monde, mais aussi le visible à l’invisible, le temps à ce qui est au-delà de son déroulement : « La terre, pulpe bleue autour de son noyau. Tout au bout des âges, elle aussi quittera la branche pour s’ouvrir à une autre vie. » Le jour qui éclaire chaque nervure, chaque brindille, vient d’une faille qui a tout à coup élargi le monde longtemps clos du poète, et cette déchirure se propage « entre l’épaule et le manteau qui tombe ».
Philippe Mac Leod, depuis ce moment, pose avec sûreté ses pas sur un fil tendu entre un enracinem...
NULLE AUTRE LAMPE QUE LA VOIX
CHRISTUS N°214
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Jean-Pierre LEMAIRE
Rougerie, 2006, 93 p., 13 euros.
La voix, sa justesse, son accord avec l’homme intérieur : telle est bien la « lampe » qui éclaire ce recueil, le plus beau peut-être que nous ait donné Gilles Baudry, moine à l’abbaye de Landévennec. En vrai fils de saint Benoît, il sait que la voix se purifie dans l’écoute. D’ailleurs, celle qu’on entend ici est tantôt la voix du poète, tantôt « la voix ailée / qui nous guide et nous garde » ; à travers la première, c’est la seconde qui nous parvient, accompagnée de toutes les voix du monde. Elle peut même dénouer la gorge « au chant absent » d’une interlocutrice blessée.
Une évidence grandit au fil du recueil : l’homme n’est lui-même que s’il est tourné vers un autre, en amont de soi. Le passage de cet autre, toujours discret, ménage notre liberté tout en nous laissant des signes de sa tendresse, comme le rayon de soleil qui se pose sur l’épaule avec « la tiédeur d’une paume ». Sa parole descend même dans nos propre mots : « Lorsque tu passes dans ma nuit / comme la lune / entre les branches, / vite, je dresse la lyre du poème ; / je m’apprête à grimper / un à un les degrés / de mes vers, et c&rsqu...
ART ET EXPÉRIENCE SPIRITUELLE
CHRISTUS N°211
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Geneviève Khemtémourian
Jean-Pierre LEMAIRE
Ghislaine Pauquet
Christus : Qu’est-ce que l’expérience artistique ? Comment la sensibilité y est-elle engagée ? L’oeuvre d’art ne nous pousse-t-elle pas sans cesse à nous exiler, à nous dépayser, pour nous faire habiter autrement notre vie ? Peut-elle nous faire pressentir l’absolument autre qu’est Dieu ? La forme d’un entretien à plusieurs voix, au coeur de ce dossier, manifeste la dimension ouverte des réponses que nous allons chercher avec vous… Pouvez-vous vous présenter ?
Geneviève Khemtémourian : Mon art premier est la danse, je pratique également la sculpture ; l’un est davantage professionnel que l’autre, mais les deux sont indispensables. Dans le premier, le corps est la matière première ; dans le second, il y a projection dans la matière. J’anime des ateliers de danses du monde, que j’ai appelés : « Danses sacrées, danses pour le temps présent » à Paris, et un peu partout en France et à l’étranger.
Ghislaine Pauquet : Je crois que, d’aussi longtemps que je me souvienne, je peins et je dessine. J’ai fait des études d’histoire de l’art et d’art plastique en parallèle — ce qui m’a conduit, avant d’être religieuse, à être conservateur des musées et à...
Mots clés :
Art (cinéma, peinture, sculpture)
Athéisme
Combat spirituel
Corps
Création
Expérience spirituelle
Extase
Images
Incarnation
Mal
Musique
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ANNE PERRIER
CHRISTUS N°209
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Jean-Pierre LEMAIRE
Coll. « Poètes d'aujourd'hui », 2004, 274 p., 21 €.
Voici un beau livre consacré à une belle oeuvre : il étudie pour la première fois dans son ensemble un itinéraire poétique dont la discrétion a pu voiler aux yeux du grand public l'authentique grandeur, celui d'Anne Perrier, née à Lausanne en 1922.
Jeanne-Marie Baude, professeur émérite à l'université de Metz, a su adopter à l'égard de l'oeuvre la même attitude que le poète à l'égard du monde dont elle parle : une écoute méditative. Son attention profonde lui permet de ne pas rester prisonnière du charme de cette voix mesurée qu'une lecture superficielle, trompée par la pudeur du poète, peut croire vouée à ne chanter que les beautés de la nature et des saisons dans un univers réduit aux dimensions d'un jardin. Elle décèle l'énergie qui habite la poésie d'Anne Perrier et qui la porte, dès les premiers recueils, sans jamais forcer le ton, aux limites de notre condition : entre l'éblouissement de la beauté et celui de la mort (« Dans une tombe si je l'ouvrais / Je trouverais / Le bleu du ciel »), les vers tendent un fil de funambule sur lequel le poète, comme Rimbaud, danse en posant chaque pas, chaque mot, avec une parfaite s&uci...
LES PARVIS
CHRISTUS N°205
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Jean-Pierre LEMAIRE
Gallimard, 2003, 112 p., 11,50 €.
On peut dire du dernier recueil de Jean Grosjean qu'il noue la gerbe de ses précédents livres ; on y retrouve les paysages de sa campagne où il glane au fil des heures, chemin faisant, l'irisation d'une libellule, l'ombre d'une grange, une échappée vers le ciel dans l'échancrure des feuillages, avec parfois le regard singulier sur les choses et les gens de celui qui « revient de la guerre ».
Cependant, la vision du paysage est comme faufilée d'un dialogue sans cesse interrompu et repris du poète avec son Dieu : les détails aperçus, les accidents de la lumière sont des allusions, des clins d’œil de l'un à l'autre, et leur entretien donne une nouvelle mesure au temps ; les siècles y deviennent « provisoires », chaque être y passe de profil, dans l'attente amoureuse du face à Face.
Ce dialogue, le poète en cherche ensuite le modèle et la source dans les relations du Père et de son Christ : méditation poursuivie depuis La Gloire (Gallimard, 1969) sur l'aventure du Fils « s'éloignant du Père pour représenter le Père dans Tailleurs du Père » jusqu'à l'abnégation, l'effacement et l'étonnement de renaître. L'abnégation est aussi du côté du Père : « Ce n'étai...
LECTURE D'« AMOUR » DE GEORGE HERBERT
CHRISTUS N°195
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Jean-Pierre LEMAIRE
Amour
Amour m'a dit d'entrer, mon âme a reculé,
Pleine de poussière et péché.
Mais Amour aux yeux vifs, en me voyant faiblir
De plus en plus, le seuil passé,
Se rapprocha de moi et doucement s'enquit
Si quelque chose me manquait.
Un hôte, répondis-je, digne d'être ici.
Or, dit Amour, ce sera toi.
Moi, le sans-coeur, le très ingrat ? Oh mon aimé,
Je ne puis pas te regarder.
Amour en souriant prit ma main et me dit :
Qui donc fit les yeux sinon moi ?
Oui, mais j'ai souillé les miens, Seigneur. Que ma honte
S'en aille où elle a mérité.
Ne sais-tu pas, dit Amour, qui a porté la faute ?
Lors, mon aimé, je veux servir.
Assieds-toi, dit Amour, goûte ma nourriture.
Ainsi j'ai pris place et mangé.
George HERBERT
(trad. Jean Mambrino)
Tiré d'Etudes, février 1974
« Le plus beau poème du monde », disait Simone Weil. On comprend que ce poème, peut-être le dernier que George Herbert 1 écrivit, l'ait bouleversée, au point qu'elle l'apprit par coeur et qu'il fut pour elle comme le porche de l'expérience mystique ; il réunit les traits esthétiques et spirituels qui la touchaient le plus : dépouillement et incarnation. L'Amour inenvisageable pour l'âme indigne s'y fait proche, familier même, et la scène garde pourtant un ca...
LA RÉALITÉ DES POÈTES
CHRISTUS N°189
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Jean-Pierre LEMAIRE
On soupçonne volontiers le poète de vivre dans ses rêves. Mais la figure du poète s'est presque effacée du monde contemporain, et il faut reconnaître que nous vivons tous dans une sorte de rêve, à la fois individuel et collectif, une caverne aux images dont le nombre s'est multiplié et le rythme accéléré depuis Platon. Dans les couloirs et les rames du métro, paradoxalement, c'est un poème qui nous fait parfois sortir de ce défilé ininterrompu de couleurs et de slogans : nous nous arrêtons pour le lire comme devant une fenêtre ouverte sur le dehors, la vie originale, le temps réel. Qu'avons-nous retrouvé entre ces mots, que nous perdrons peut-être, une fois remontés à la surface ?
Rencontre et signe
Puisque les poèmes affichés dans le métro mélangent heureusement les oeuvres d'auteurs français et les traductions d'auteurs étrangers, commençons par un poème italien de Sandro Penna :
FEMME DANS LE TRAM
Tu veux embrasser ton enfant qui ne veut pas :
il aime regarder la vie, dehors.
Alors tu es déçue, mais tu souris :
ce n'est pas l'angoisse de la jalousie
même si déjà il ressemble à l'autre homme
qui pour « regarder la vie, dehors »
t'a laissée ainsi 1...
Ce qui signa...
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Art (cinéma, peinture, sculpture)
Corps
Imagination
Incarnation
Réalité
Littérature
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L'EXPÉRIENCE DE BONTÉ
CHRISTUS N°185
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Jean-Pierre LEMAIRE
Arfuyen, 1999, 96 p., 90 F.
C'est bien une « expérience » que nous présente ce livre : la découverte, par une enfant de trois ans, du royaume que peut nous ouvrir celui ou celle qui nous regarde avec bonté. Cette découverte a pour cadre une chambre d'hôpital. La personne qui en fait un royaume est la religieuse dont la jeune Lydie reçoit les soins. Coupée des siens par une grève qui interrompt les communications dans l'ensemble du pays, l'enfant va tout apprendre pendant les deux mois que durera ce tête-à-tête.
Pourtant, il ne s'agit pas d'un récit mais d'un poème en prose : une suite de « sttophes » qui reviennent inlassablement à ce visage de bonté entouré de voiles blancs, aux murs de la chambre, au rosier qui pousse conue le mur, à la mer lointaine, au ciel. La poésie était ici la seule voie d'approche, car il n'y a rien à raconter ; il y a un mystère à interroger, un oracle silencieux qui a justifié pour l'enfant son existence et celle du monde. La fillette balbutiait alors ses premiers mots Devenue femme et poète, elle retrouve la fraîcheur éblouissante qu'ils ont lorsqu'ils nomment une découverte, précisément. Chaque strophe la reprend, l'approfondit, dans un hymne de reconnaissance qui a la respiration de la vie retrouvée. Cha...
LES MYSTÈRES DE MARIE
CHRISTUS N°170
-
Jean-Pierre LEMAIRE
SENS ET BEAUTÉ
CHRISTUS N°233
-
Jean-Pierre LEMAIRE

Ad Solem, 2011, 114 p., 19 euros.
Ce livre, malgré ce que le titre pourrait laisser croire, n’est pas un traité d’esthétique. Philippe Mac Leod nous y incite plutôt à rejoindre le mystère de la vie en nous, jusqu’à faire éclater la coque rigide de notre individualité pour rejoindre, au fond de nous-mêmes et autour de nous, le Christ en croissance : une plongée et un élan qui feront de nous « un fragment d’hostie donné pour le monde ». Ces notes allient les plus fines perceptions intérieures aux horizons les plus larges (souvent évoqués à travers le paysage pyrénéen), alliant l’inspiration de Maître Eckhart et celle de Teilhard. La perspective est cependant moins anthropologique ou théologique que proprement spirituelle : c’est une leçon de vie, un chemin pour grandir en nous abandonnant au mouvement qui nous porte depuis l’origine. Un tel progrès, « développement de l’intimité humaine », n’est pas une expansion du moi mais passe paradoxalement par sa diminution, comme pour Jean-Baptiste s’effaçant devant l’Agneau de Dieu. Il s’agit de faire place à un Autre en nous, le Christ qui nous emmène vers le Père si nous sommes attentifs et dociles au travail de l’Esprit. Pour &laq...
MYSTÈRES LUMINEUX
CHRISTUS N°235
-
Jean-Pierre LEMAIRE
Dans la récitation du Rosaire, les Mystères lumineux, introduits par Jean-Paul II , s’intercalent entre les Mystères joyeux et les Mystères douloureux. Jean-Paul II les présente ainsi dans sa lettre apostolique Rosarium virginis Mariae (« Le Rosaire de la Vierge Marie ») publiée en octobre 2002 :
« Passant de l’enfance de Jésus et de la vie à Nazareth à sa vie publique, nous sommes amenés à contempler ces mystères que l’on peut appeler, à un titre spécial, “mystères de lumière”. En réalité, c’est tout le mystère du Christ qui est lumière. Il est la “lumière du monde” (Jn 8,12). Mais cette dimension est particulièrement visible durant les années de sa vie publique, lorsqu’il annonce l’Évangile du Royaume. Si l’on veut indiquer à la communauté chrétienne cinq moments significatifs – mystères “lumineux” – de cette période de la vie du Christ, il me semble que l’on peut les mettre ainsi en évidence :
1. Au moment de son baptême au Jourdain
2. Dans son autorévélation aux noces de Cana
3. Dans l’annonce du Royaume de Dieu avec l’invitation à la conversion
4. Dans sa Transfiguration
5. Dans l’institution de l&rs...
Mots clés :
Art (cinéma, peinture, sculpture)
Foi
Grâce
Louange
Marie
Méditation
Parole d’homme
Résurrection
Littérature
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AVANCE EN VIE PROFONDE
CHRISTUS N°240
-
Jean-Pierre LEMAIRE

Quoique les deux derniers livres le Philippe Mac Leod appartiennent à des genres différents (l’un est une suite de méditations, l’autre un recueil de poèmes), ils forment un diptyque. Le titre du second fait d’ailleurs écho à une phrase du premier (« Le vif, le pur, le vivant en sa pointe la plus aiguë ») autant qu’à l’un des poèmes du recueil qui développe ces deux mots différemment (« Le vif, le pur, à l’heure où l’azur se boit et se respire »). C’est en effet la même leçon de vie qui court d’un livre à l’autre ; elle est d’abord dispensée au fil de promenades spirituelles au lecteur – qui prend la figure d’une interlocutrice – avant d’être au cœur de l’expérience du poète, approfondie jusqu’au plus intime de la chair et de l’âme.
Dans Avance en vie profonde, Philippe Mac Leod rappelle que, pour saint Augustin, la création est notre première Bible. Aussi nous rend-il attentifs aux « leçons » de l’arbre, de la fleur, du chemin à flanc de montagne, du ruisseau. Que nous enseignent-ils ? La fidélité à un élan et à une croissance inscrits dans le germe qui est en nous. C...
DEUX LIVRES DE PHILIPPE MAC LEOD
CHRISTUS N°245
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Jean-Pierre LEMAIRE

Entre les deux livres publiés par Philippe Mac Leod en 2014, il y a tout un jeu d’échos, et on fera alterner avec profit la lecture du premier, Intériorité et témoignage, une exigeante initiation à l’oraison, et celle du second, Les signes de Lourdes, qui s’appuie sur les éléments sensibles (l’eau, la lumière, l’air, le rocher) aussi bien que sur l’enseignement des apparitions, la figure de sainte Bernadette, le contact avec les foules dans la cité mariale. Les deux livres sont d’ailleurs nés d’entretiens avec des personnes ou des groupes, dans une démarche d’accompagnement spirituel. Aussi l’auteur s’adresse-t-il souvent au lecteur pour l’éclairer, l’encourager, le mettre en garde, ce qui donne au discours, dont le propos est de nous mener loin, une allure souple et vivante.
On ne s’étonnera donc pas que l’un des thèmes communs aux deux livres soit celui de l’expérience. À Lourdes, fait observer l’auteur, Marie, en demandant à Bernadette de venir à la grotte pendant quinze jours, l’engage à faire une expérience dans la durée, avec patience et fidélité. Dans Intériorité et témoignage, Philippe Mac Leod nous présente aussi la prière comme une expérience dans la...
L'AMOUR DES LONGS DÉTOURS
CHRISTUS N°246
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Jean-Pierre LEMAIRE

C’est la marque du grand art de pouvoir passer d’une fermeté souveraine à une exquise délicatesse. En de tels moments, la force et la douceur de la réalité même, comme nous savions les éprouver dans l’enfance, nous sont rendues. Effectivement, certains poèmes sortent des gisements de la mémoire, de ces couches profondes qui sont, disait Proust, immédiatement en communication avec le coeur ; par exemple, celui où le poète évoque « la sensation du mourir » qui l’a saisi face à un camarade qui a tiré sur lui. Cette réalité-là ne nous est livrée que par morceaux, par éclats venus de loin. Aussi la poésie de Christophe Langlois – en cela bien moderne – ne se présente-t-elle pas comme un discours lié. Elle est plutôt régie par une esthétique de la discontinuité, de l’ellipse, et tire parfois de beaux effets des entorses faites à la syntaxe. Chaque poème ici réserve des surprises, parfois avec les mots les plus simples dont le sens est mystérieusement retourné : « J’avais pris/ne m’étais jamais donné/en cela, j’étais vierge » (c’est ici le prédateur qui est « vierge »).
Si C. Langlois s’en tenait à la dispersion et &agra...
OEUVRES POÉTIQUES ET DRAMATIQUES
CHRISTUS N°249
-
Jean-Pierre LEMAIRE

[…] Jésus non plus ne nous a point donné des paroles mortes
Que nous ayons à renfermer dans des petites boîtes […]
Ainsi nous, qui sommes chair, nous devons en profiter,
Profiter de ce que nous sommes charnels pour les conserver, pour les réchauffer,
Pour les nourrir en nous vivantes et charnelles […].
Ce que dit Péguy des paroles de Jésus dans Le Porche du mystère de la deuxième vertu, Claire Daudin et ses collaborateurs pour la nouvelle édition à la Pléiade des OEuvres poétiques et dramatiques l’ont cru et nous en persuadent à propos de la poésie de Péguy lui-même. « Vivant[e] et charnell[e] », elle l’est à sa source dans la perspective de cette édition qui choisit de mettre au coeur de l’ensemble, et non plus en appendice de l’oeuvre, les fameuses et secrètes Ballades du coeur qui a tant battu, plaintes déchirantes et pudiques, resserrées dans des quatrains au rythme syncopé, de l’amour impossible de Péguy pour Blanche Raphaël à laquelle il déclara : « Vous avez fait un poète ». La comparaison audacieuse et bienvenue des commentateurs avec La Chanson du mal-aimé d’Apollinaire devrait valoir à Péguy, son contemporain, des lecteurs nouveaux. « La poésie...
CETTE SIMPLE JOIE ET ABBAYE DE LANDÉVENNEC
01 JUILLET 2016
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Jean-Pierre LEMAIRE
On entend dans tous les poèmes de Jean-Pierre Boulic « le chœur des petites voix » évoqué par Verlaine dans ses Ariettes oubliées. Mais la tonalité est bien différente : chez Verlaine, c’est la mélancolie automnale des « ramures grises » du paysage ardennais ; chez Boulic, c’est la « simple joie », souvent printanière, d’une nature qu’on devine bretonne : « le bouvreuil sur la tige », « l’eau passante qui converse avec la lumière au pied d’un saint taillé dans le granit ». On perçoit même la germination d’un « grain de silence » dans le limon du monde.
Ces voix, ce silence ne seraient pas entendus si la parole poétique ne les recueillait mais la frontière n’est jamais nettement tracée entre les suggestions du paysage, le chant qui « glisse de la colline » et les mots du poète qui nous les transmettent, même si, dit-il, « le monde n’a que tes lèvres / pour dire la terre et sa pudeur ». Il écrit encore : « Poème si tu pouvais te faire mouette. » La parole circule ainsi entre les noms et les choses. Elle s’élève à partir d&rsquo...
CETTE SIMPLE JOIE ET ABBAYE DE LANDÉVENNEC
CHRISTUS N°251
-
Jean-Pierre LEMAIRE

La part commune, 2015, 128 p., 13 €.
Gilles Baudry, Jacques Dary, Pierre Tanguy
Abbaye de Landévennec
L’âme d’un lieu
Salvator, 2015, 128 p., 12,90 €.
On entend dans tous les poèmes de Jean-Pierre Boulic « le chœur des petites voix » évoqué par Verlaine dans sesAriettes oubliées. Mais la tonalité est bien différente : chez Verlaine, c’est la mélancolie automnale des « ramures grises » du paysage ardennais ; chez Boulic, c’est la « simple joie », souvent printanière, d’une nature qu’on devine bretonne : « le bouvreuil sur la tige », « l’eau passante qui converse avec la lumière au pied d’un saint taillé dans le granit ». On perçoit même la germination d’un « grain de silence » dans le limon du monde.
Ces voix, ce silence ne seraient pas entendus si la parole poétique ne les recueillait mais la frontière n’est jamais nettement tracée entre les suggestions du paysage, le chant qui « glisse de la colline » et les mots du poète qui nous les transmettent, même si, dit-il, « le monde n’a que tes lèvres / pour dire la terre et sa pudeur &...
HABITER LES MOTS
CHRISTUS N°252
-
Jean-Pierre LEMAIRE

Ce livre révèle sa profonde actualité au moment où les hommages à l'œuvre d'Yves Bonnefoy, qui vient de nous quitter, réveillent les débats autour de ce qu'il appelait la « vérité de parole ». En réponse aux critiques qui stigmatisent régulièrement un langage voué à l'extériorité, à des échanges superficiels, à la manipulation des choses ou des hommes, sans contact avec notre vie essentielle et notre expérience primordiale du monde, Philippe Mac Leod affirme que nous parlons, ou devrions parler, à partir d'un « lieu secret », du silence : « Les mots éclosent de ce qu'on mûrit en soi. » Aussi une relation personnelle à Dieu implique-t-elle de veiller sur nos mots, comme en témoignent les Psaumes, les prières de Judith, d'Esther, de Daniel dans sa chambre haute, où la personne se tient devant Dieu avec des paroles qui ne disent qu'elle-même en sa nudité, son histoire et sa demande. La parole assure donc le lien avec notre profondeur. « Elle ne se contente pas d'exprimer, elle explore », dit l'auteur, car nous sommes constitués de plus d'invisible que de visible. Pour autant, elle ne nous enferme pas en nous-mêmes, car elle nous excède et le langage est présen...
LA DÉFAVEUR
CHRISTUS N°257
-
Jean-Pierre LEMAIRE

Patrick Kéchichian, dont on connaît le riche parcours d'écrivain et de critique, nous livre ici les clefs de son « histoire intérieure ». Ce livre ne prend pourtant pas la forme d'une autobiographie classique. Récit de la formation d'un jeune homme, « ou plus précisément, dit l'auteur, de son édification », il ne comporte ni dates ni anecdotes (on devine Mai-68 dans la périphrase : « Un certain printemps, […] sur la rive gauche du fleuve »). Le narrateur se distingue de son personnage, désigné par un « il », afin de mieux l'accompagner à la juste distance. Il nous mène, dans la langue des moralistes plutôt que dans celle des romanciers, au cœur secret d'une destinée : un retournement qui le fait passer de la « défaveur », à laquelle il se croyait assigné par sa condition d'enfant d'immigrés, dans un monde qu'il voyait partagé entre le côté des « forts » et celui des « faibles », à ce qu'il finira par appeler la « grâce », la douce présence d'un Dieu « de grande tendresse et d'humaine douleur » qui l'assure dans sa personne « de sang et de mémoire », lui donne une...
MOT À MOT
CHRISTUS N°258
-
Jean-Pierre LEMAIRE

Dans ce récit captivant, Liliana Lounguine (1920-1997), traductrice littéraire connue et mère du cinéaste Pavel Lounguine (L'île, 2006), fait, peu avant sa mort, le bilan d'une existence à la fois commune et extraordinaire, dont l'essentiel a coïncidé avec la période soviétique. On entend là une voix vive, franche, familière, qui s'adresse aujourd'hui aux lecteurs français comme elle s'adressait aux téléspectateurs russes, puisque le livre est la retranscription fidèle du film qu'Oleg Dorman a réalisé avec Liliana pour la télévision russe en 1997. Ce récit nous présente une réalité souvent recouverte chez nous par des termes abstraits (terreur stalinienne, purges, Perestroïka…). « En témoignant, dit Liliana Lounguine, je souhaite substituer à ces termes banalisés des images concrètes, des moments vécus, peuplés d'êtres humains. » Un index abondant et de nombreuses photos aident d'ailleurs le lecteur à reconstituer les personnages évoqués, avec leur trajectoire et leur environnement.
Mais, dira-t-on, qu'est-ce qu'un tel ouvrage apporte de neuf après les romans de Soljenitsyne, Chalamov et tant d'autres témoins de cette période ? La réponse est en quelque sorte donnée d'embl...
L'ESPRIT DE JEUNESSE
CHRISTUS N°258
-
Jean-Pierre LEMAIRE
Dans la Bible, Dieu semble affectionner tout particulièrement la jeunesse, celle de l'âge tendre, quand la confiance en la vie est innée. La « deuxième jeunesse » est le fruit d'une patiente docilité à l'Esprit, celui qui donne la vie. Elle se reçoit.
Ils te disaient : « Quand tu seras grand… »
et tu ne savais pas
si c'était promesses ou dangers
Ils te disaient : « Tu verras… »
et tu ne comprenais pas
pourquoi il te faudrait attendre
si longtemps
avant de voir ce qu'il y aurait à voir
Ils te disaient : « Quand tu seras grand… »
et tu ne savais toujours pas
si tu avais envie
de devenir comme ça grand.1
Le Seigneur encourage l'audace
Il n'est pas sûr non plus que Dieu, dans la Bible, ait envie de nous voir « devenir comme ça grand[s] », et nous invite toujours à la prudence, sinon à la méfiance, nous dérobe l'avenir jusqu'à l'âge mûr, au nom d'une sagesse qui ne suscite pas le désir. Le psaume 43,4 parle au contraire du « Dieu qui réjouit ma jeunesse » ; et le lien qu'il fait entre Dieu, la jeunesse et la joie peut nous servir de fil conducteur. Il semblerait que YHWH ait une prédilection pour la jeunesse, prédilection peu courante dans les civilisat...
LE VISAGE INTÉRIEUR
CHRISTUS N°259
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Jean-Pierre LEMAIRE

« Le christianisme est la religion des visages », écrit Olivier Clément dans ce livre qui rassemble articles et conférences autour d'une thématique et d'une vision théologique : la rencontre du « Dieu visage ». Ce qui donne à l'ensemble sa forte cohésion, c'est d'abord la spiritualité orthodoxe qu'Olivier Clément a beaucoup contribué à faire connaître en langue française. Elle met l'accent, comme on sait, sur le rôle de l'Esprit dans l'économie du salut : celle-ci a pour but la Pentecôte étendue à l'univers entier, l'avènement de l'Homme spirituel, « pneumatophore ». Redevenu intérieur à la création dans le Christ, l'Esprit est le révélateur des visages ; il continue l'œuvre de l'Incarnation où la beauté divine restaure la beauté humaine. Olivier Clément consacre un long texte à saint Séraphin de Sarov (1759-1833), pour qui le but de la vie chrétienne est « l'acquisition du Saint-Esprit », la transparence retrouvée à la grâce.
Cette spiritualité n'a cependant rien d'éthéré, comme en témoigne la vie du saint lui-même, descendu dans les soubassements infernaux de la condition humaine pour ouvrir celle-ci à...
L'EVANGILE DE LA RENCONTRE, DE PHILIPPE MAC LEOD
CHRISTUS N°264
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Jean-Pierre LEMAIRE

Ce grand petit livre peut être lu comme le testament spirituel de Philippe Mac Leod, qui nous a quittés au début de l'année 2019. Il condense une méditation de plus de vingt années sur l'évangile de Jean, qui prend pour foyer la rencontre du Christ avec la Samaritaine, mais rayonne à partir de cet épisode sur d'autres rencontres (avec la femme adultère, Nicodème…) et s'achève par une lecture du discours sur le pain de vie (Jn 6, 22-71), où l'expérience de la rencontre culmine dans l'offre du Christ de demeurer en lui, comme il demeure en nous.
Philippe Mac Leod nous propose d'ouvrir l'évangile de Jean comme un roman d'aventures : l'aventure de notre rencontre avec le Christ, avec ses risques et ses incertitudes. Il est des rencontres abouties (la Samaritaine), d'autres inachevées (Nicodème) et d'autres avortées (Pilate). Mais la rencontre capitale avec Jésus ne laisse personne indemne.
La première caractéristique de la rencontre est qu'elle met en présence deux personnes que séparent une ou plusieurs frontières. C'est quand on les franchit que la rencontre devient un lieu de vérité et de liberté. Dans l'épisode de la Samaritaine, se retrouvent face à face un homme (étranger au pays) et une femme (à la réputation douteuse), le divin et l'humai...
PSAUMES DE LA FOI VIVE
CHRISTUS N°265
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Jean-Pierre LEMAIRE

Ad Solem, 2019, 136 p., 16 €.
Ce dernier livre de « psaumes » (pour le moment, car rien n'indique un tarissement de cette eau vive) vient couronner une trilogie qui avait commencé avec les Psaumes du bel amour (Ad Solem, 2010) et s'était poursuivie avec les Psaumes de l'espérance (Ad Solem, 2012). C'est la même voix qui continue, fluide, murmurante, au rythme d'heptasyllabes (chers à Paul Verlaine), groupés en quatrains. Pas de ponctuation mais une voix mesurée, donc, où se marient le pair et l'impair, et dont rien ne semble devoir interrompre ou altérer la discrète musicalité. Dans ce troisième livre, ses inflexions se font plus persuasives encore que dans les précédents, comme si nous entendions le ruisseau plus près de sa source.
Il n'est pas toujours aisé de distinguer ce qui, dans ces Psaumes de la foi vive, relève du « bel amour », de « l'espérance » ou de la « foi vive ». À vrai dire, leur lecture nous invite à nous défaire d'une idée préconçue de la foi qui l'associerait à une tension vers ce qui nous échappe, à un effort pour rester fidèle malgré l'absence, pour croire dans les déserts de l'âme. Ici, on est plutôt entraîné pa...
FRANCOISE ROMAINE UNE SAINTE DANS LA CITE
01 AVRIL 2020
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Jean-Pierre LEMAIRE
Avant-propos et traduction de l'italien par Bernard Buchoud, Éditions des Quatre Vivants, 2019, 212 p, 31 €.Les Éditions des Quatre Vivants nous offrent ici un livre longtemps attendu : celles qui portent chez nous le prénom de Françoise n'ont pas seulement un saint patron, le Poverello d'Assise, elles ont aussi une sainte patronne, Françoise Romaine (1384-1440), célèbre à Rome et en Italie, moins connue en France (sa dernière biographie dans notre langue remonte à 1931).Le livre, dû à une spécialiste des écrits mystiques entre Moyen Âge et début de l'ère moderne, en collaboration avec un moine olivétain, famille religieuse à laquelle se rattachait Françoise Romaine, nous présente une figure attachante ; Françoise inaugure, non sans tâtonnements, aux confins du Moyen Âge et de la Renaissance, un nouveau style de sainteté féminine. Celui-ci eut à se définir dans la tension entre deux pôles traditionnellement séparés, sinon opposés : l'esprit monastique, inspiré par l'exemple des Pères du désert, tourné vers l'ascèse et la contemplation, et une mystique de l'Incarnation, portant l'empreinte franciscaine, où le Christ est reconnu et servi dans le monde, à la place assignée à chacun, a...
LE DÉSIR DE CRÉER
01 AVRIL 2020
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Jean-Pierre LEMAIRE

La vocation artistique témoigne, elle aussi, d'un appel pour qu'émerge un style singulier d'expression et de vie. C'est la force d'un mouvement intérieur qui porte les artistes au-delà d'eux-mêmes, comme une sorte d'exigence.
Aucun adolescent qui veut écrire, peindre ou composer de la musique ne saurait souscrire à la déclaration désabusée que La Bruyère place en tête de ses Caractères : « Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. »1 Son être entier, l'envie de créer qui l'anime se soulèvent contre cet amer constat ; non, tout n'est pas dit puisque le futur écrivain ou le futur artiste sent bien qu'il est unique et que le monde autour de lui est nouveau. Il vient justement apporter à ses contemporains ce que lui seul peut dire, avec un ton de voix, une palette, un rythme qui lui sont propres, si modeste soit sa contribution. Le rôle de l'aîné – parent, ami ou professeur – est d'abord de le rassurer quant à la légitimité de son désir. Il est aussi de lui indiquer les voies qui permettront à ce désir de s'ouvrir et de se nourrir.
Car ce qui vient s'inscrire au début sur la page blanche, la toile ou la partition est souvent un cri sourd, et même muet, que le poème suivant tente...
FRANCOISE ROMAINE, UNE SAINTE DANS LA CITE
CHRISTUS N°266
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Jean-Pierre LEMAIRE

Les Éditions des Quatre Vivants nous offrent ici un livre longtemps attendu : celles qui portent chez nous le prénom de Françoise n'ont pas seulement un saint patron, le Poverello d'Assise, elles ont aussi une sainte patronne, Françoise Romaine (1384-1440), célèbre à Rome et en Italie, moins connue en France (sa dernière biographie dans notre langue remonte à 1931).
Le livre, dû à une spécialiste des écrits mystiques entre Moyen Âge et début de l'ère moderne, en collaboration avec un moine olivétain, famille religieuse à laquelle se rattachait Françoise Romaine, nous présente une figure attachante ; Françoise inaugure, non sans tâtonnements, aux confins du Moyen Âge et de la Renaissance, un nouveau style de sainteté féminine. Celui-ci eut à se définir dans la tension entre deux pôles traditionnellement séparés, sinon opposés : l'esprit monastique, inspiré par l'exemple des Pères du désert, tourné vers l'ascèse et la contemplation, et une mystique de l'Incarnation, portant l'empreinte franciscaine, où le Christ est reconnu et servi dans le monde, à la place assignée à chacun, au sein de la famille, de la cité, par une vie dévouée au prochain, en particulier les pauvres et les malade...
LE DÉSIR DE CRÉER
CHRISTUS N°266
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Jean-Pierre LEMAIRE

La vocation artistique témoigne, elle aussi, d'un appel pour qu'émerge un style singulier d'expression et de vie. C'est la force d'un mouvement intérieur qui porte les artistes au-delà d'eux-mêmes, comme une sorte d'exigence.
Aucun adolescent qui veut écrire, peindre ou composer de la musique ne saurait souscrire à la déclaration désabusée que La Bruyère place en tête de ses Caractères : « Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. »1 Son être entier, l'envie de créer qui l'anime se soulèvent contre cet amer constat ; non, tout n'est pas dit puisque le futur écrivain ou le futur artiste sent bien qu'il est unique et que le monde autour de lui est nouveau. Il vient justement apporter à ses contemporains ce que lui seul peut dire, avec un ton de voix, une palette, un rythme qui lui sont propres, si modeste soit sa contribution. Le rôle de l'aîné – parent, ami ou professeur – est d'abord de le rassurer quant à la légitimité de son désir. Il est aussi de lui indiquer les voies qui permettront à ce désir de s'ouvrir et de se nourrir.
Car ce qui vient s'inscrire au début sur la page blanche, la toile ou la partition est souvent un cri sourd, et même muet, que le poème suivant tente...
A VOUS DE COMMENCER
CHRISTUS N°270
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Jean-Pierre LEMAIRE

Les Presses de Taizé, 2020, 220 p., 19 €.
Rassemblant des textes écrits au long de ces dix dernières années, ce nouveau livre de frère Émile n'en possède pas moins une forte unité et vient précisément répondre à nos attentes aujourd'hui, à celles d'un monde plongé dans les crises, obnubilé par le spectre de sa propre fin et ne sachant plus où trouver les ressources pour commencer, recommencer.
La première ressource envisagée est celle de l'eucharistie, telle que la vivaient les premiers chrétiens en particulier. L'auteur rappelle que l'offrande du pain et du vin témoigne d'abord de la bonté reconnue à la création orientée vers la résurrection. Il insiste également sur la dimension communautaire de cette humanité en voie de transformation. Le « sacrifice qui plaît à Dieu », c'est l'assemblée comme lieu d'amour et de pardon.
De belles pages évoquent ensuite le bouleversement dans notre image de Dieu qui conditionne une adoration « en esprit et en vérité » : le Dieu qui se révèle aux mages, à la Samaritaine et à Thomas est un Dieu démuni qui s'expose, avoue qu'il a soif de notre demande. En même temps que notre regard sur lui change, le Dieu de Jésus Christ nous incite à porter aussi sur l'autre un regard nouveau, un « regard qui guérit », tel celui de Jésus montrant à Simon l'amour de la femme « pécheresse » (Lc 7,36-50), ou celui de Sonia accompagnant Raskolnikov au bagne dans Crime et châtiment de Fiodor Dostoïevski (1866).
Ces études débouchent naturellement sur une...
LE MYSTÈRE DE LA DURÉE
CHRISTUS N°273
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Jean-Pierre LEMAIRE

La répétition ne s'oppose pas à la nouveauté, qui peut émerger dans une existence de façon progressive et inattendue. La répétition porte en elle un fruit qui donne saveur à la vie. La Bible en témoigne de part en part, la poésie et l'art aussi.
Léon Bloy déclarait à l'un de ses amis, Henry de Groux :
Vous n'avez pas la notion de la durée, et c'est extrêmement grave. Les heures ne se ressemblent pas, les jours non plus. Il existe entre chaque heure du jour, et chaque jour de la semaine, une différence absolue, essentielle, divine.
Exemple. D'après la Genèse, le Lundi appartient à la Lumière ; le Mardi, au Ciel ; le Mercredi, à la Terre, à la Mer et aux Végétaux ; le Jeudi, aux Astres ; le Vendredi, aux Poissons, Reptiles et Volatiles ; le Samedi, aux Bêtes et à l'Homme ; le Dimanche, au Repos du Seigneur.
Je suis persuadé qu'un tableau analogue pourrait être établi pour chacune des heures du jour ou de la nuit, pour chacun des mois de l'année, et pour chacune des années d'un siècle1.
À en croire Léon Bloy, la répétition ne serait qu'une apparence dans la succession des heures, des jours, des mois, des années ; ceux-ci seraient en fait séparés les uns des autres par une « différence absolue, essentielle ». Bloy prend comme exemple les sept jours de la Création d'après la Genèse (qu'il fait coïncider avec les jours de la semaine romaine), jours distingués de façon « absolue » par leur contenu : les êtres différents créés à chaque étape de l'action divine. Cette conception o...
A LA CIME DES HEURES - L'OFFRANDE DES LIEUX, JEAN-PIERRE BOULIC
CHRISTUS N°278
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Jean-Pierre LEMAIRE

L'Enfance des arbres, 2022, 104 p., 15 €.La Part commune, 2021, 96 p., 13 €.Quand on se tient « à la cime des heures », on sent passer une brise qui glisse, parmi les odeurs du Pays d'Iroise, « une pincée d'au-delà ». On respire dans ce livre un grand bol d'air, on y croise les oiseaux et des fleurs chers à Jean-Pierre Boulic. Pourtant, celui-ci ne vise pas au pittoresque et ses poèmes ne sont jamais, à proprement parler, des tableaux ; en effet, le vent, qui est aussi le souffle poétique et peut-être celui de l'Esprit, rend poreux le paysage et celui qui le contemple. On pense à Nicodème : « Tu entends le bruit du vent mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va » (Jn 3, 8). D'ailleurs, il est souvent question de naissance, de réveil printanier et pascal dans ces pages. Le lecteur y goûte la saveur des allusions à un Évangile qui, pas plus que les paysages, n'est enfermé dans un cadre. Ce beau recueil rassemble en un bouquet les heures d'une vie sans perdre l'eau et le vent qui les gardent vivantes.Dans L'offrande des lieux, la prose poétique se révèle propice à l'exploration de nouveaux espaces, la ville notamment, à l'emploi d'un ton nouveau, celui de la satire et de la colère prophétique, saisis...
L'ÉVANGILE DES BOITEUX
CHRISTUS N°278HS
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Jean-Pierre LEMAIRE
« Veux-tu recouvrer la santé ? » (Jn 5, 6). Un souvenir, d'abord : dans un faubourg de Brest, un homme titubant, boitant, qui s'effondre au milieu de la route. Autour de lui, un petit attroupement. Sur le trottoir, sa femme qui ne veut plus de lui et reste au bord du maelström qui aspire l'épave. Au souvenir s'est peu à peu superposée une espèce de vision : tout en bas de la spirale entraînant cette épave humaine avec d'autres vers le fond, la Sainte Face grise. L'homme dans la rue boitait parce qu'il était ivre, sans doute aussi parce qu'il était déjà tombé : son visage semblait tuméfié par ses chutes précédentes. Boiter, c'est toujours descendre (on dit parfois « boiter bas »), c'est chercher à chaque pas la marche qui manque pour retrouver sa propre hauteur. Témoin de la scène, j'étais terrifié par cet engloutissement, je ne voulais pas tomber à mon tour dans l'entonnoir. Plus tard, un banal accident m'a fait boiter à mon tour ; j'ai rejoint le fond et, d'une certaine manière, j'ai été rejoint : la Sainte Face grise et rouge s'était approchée.On pourrait faire un lien entre cette expérience et celle d'un personnage biblique qui a senti simultanément, dans la nuit, que sa hanche se d...