PLAIDOYER EN FAVEUR DE LA POÉSIE
CHRISTUS N°259
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Jean-Pierre BOULIC
"La poésie, avant d’être un art, est une méthoded’expression et demeure inséparablede celui dont elle est issue."Michel Manoll, René Guy Cadou. Présentation et anthologie,Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 2001.
À l’appui de ces quelques lignes, je me sens aujourd’hui engagé à dire bien simplement, sans calcul, par expérience, aussi caché soit-il, le fondement de mon chemin en écriture qui est aussi raison d’être. À le vouloir suggérer de manière authentique : il se révèle peu à peu, par touches successives,dans une secrète et exigeante intuition, qui est reçue, comme chacun est amené à entr’apercevoir progressivement ce qui lui est donné de faire de son existence. Ce fondement, qui est source, anime une existence et lui donne sens finalement. Mais le propos désire ici plus sûrement chercher à s’ouvrir à quiconque, d’inviter à s’intéresser à un langage libre, irrigué cependant du sang de la réalité. Or, le plus souvent, on jette au langage poétique un regard dédaigneux. Néanmoins, par la force des choses et des événements, à l’approche des ressources qu’il porte, peut-être faut-il press...
UNE BRÛLANTE USURE
CHRISTUS N°269
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Jean-Pierre BOULIC
Le silence qui roule, « Les cahiers du silence », n° 2, 2020, 148 p., 15 €.« Assez puissant pour sembler simple, assez simple pour être toujours puissant. Quelle autre pierre de touche pour l'artiste, pour la grande âme ? » En citant André Suarès, l'auteur d'« Une brûlante usure », Gérard Bocholier, trouve des mots qui conviennent et s'appliquent à son journal. Deux années d'un parcours de vie donné en partage où le lecteur l'accompagne volontiers, car il y a matière à haute réflexion. Une vie de poète, une vie d'homme tout simplement, avec ses doutes, ses interrogations, ses brisures et larmes (« Certains jours, je m'efface ; d'autres jours, je m'effondre »), ses occupations quotidiennes, ses angoisses, la séparation, la solitude. Surtout, la crainte de la perte des racines de l'enfance avec la vente de la maison de Monton, ou l'usure : « Je prends conscience du rétrécissement de mon existence […]. Je me sens en sursis et à l'étroit. »Cependant, il y a toujours au fil des pages l'amour de la vie symbolisé dans toutes ces lignes d'une réelle plénitude à l'endroit des siens, de la nature (les fleurs, le soin qui leur est apporté sur la terrasse, le bégonia blanc, les...
VOIX DE BRETAGNE
CHRISTUS N°273
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Jean-Pierre BOULIC

L'enfance des arbres, « Poésie et intériorité », 2021, 360 p., 21 €.
Après avoir affirmé depuis longtemps que « nul ne peut prétendre posséder la voie, mais qui accepte de s'y perdre trouve un peuple d'amis, de frères », le poète et essayiste Jean Lavoué a ouvert depuis ses premières publications un véritable chemin d'intériorité où il invite le lecteur à le retrouver en toute liberté, mais avec l'œil vigilant.
Fidèle à sa ligne d'écriture, il livre aujourd'hui ses Voix de Bretagne, celles d'une dizaine de poètes et d'artistes tous enclins, mais sans certitude aucune, à « libérer le divin » en eux. L'ouvrage est d'une forte densité : « Le chant des pauvres », en sous-titre, définit dès l'accroche la couleur du propos. Il pourrait encore se dire « Chant de la terre », comme affleurent ici ou là des « accents teilhardiens » dans les œuvres en cause.
Parce qu'il y a « un impératif de vivre » et ne craignant jamais, avec Maurice Bellet, de rejoindre « l'épaisseur d'humanité qui [les] habite », l'auteur, manifestement imprégné de l'itinéraire et de l'œuvre de ses figures « chair des hommes qui est la chair de Dieu », trace en fratrie et dans une « géographie intime » de beaux visages (Michel Le Bris, Armand Robin, Yann-Fañch Kemener, Anjela Duval, Eugène Guillevic, Jean Sulivan, René Guy Cadou, Max Jacob, Georges Perros, Xavier Grall) sous des traits de la tendresse – et ce même si le parcours des intéressés, souvent blessés, s'est heurté à des champs de ronces et de doutes ex...
GRADUEL, JEAN-PIERRE LEMAIRE
CHRISTUS N°274
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Jean-Pierre BOULIC

Gallimard, « Blanche », 2021, 136 p., 14 €.
Graduel. Un titre heureux. Et juste. Son propos est de dire et partager, depuis le seuil du jour, le chemin montant d'un accomplissement humain, fruit d'une expérience poétique nourrie de la profondeur de ses intuitions.
Chaque poème de ce nouveau recueil de Jean-Pierre Lemaire vibre d'une scansion dont la simplicité dessille le regard du cœur. Alors que tournent les pages d'une existence, les visages et les événements prennent une nouvelle couleur sous le signe de la sagesse et de la gratitude. À quiconque, pauvre et vulnérable, le poète imprégné des lueurs de l'Évangile, et qui ne revêt jamais le prêt-à-porter de la pensée unique, a l'art de donner à voir le réel de la vie avec sa part d'invisible ; d'un mot toujours familier, il suggère ce qui pourrait échapper et l'apprivoise au bord du mystère et de l'infini.
D'un profond respect de la dignité humaine, tout en pudeur, utilisant ses outils en maître artisan du vers, le poète parle simplement du monde tel qu'il est, marqué par l'effacement de Dieu. Ce monde est le nôtre et il est à aimer. Jean-Pierre Lemaire sait alors « prendre la main » ; il porte le parcours des siens et des autres, souffrant avec eux, surtout quand la déchirure de l'absence vient griffer l'âme.
Le ciel accompagne les saisons (parfois obscures) du poète retrouvant terrils ou montagne, Méditerranée et palmiers, des lieux d'admiration où scintillent les petits riens de la réalité, jusqu'à ce seul brin de mug...
NUL NE SAISIT LE VENT DE MARION D' ELISSAGARAY
CHRISTUS N°275
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Jean-Pierre BOULIC

« Nul ne saisit le vent », celui qui pousse les nuages, emportant avec eux la tristesse qui a pu noircir nos vies. Bien sûr, aussi, celui qui laisse paraître en silence, au bout de l'aube, le secret lumineux des petites choses qui édifient la vie, quand le verbe « être » nous apprend et nous conduit à chaque instant sur le chemin décapant d'un juste effacement…
C'est ce qui se révèle à la lecture de ce livre original, attachant voire percutant de Marion d'Elissagaray, au fond une très judicieuse réponse à une des questions posées alentour d'une page : « Peut-on compter sur l'insolence des femmes ? » Oui, sans réserve.
Ici, une mère fait le récit de l'expérience – à nulle autre pareille – de la vie de son fils jeune dont la mort a fait mourir la mort « même si cela ne se voit pas encore », dit-elle ; de même qu'elle a auparavant précisé que cet événement difficile à comprendre va demeurer encore et toujours à interpréter.
Dans ce récit allégorique, l'auteure a bien pour projet – et réussite – de faire parler les mots et donner à entendre que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, le vent de l'espérance ne s'est pas enfui : « La victoire de la vie est chose définitive pour vous tous. » L'attente et la veille le permettent. Si « les rites vieillissent, pas les mystères ni les poèmes », alors, dans son permanent exode, le temps des humains à nouveau, comme l'océan infiniment, relève et déploie des rouleaux d'Écriture et de désir, un langage en quête de justice et d...
LA POÉSIE, UNE PETITE VOIE
CHRISTUS N°276
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Jean-Pierre BOULIC

Itinéraire
Au fil des années, j'ai pu comprendre que la foi en Christ qui m'a été donnée, nourrie grâce à de multiples rencontres, nécessitait d'être partagée. Qu'elle ne pouvait être enfermée. Ce désir se devait de passer par la parole : intuition qui m'a conduit sur un itinéraire littéraire et poétique pouvant être considéré comme le « lieu » d'une expérience spirituelle vécue en ce monde. En ce monde tel qu'il est.
Certes, on peut deviser sur les blessures du monde. Mais, plutôt, ne doit-on pas l'écouter et lui parler au cœur ? La nature humaine si fragile cherche à être en conversation avec le créé. S'il est écrit que l'univers était contemplation et louange, Éden, ne faut-il pas rappeler, dans la patience, dans la confiance, le sens de cette parole primitive que peut transmettre l'écriture poétique ?
La poésie voit et dit le monde à travers le prisme de la création. Et, à ce titre, elle peut justement être ce partage d'une parole de supplication, de louange, de célébration, d'étonnement, d'émerveillement, suscitée par la beauté de la création, aux fins de pouvoir révéler un mouvement d'espoir, voire d'espérance, quelque chose qui s'inscrit dans la réalité pour un bonheur de vivre.
Vers l'intime
Sur ce chemin de poésie où l'on est conduit – chemin souvent ardu parce qu'il déconcerte dans sa folie aux yeux d'un grand nombre – se fait ressentir, face aux transgressions physiques et morales, l'impératif d'un monde renouvelé, recommencé. Et ce, afin de susciter en chacun...
ÉLARGIR LE PRÉSENT, BÉATRICE MARCHAL
CHRISTUS N°278
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Jean-Pierre BOULIC

Le Silence qui roule, 2020, 104 p., 15 €.Si la poésie est fruit du sensible et du cœur, il lui faut encore savoir s'arrêter de manière à prendre le temps de contempler et faire sienne ce que l'émotion a pu susciter jusqu'à engendrer un univers. Dans son nouveau recueil, écrit en mémoire de son père, Béatrice Marchal donne en partage « un élan définitif vers la vie », après avoir retrouvé « ce qui n'a cessé de vivre / en secret au plus profond… »En effet, l'écho des pas anciens auprès du « vieux tronc / prodigue de souvenirs » et l'amour familial accueilli, recueilli, conduisent à renaître au cœur des événements de l'existence, de ce qui fait l'ineffaçable appel à habiter sa vie, d'en suggérer la parole, souvent au prix de la blessure. Ce que les poèmes dévoilent, au-delà des contradictions d'itinéraires détenant « en leur sein les fils colorés et innombrables / qu'entre eux tissent les êtres… » Oui, il s'agit d'habiter le présent, sans renier ce que l'on est, en acceptant messages non déchiffrés, interrogations, manques de vigilance et doutes. Ainsi, Béatrice Marchal demeure attentive à ce que son hist...