Jésuite, docteur en philosophie, doyen de la faculté de philosophie du Centre Sèvres, membre du comité de rédaction de Christus,
A publié L’arbre du pèlerin (Salvator, 2017), Consolation et action. La spiritualité jésuite pour aujourd’hui (Tallandier, 2019) et Le pardon ou la victime relevée (Salvator, 2019).
REGARDS CROISÉS
CHRISTUS N°230
-
Gaspard-Hubert Lonsi Koko
Guilhem CAUSSE
Être exilé, c’est perdre ses racines, son environnement, toute une part de son identité et du lien à sa terre, à ses valeurs, à ses symboles… C’est aussi être motivé par l’espoir d’une vie meilleure, quand ce n’est pas simplement la condition d’une survie, ou encore l’espoir d’un salut pour soi-même, sa famille, son peuple ; et plus avant, l’espoir d’un retour possible. À ces réalités complexes répond dans nos sociétés une recherche d’accueil, de compréhension et de « vivre ensemble », digne et juste, avec des populations qui s’installent de manière brève ou durable.
Afin de nous aider à regarder ces réalités en face, nous convions le lecteur, sans autre préambule, à une longue contemplation à travers trois expériences : d’abord le récit d’un réfugié politique congolais (Gaspard-Hubert Lonsi Koko) qui nous fait partager son long parcours d’exil en France et les leçons qu’il en tire aujourd’hui ; ensuite, celui de Guilhem Causse, jésuite, qui trace le portrait de deux demandeurs d’asile qu’il a été amené à accompagner dans le cadre d’associations (JRS et Pierre Claver) ; enfin, celui d’un couple dont...
Mots clés :
Catholicisme
Charité
Ecoute
Epreuve
Justice
Louange
Pauvreté
Politique
Promesse
Service
Lire la suite
SAINT JACQUES BERTHIEU
22 OCTOBRE 2012
-
Guilhem CAUSSE

Jacques Berthieu est né en 1838 près de Polminhac dans le Cantal. Ordonné en 1863, il exerce dix ans avant de répondre à l’appel à la vie missionnaire jésuite. Après le noviciat et une courte théologie, il part pour l’île Sainte-Marie où il reste jusqu’à son expulsion en 1880, en application du décret visant les Jésuites. Il est alors nommé près de Fianarantsoa. Il en est expulsé en 1883 avec tous les Français en représailles d’une intervention de la marine française. Fin 1885, la paix signée, il part à Ambositra puis Anjozorofady, au nord de la capitale. La guerre reprenant, il s’en va pour ne revenir qu’en 1895. La paix est fragile et les Menalamba, une tribu des environs, se soulèvent. Le 6 juin 1896, le Colonel Combes décide le repli sur Tananarive. Il part en tête avec ses hommes, laissant la colonne s’étirer dangereusement. Le Père chemine avec les derniers. Soudain les Menalamba attaquent. Les militaires sont trop loin. Le groupe, réfugié dans un village fortifié, a le temps de célébrer une messe. Le Père renvoie ensuite les Malgaches qui sont avec lui : aucun ne sera pris. Il est alors capturé, insulté, frappé. Sur le chemin, on le fait trébucher, on lui reti...
Mots clés :
Compagnie de Jésus
Courage
Eglise
Mission
Sainteté
Lire la suite
LA CHARITÉ, LA CHASTETÉ ET LA FOI
08 NOVEMBRE 2012
-
Guilhem CAUSSE
Tout d’abord, il convient de reconnaître que malgré l’ampleur de l’événement, (150 000 personnes étaient rassemblées pour la célébration de l’eucharistie sur le lieu du martyr, le 21octobre, avec 17 évêques, le nonce apostolique, le Premier ministre malgache et l’Ambassadeur de France), Jacques Berthieu est encore peu connu dans la Grande Ile. Sa canonisation a cependant mis en avant trois éléments, qui gardent toute leur valeur pour aujourd’hui : la charité, la chasteté et la foi.
La charité : si, à l’appel d’un vieil homme épuisé, il n’avait pas quitté l’avant du convoi et la protection des militaires pour se rendre à l’arrière avec les derniers, Jacques Berthieu n’aurait pas été pris par les Menalamba et tué.
Le pays est aujourd’hui dans une situation dramatique : la pauvreté s’aggrave, les personnes âgées longtemps l’objet d’un grand respect dans la culture traditionnelle, sont en train de perdre cette protection, les plus faibles sont les premières victimes. L’action de Jacques Berthieu peut inspirer l’Eglise dans son attention aux plus petits et dans la remise en valeur d’éléments fondamentaux de la culture m...
Mots clés :
Amour
Catholicisme
Charité
Eglise
Foi
Sainteté
Voeux
Lire la suite
DES VOEUX POUR LA GRANDE ÎLE
08 NOVEMBRE 2012
-
Guilhem CAUSSE

Tout d’abord, il convient de reconnaître que malgré l’ampleur de l’événement, (150 000 personnes étaient rassemblées pour la célébration de l’eucharistie sur le lieu du martyr, le 21octobre, avec 17 évêques, le nonce apostolique, le Premier ministre malgache et l’Ambassadeur de France), Jacques Berthieu est encore peu connu dans la Grande Ile. Sa canonisation a cependant mis en avant trois éléments, qui gardent toute leur valeur pour aujourd’hui : la charité, la chasteté et la foi.
La charité : si à l’appel d’un vieil homme épuisé, il n’avait pas quitté l’avant du convoi et la protection des militaires pour se rendre à l’arrière avec les derniers, Jacques Berthieu n’aurait pas été pris par les Menalamba et tué. Le pays est aujourd’hui dans une situation dramatique : la pauvreté s’aggrave, les personnes âgées, longtemps l’objet d’un grand respect dans la culture traditionnelle, sont en train de perdre cette protection et les plus faibles sont les premières victimes. L’action de Jacques Berthieu peut inspirer l’Eglise dans son attention aux plus petits et dans la remise en valeur d’éléments fondamentaux de la culture malgache.
La chastet&ea...
Mots clés :
Catholicisme
Charité
Dieu
Famille
Foi
Mission
Sainteté
Voeux
Lire la suite
LA MANTE RELIGIEUSE, UN FILM DE NATALIE SARACCO
21 MAI 2014
-
Guilhem CAUSSE
Ce film, La mante religieuse, pourrait diviser les spectateurs. Certains entreront d’emblée dans l’œuvre, pris de sympathie pour Jézabel et son éprouvant chemin de rédemption. D’autres risquent de la rejeter : plus en empathie avec David, ils réagiront au poids de mort de cet itinéraire.
C’est là qu’il importe d’insister sur le mouvement du film : il dirige d’emblée notre attention non sur le prêtre mais sur Jézabel et son parcours. Le douloureux écart initial entre ce qu’elle exprime et ce qu’elle ressent pourra-t-il être comblé, jusqu’à la joie ?
Son autoportrait apparaît, visage plein cadre, vibrant d’émotions contradictoires. Lorsqu’elle crée, elle dit vrai, elle est cet être aux traits troublés, terrorisée, « poupée cassée » en quête d’identité et en fuite des autres. Mais dès qu’elle quitte son atelier, elle sombre : les plans se multiplient où elle marche dans un tunnel, sur un trottoir, ces couloirs qui interdisent de tourner à droite ou à gauche, obligeant à avancer vers le lieu où elle ne veut pas aller. La scène inaugurale est en cela remarquable : elle entre dans la galerie où se déroule le vernissage...
CE QUI CIRCULE ENTRE NOUS
CHRISTUS N°250
-
Guilhem CAUSSE
Voici quelques années, devant parler du respect à une classe d’élèves en troisième professionnelle, je leur ai proposé de jouer des saynètes de la vie quotidienne : « j’arrive en même temps que quelqu’un devant une porte », « je vois quelqu’un jeter un papier dans la rue », etc. La même scène était jouée plusieurs fois, donnant lieu à une diversité étonnante de propositions. Le reste de la classe observait, puis chacun pouvait réagir. À la fin, nous avons cherché à rassembler l’expérience en une phrase. La première qui a surgi est : « le respect, c’est me faire respecter ». Au fil des débats, une autre a peu à peu émergé, et c’est sur celle-ci que nous avons fini par nous entendre : « le respect, c’est se parler ».
Ces deux définitions illustrent bien le mouvement qu’est le respect : il circule entre moi et l’autre par la parole. À l’inverse, l’absence de parole est souvent signe d’irrespect. Le respect, en effet, est comme une pièce à double face. D’une part, il est une demande : si la demande n’est pas entendue ou si elle ne sait pas se dire, elle peut se durcir en exigence...
Mots clés :
Bien commun
Fraternité
Respect
Relation
Lire la suite
PASSAGES VERS L'UNITÉ INTÉRIEURE
CHRISTUS N°260
-
Guilhem CAUSSE
Le temps peut se vivre comme une tension, une alternance entre unité et dispersion. L'expérience du mal se loge au creux de cette tension lorsque la dispersion l'emporte. Pourtant, des passages vers l'unification s'ouvrent à nous : créer, célébrer, faire œuvre de justice et de miséricorde, se recevoir, donner…
Nous sommes dans le temps, comme en un vaste fleuve qui nous emporte, parfois avec une lenteur majestueuse, parfois dans des rapides où nous manquons de nous briser. Nous voguons sur un fleuve qui a la largeur de l'océan, sans rives à l'horizon, et nous sommes embarqués sur de frêles esquifs dont nous apprenons, cahin-caha, le maniement. Et bientôt, alterneront des jours où nous serons comme un pilote maîtrisant sa navigation et d'autres où nous verrons, impuissants, la barre qui tourne en tous sens, sans possibilité de la saisir. De ce fleuve, non seulement les rives, mais aussi la source et l'embouchure nous échappent. C'est vrai pour chacun d'entre nous, aussi bien que pour l'univers tout entier. Pour l'univers, inutile d'épiloguer : la question de son origine est des plus hypothétiques. Quant à celle de sa fin, les hypothèses sont encore plus hasardeuses.
Entre unité et dispersion
Même si nous nous en tenons plus modestement à l'échelle de notre vie, l'heure de notre mort no...
SE DÉPASSER VERS SOI-MÊME ?
CHRISTUS N°264
-
Guilhem CAUSSE
Se dépasser, c'est mener une forme de lutte qui peut être portée par une volonté de domination de l'autre ou de soi ou, au contraire, par un désir d'accueil de l'autre. L'amour et le pardon qui nous ouvrent à autrui sont les plus grands de tous les dépassements.
« Dépasser » est un beau verbe de la langue française, composé du préfixe « dé » qui marque l'intensification et du verbe « passer » qui vient de « pas », synonyme de « marcher ». Dépasser, c'est étymologiquement marcher plus vite, presser le pas, passer devant les personnes qui nous précèdent. Et c'est au prix d'un effort : nous prenons pour un moment un rythme plus intense. Dépasser et se dépasser sont alors liés.
À ce sens littéral s'adjoint un riche sens figuré : dépasser les limites (ou, plus familièrement, les bornes), l'attendu, l'habituel, le permis, le possible, le concevable, l'entendement, l'imagination, les espérances… Ici, dépasser et se dépasser peuvent aussi être liés : lorsque quelqu'un dépasse ce qui était attendu de lui, c'est qu'il était en quelque sorte identifié à un ensemble de capacités, de potentialités. En les dépassant, i...
UNE PUISSANCE DE VIE
CHRISTUS N°275
-
Guilhem CAUSSE

Entrer philosophiquement dans le thème de la douceur conduit à penser à des expressions qui s'allient rarement. Ainsi, la douceur est en l'homme une puissance de vie bonne qui lui permettra de s'opposer à la violence. Elle demande du courage.
Qu'est-ce que la douceur ? Que peut dire la philosophie de cette réalité qui, à bien des égards, échappe à la compréhension, tant elle a de facettes ? Qu'y a-t-il de commun entre la douceur d'un galet et celles d'une mélodie, d'un climat, d'une personne ? Et comment cerner ce qui vient d'abord par notre sensibilité et que l'intelligence peine à penser ? Ce sera donc par les sens que nous pourrons commencer à la comprendre, par la manière dont elle se donne à sentir, à goûter et, peu à peu, à découvrir sa dimension plus spirituelle, lorsqu'elle ouvre un monde. Dans cette exploration, nous serons notamment guidés par Anne Dufourmantelle1 qui, dans La puissance de la douceur, a longuement médité cette réalité.
Création
La douceur est sensible, c'est par les sens que nous y accédons. Mais des sens, aussitôt, elle passe au sens, elle ouvre un monde, elle devient spirituelle en transformant ce que nous vivons en espace plus habitable. La douceur d'un geste ou d'une parole peut faire, d'une épreuve, une tente de rencontre. La douceur est créatrice de monde, si le monde est le lieu où chacun a place : « Heureux les doux, car ils habiteront la terre. »
Le romancier tchèque Bohumil Hrabal, dans son joyeux roman La chevelure sacrifiée, décrit u...
VERS UN RENOUVELLEMENT DU SACREMENT DE LA RÉCONCILIATION
CHRISTUS N°277
-
Guilhem CAUSSE

S'inspirant de ce qui se passe dans le champ de la justice où la victime se voit accorder une plus grande place grâce aux renversements apportés par la justice restaurative, l'Église pourrait-elle repenser certains de ses rites et de ses sacrements, notamment celui du pardon ?
De victime à témoin. Le titre choisi par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) pour le recueil des paroles des victimes dit un renversement de perspective qui tient à la priorité donnée à la victime sur l'agresseur : la victime devient témoin non seulement du mal qu'elle a subi – de la part de l'agresseur et de celle de responsables institutionnels qui ont imposé le silence – mais aussi des conséquences de ce mal et enfin de ce qui l'aide à se relever et avancer. De victime à témoin et de témoin à actrice : elle contribue ainsi aux réformes systémiques qui s'imposent. La Commission reconnaissance et réparation (CRR) et l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) s'inscrivent dans ce processus, tout comme les groupes de travail créés après la Ciase.
Les rites façonnent l'Église : en quoi le fait de donner la priorité à la victime interroge-t-il ces rites, en particulier le sacrement de « la pénitence et la réconciliation »1 ? Pour bien saisir le renversement auquel nous sommes convoqués, il nous faudra d'abord revenir sur la longue tradition qui met l'agresseur au cœur de la question du pardon. Ensuite, l'écoute des évangiles nous perme...
LA DISPUTATIO POUR APPRENDRE LA CONVERSATION
CHRISTUS N°278
-
Guilhem CAUSSE

La disputatio est, dès l'origine de la Compagnie de Jésus, au cœur de la formation des jésuites. Ignace de Loyola l'avait lui-même pratiquée lors de ses études à l'Université de Paris. Il en avait été si marqué qu'il avait décidé d'en faire le principe pédagogique fondamental de la formation : les Constitutions y font référence à plusieurs reprises1.
Est ainsi décrit le grand exercice hebdomadaire : les thèses qui allaient être défendues le dimanche étaient affichées la veille, permettant à chacun de s'y préparer. Le jour dit, les étudiants désignés défendaient leur thèse, puis ceux qui le désiraient se levaient pour argumenter. La discussion s'engageait en présence d'un président qui arbitrait et, à la fin, reprenait et donnait des explications aux auditeurs.
Un temps de dispute était également proposé chaque jour, afin que « les esprits soient plus exercés et les points difficiles survenant en ces matières soient éclaircis, à la gloire de Dieu2 ».
Le but de la disputatio est donc double : par son exercice quotidiennement répété, il s'agit de mieux comprendre ce qui a été étudié via son expression ; et cette expression est une conversation. La conversation est à la fois le moyen et la visée de l'apprentissage. Ce qui est à connaître a la forme d'une conversation, et la manière de le comprendre et de l'exposer à cette même forme.
Aujourd'hui, la disputatio est reprise et actualisée3. Par exemple, un enseignant fait une leçon à l'issue de laquelle il propose une thèse à di...