Françoise LE CORRE

Philosophe, ancienne rédactrice en chef adjointe de la revue Études.
A publié L’humilité, ni vue ni connue (Lessius, 2021), Les jardins de l’obéissance (Bayard, 2010)
AVEC SA MÈRE EN SON GRAND ÂGE
CHRISTUS N°229
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de MAINDREVILLE Remi Françoise LE CORRE René-Claude Baud
D’exceptionnelle il y a encore quelques années, la présence des nonagénaires et des centenaires dans les familles occidentales s’est banalisée. Ce phénomène nouveau oblige sexagénaires et septuagénaires à se rendre disponibles pour s’occuper de leurs parents âgés, et non plus seulement de leurs petits-enfants. Il n’est jamais facile de livrer aux lecteurs ne serait-ce qu’un reflet de ses relations avec sa mère. Lorsque celle-ci atteint un âge que l’on qualifie pudiquement de grand, cela devient périlleux, car bien des repères nous manquent pour appréhender cette situation inattendue. Trois auteurs témoignent ici avec pudeur de l’expérience spirituelle qu’ils ont retirée de leur confrontation au grand âge à travers leur mère. Remi de Maindreville, dont la mère est presque centenaire, tente de montrer ce que nous avons à apprendre de notre relation avec notre mère âgée, pour peu qu’on l’aide à rester mère. Françoise Le Corre nous a fait l’amitié – et nous l’en remercions vivement – de nous offrir une prière écrite au moment où sa mère, décédée depuis, déclinait fortement. René-Claude Baud, enfin, s’est livr&eacute...
Mots clés : Famille Foi Grâce Liberté Mère Sagesse Vieillir Littérature
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EN CE GRAND ÂGE DE MA MÈRE
01 JANVIER 2011
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Françoise LE CORRE
Ô Dieu Toi l’inconnu le plus sûr Toi qui te tiens au plus lourd de nos fatigues Toi, l’accueil de nos insuffisances Toi qui nous sais lointains et pourtant désirants Tiens-moi en ta présence En ces jours vécus auprès de ma mère Qui souffre le déclin de sa vie. Sois auprès d’elle, dans le silence qui gagne Dans sa mémoire faible, dans la lenteur des gestes Dis-lui ce que nous ne savons dire Dans ce murmure des âmes que toi seul connais. Sois vie sur cette vie qui s’en va Souffle pour le souffle qui peine Tendresse où sont les raideurs. Toi, l’enfoui de nos balbutiements, l’oublié de nos fuites. Toi, le Nom à fleur de lèvres, l’amour inespéré Tiens-nous ensemble au plus près de toi Car nous sommes l’une et l’autre dans l’ombre de ta douceur Dans la marche et l’attente tremblante. Courbe-nous ensemble vers la bonté de la terre Incline-nous jusqu’à nous fondre dans la nuit des temps Prends-nous l’une et l’autre dans la sève profonde de l’histoire Dans la reconnaissance de ceux qui nous ont précédées. Donne-nous de nous abandonner à ce qui s’accomplit. Pour le reste, tout le reste Nous te confions les matins à venir Ils viennent, comme furent les jours que nous connûmes...
Mots clés : Mère Sagesse Vieillir Littérature
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L’IMAGINATION BLANCHE
CHRISTUS N°221
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Françoise LE CORRE
Serions-nous si austères dans notre conception de la spiritualité que l’imagination y soit si spontanément suspecte ? À l’inverse, comment expliquer que l’on puisse se montrer si enfiévré en sa faveur dès qu’il est question d’art, de sciences ou de politique (« l’imagination au pouvoir ! », scandait-on dans un passé, révolu certes, et pourtant pas si lointain) ? Pourquoi tant d’excès autour d’une manifestation de l’esprit tour à tour exaltée comme « géniale » et décriée comme « malin génie » ? La puissance de l’écart S’il convient de se garder des excès d’appréciation, il est sûr en revanche que cette faculté est, à bien des égards, déroutante, puisqu’elle s’affirme par des poussées fortement individualisées. Arrive toujours un moment où celui qui imagine se distingue des autres. Outsider, pionnier, visionnaire, évadé ou largué, on avance d’abord seul sur le chemin de l’imagination. Imaginer, c’est sortir, au moins dans un premier temps. Sortir du lot, du mode de pensée ambiant, de ce qui est tenu pour réel, s’aventurer. On peut se per­dre dans ces échappées, et l’on comprend les prude...
Mots clés : Ascèse Evénement Expérience spirituelle Humanisme Imagination Indifférence Liberté Promesse Réalité
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CE QUE L’ÉPOQUE PEUT ENTENDRE
CHRISTUS N°215
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Françoise LE CORRE
Pour nombre de nos contemporains, mis à part quelques initiés, le terme de « combat spirituel » s’accompagne d’une résonance étrange. À voir leur perplexité, on se croirait devant une notion effondrée, disparue sans bruit du paysage social et intime. Autour de ces deux mots qui furent si parlants, ne demeure qu’une série d’images surannées, comme autant de vestiges d’un patrimoine religieux englouti : mystiques tourmentés, ascètes, pénitents excessifs, fous de Dieu aujourd’hui redoutés… Dans ces lambeaux d’images, le désert figure encore en bonne place, avec son lot de tentations et de solitude. La résistance au démon, le combat avec l’ange, les affres de la nuit subsistent à l’état de traces, mais on ne souhaite guère s’y appesantir à cause du soupçon de la négation de soi, qui semble aujourd’hui une faute grave, un déni du réel, une impasse sacrificielle. Et le désert, si son image surgit à l’évocation du combat spirituel, n’est qu’un « vieux » désert ! Car le désert de nos imaginaires collectifs actuels offre d’autres perspectives. Il serait plutôt celui de la grande réconciliation avec soi, avec le monde, avec Dieu ; le lieu d’un no...
Mots clés : Combat spirituel Démon Joie Parole de Dieu Parole d’homme Désir
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EVEIL : VOICI LE MIRACLE
CHRISTUS N°205
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Françoise LE CORRE
« Voici le miracle, les corps solides ; mes soucis, mes projets et le Jour. » Paul VALÉRY Éveil : le mot sonne peu dans notre quotidienneté. Il paraîtrait presque précieux, réservé aux poètes, aux rêveurs, aux oisifs, voire aux libertins — avec l'éveil des sens —, ou encore à la pédagogie de l'enfant. On ne saurait s'étonner de sa faible résonance en ce qui concerne les adultes. Sa fraîcheur insolite correspond peu à notre rythme de gens actifs. Plus que d'éveils, nous avons l'expérience réitérée de réveils ; et ce n'est pas jouer sur les mots. Tous les jours nous connaissons cette forme impérieuse qui nous sort du sommeil : sonnerie, radio, téléphone ; injonction. Nous voulons être réveillés. Cela se programme, vient de l'extérieur, fait irruption, mieux, fait rupture dans le sommeil, qu'il soit fil fragile ou nappe épaisse, informe et lourde. Le réveil est le rappel comminatoire — et fort utile — des choses à faire, du rôle à tenir, des engagements à respecter, des rendez-vous à honorer. Il nous situe dans le temps de l'action, des tranches horaires, des minutes comptées, du sens pratique, du calcul et de l'organisation ; en un mot : de la vie sociale. L'éveil a...
Mots clés : Action Expérience spirituelle Imagination Réalité Vérité Temps
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PASSEURS DE VIE
CHRISTUS N°205
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Françoise LE CORRE
Bayard, coll. Questions en débat », 2004,315 p., 19 €. Les lecteurs réguliers de Christus se souviennent sûrement d'un précédent numéro (n° 202, avril 2004) : « La paternité, pour tenir debout », où se trouve un article de Xavier Lacroix intitulé « Visages du père ». C'est peu dire que le thème est et reste d'actualité. Dans une société où les rôles sont devenus si difficiles à identifier, si « flexibles », parfois interchangeables, celui de père est en bonne place dans le souci contemporain. Les médias, qui se font largement l'écho de tout ce qui se cherche autour de la famille, marquent un intérêt tout particulier pour les pères : pères manquants, pères dépossédés, nouveaux pères, pères-mères... ; tandis que les différentes disciplines se croisent sur un thème qui touche chacun de si près : la psychologie et la psychanalyse, bien sûr, mais aussi le droit, la sociologie, sans compter les innombrables « projections » artistiques, du cinéma à la littérature. Le prisme est donc très large, qui offre une multiplication d'histoires et d'interprétations , tout ce qui donne à voir ce qu'il en est des pères, de leur force, de le...
Mots clés : Livres
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LES RUSES DE LA VIOLENCE
CHRISTUS N°192
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Françoise LE CORRE
Quand à Paris, l'hiver dernier, des bandes rivales investirent le Centre commercial de la Défense, l'événement suscita une émotion exceptionnelle. L'actualité n'en était pourtant pas au premier affrontement de ce type : certaines banlieues ne connaissent que trop bien ces explosions dévastatrices. Mais là était justement la question : la violence n'était pas sur « ses » lieux. On eût dit que le fleuve était sorti de son lit. A travers cette stupeur se révélait une géographie des inconscients collectifs, selon laquelle, en larges cercles concentriques, se répartissent les représentations de la violence dans une société démocratique avancée en temps de paix. Les trois cercles Tout près par l'image, mais à distance infinie néanmoins : les zones du monde livrées à la guerre Fussent-elles au coeur de l'Europe, nous en sommes bien loin, et pour toute sorte de raisons. D'abord parce qu'une ligne infranchissable sépare des autres ceux qui sont ou ont été « dans » la guerre : le film Harrison's Flowers le rappelait, récemment encore, à propos de la Bosnie. Ensuite, parce que les informations tragiques parvenues à l'Europe « paisible » renvoient chacun à un total sentiment d'impuissance. Quelle que soit notr...
Mots clés : Paix Violence
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OMBRE PORTÉE SUR LES IMAGES DU MONDE
CHRISTUS N°181
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Françoise LE CORRE
Que dire des images dans les sociétés médiatiques ? Parlera-t-on de prolifération — terme qui laisse percer la méfiance — ou de profusion — constat nettement plus généreux ? De toute façon, l'impression d'ensemble est celle d'un foisonnement. Les images s'appellent, se repoussent, empruntent, inspirent, s'évanouissent, s'articulent, prises dans l'écrit, bavardes dans les bulles, soulignées de musiques, langage enlacé au langage ; elles se jouent de l'espace, bouleversent le temps. Fermant les yeux, on serait tenté de dire qu'elles font du bruit ! Du bruit, en effet ! L'auditif surgirait-il du visuel et avant lui ? Est-ce le fait des correspondances ? Est-ce seulement que « l'oeil écoute » ? C'est au-delà, ou plutôt en deçà. Insaisissables et déroutantes, elles sont dans un constant échappement. Mais leur vraie place ? Celle que désigne le regard, celle qui quête attention ? Le temps manque ! Pour qu'il y ait regard, en effet il faut du temps, le temps de l'attente déjà, le temps du désir, puis celui d'être « là devant » et que l'image s'offre. Et il faut du silence pour que l'image « parle ». Regard et images ne semblent-ils pas, dans un même naufrage, avoir quelque peu sombré ? D'une image à la suivante, la surim...
CONSOLATION, INSPIRATION, TRANSFIGURATION
CHRISTUS N°235
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Françoise LE CORRE
L’« au-delà »… Au-delà de tout ce que nous connaissons, expérimentons, au-delà des frontières de la vie, des liens de l’amour. La notion de l’au-delà nous renvoie d’abord à la mort, à la nôtre mais avant tout à celle de nos proches. L’au-delà est l’immensité, à perte de vue et jusqu’à en perdre le souffle, de notre dépossession. De multiples façons sous le signe de la perte, il est l’autre nom de notre cœur et de notre esprit en perdition, et rarement le langage aura été aussi bien inspiré et fidèle à la réalité que lorsqu’on dit avoir « perdu » un être cher. Est vraiment perdu en effet celui qui vient de mourir, et à peine a-t-il disparu qu’on le cherche déjà. Oui, on le cherche. D’abord stupéfait, le souffle coupé, en état de sidération devant le corps privé de vie, de regard et de chaleur, on passe ensuite par toutes les affres d’une recherche, de l’abattement à l’exaspération ; affolement, agitation, fébrilité. « Il est mort », tel est le constat, mais où est-il? « Elle est morte », mais où la trouver ? On ne peut plus le ou la situer, l’imaginer, l’accom...
ANIMALITÉ : L’INTIME ÉTRANGETÉ
CHRISTUS N°241
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Françoise LE CORRE
Il faut remonter très loin dans la mémoire collective occidentale pour retrouver des représentations de complicité heureuse, paisible et innocente, entre l’homme et l’animal partageant un même monde et vivant dans une proximité sans heurts. Images d’une humanité accordée à l’ensemble de la Création, projections d’un rêve très enfoui, que rien ne parvient à étouffer complètement.    Images de rêve De cette sensualité harmonieuse, simple et naturelle, non encombrée d’elle-même, évidente comme le sont les évidences des songes, la tapisserie de la Dame à la Licorne (Musée de Cluny) est une illustration parfaite ; elle a justement les cinq sens pour objet. Aux côtés de la licorne et du lion, qui veillent auprès de la Dame, gambadent les lapins et les singes ; les renards et les loups ne font pas oublier les agneaux, la genette voisine avec le héron, la Dame nourrit le faucon. À cette subtile et élégante fête des sens, tous participent. Il n’y a ni rivalité, ni envie, ni domination. Toute violence est effacée, toute frontière inutile. L’île bleue aux pieds de la Dame semble n’être qu’un surcroît de beauté ajouté aux arbres et aux mil...
Mots clés : Animalité
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LA JOIE DE L’ÉVANGILE
CHRISTUS N°244
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de MAINDREVILLE Remi Françoise LE CORRE
Christus : En quoi, selon vous, cette exhortation apostolique serait, comme le pensent beaucoup, un événement spirituel ? Remi de Maindreville : Parce que, me semble-t-il, dans la ligne de celles de Paul, l’exhortation du pape François est très incarnée, très vivante, et touche l’esprit et le cœur de chacun. Ce texte, qui fait suite à un synode sur la « nouvelle évangélisation », n’est pas un plan d’action ni un discours sur la mission, il est en lui-même un envoi en mission. Et il dit dès le début, dès la première phrase, que la mission procède d’une rencontre intérieure, ce qui est donc très spirituel. Dans l’exhortation, en effet, on voit se joindre et se croiser des fils qui touchent la vie individuelle, la vie de prière, son comportement par rapport à la religion, par rapport au monde. Elle renvoie chacun à soi-même, tout en étant repris dans une vision beaucoup plus globale, plus collective. L’Église, pour le pape, est faite de gens qui se laissent traverser par l’Esprit. Françoise Le Corre : J’ajouterais que, pour moi, c’est un texte renversant : il renverse jusqu’à nos inquiétudes, jusqu’à nos angoisses pour l’Église. La joie qu&rsq...
VIVRE EN PLÉNITUDE
CHRISTUS N°245
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Françoise LE CORRE
Comment les chrétiens ne seraient-ils pas séduits ? Si cette nébuleuse du développement personnel, dans laquelle s’illustrent pratiques, théories, philosophies et spiritualités, correspond bien à la sensibilité de l’époque, elle en révèle certains des traits les plus vivants. Il y a de l’élan dans cette mouvance et cet élan nous plaît. Au-delà de l’efficacité qu’en escomptent entreprises et organisations, elle témoigne au niveau des individus d’un engagement et d’une recherche active. Dans cette volonté de se prendre en main se reconnaît le goût de vivre, et de vivre d’une bonne et belle vie. Ce n’est pas rien : résistance à la morosité et au défaitisme, résilience, désir de s’améliorer, d’être en harmonie avec les autres, espoir d’être reconnu et même heureux, le tout à partir d’une connaissance de ses fragilités. Le tableau ne peut laisser indifférent. Mais, à l’inverse, comment les chrétiens ne seraient-ils pas sur une certaine défensive, en tout cas hésitants ? Personnel, trop personnel pour être honnête, ce développement ! L’ego n’est-il pas déjà suffisamment valor...
Mots clés : développement personnel Connaissance de soi Recherche de la reconnaissance
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LA DICTATURE DU PARTAGE
CHRISTUS N°250
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Françoise LE CORRE
 Ce livre aurait pu n’être qu’une diatribe de plus contre les addictions contemporaines aux smartphones, portables et autres tablettes. Heureusement, il n’en est rien : le propos est infiniment plus subtil, même si le titre se veut provocant. À partir d’exemples très concrets (groupes de partage, phénomène du like, généralisation du tutoiement…), il sonde ce mouvement quasi irrépressible qui pousse toute une société vers le partage – ou pour mieux dire la partagitude –, culminant dans la diffusion immédiate et la plus large possible de tout ce que chacun a vu, entendu, ressenti. Vite fait, bien fait, puisqu’un clic suffit. L’auteur observe ces pratiques non seulement à distance critique, comme le ferait un sociologue, mais à partir de sa propre expérience, cœur divisé entre réflexes acquis, résistance et insatisfaction. Le style vif, plein d’humour, très agréable à lire, vraiment beau par moments et la composition de l’ouvrage en font une chambre de résonances où la philosophie trouve son compte autant que la spiritualité et la poésie. Ce qui fait la singularité de ce texte, c’est de n’être jamais manichéen et de déceler, jusque dans ses caricatures les plus grotesques, les...
QUE FAIRE ?
CHRISTUS N°252
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Françoise LE CORRE
Face au sentiment que notre monde est devenu immaîtrisable et imprévisible, nous ne sommes pas démunis. Nous devons renoncer à l'idée qu'il nous faudrait chasser l'imprévisible avant de pouvoir agir. Prenons tranquillement notre juste place, en sujets libres.      Que faire ? C'est une question au second degré, une question lancinante qui nous suit comme notre ombre dans nos activités, et Dieu sait s'il y en a ! Pour ce qui est de faire, en effet, nous faisons ! Nous ne cessons d'agir, de travailler, d'inventer, de parler, d'engendrer, de construire. L'urgence nous pousse, le désir de vivre, d'aimer et d'être aimé, la nécessité, les habitudes acquises, nos rythmes imbriqués dans le mouvement général. Dans ce flux, nous sommes embarqués, mais la barque est secouée : nous nous sentons plus souvent roulés dans le flot qu'aux commandes, partageant une impression de dérive collective – où va le monde ? – nourrissant les plus grands doutes sur la poursuite du bien commun, sur la possibilité de consensus constructifs, sur l'efficacité de décisions prises démocratiquement et au bon moment. L'angoisse est celle d'un monde devenant immaîtrisable – mais l'a-t-il jamais été ? –, illisible, imprévisible, chaotique, d'une incroyable violence et d'inju...
FIGURES DU TEMPS PRÉSENT
CHRISTUS N°260
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Françoise LE CORRE
L'inconscient collectif occidental a longtemps été marqué par une représentation linéaire du temps qui organisait une continuité tranquille entre passé, présent et avenir. La modernité et l'esprit de rupture qui la caractérise ont modifié cela dans un abandon du passé au profit de l'avenir. Mais, aujourd'hui, quelle est la promesse de l'avenir ? S'il est vrai que le temps est depuis toujours la grande énigme de la condition humaine, sceau de la finitude, porteur des espoirs et des craintes, à la fois chance et condamnation, il ne l'est pas de la même façon selon les époques. Regarder de près comment il est vécu, éprouvé, supporté et utilisé, c'est se donner la possibilité de découvrir les dominantes d'une période de l'Histoire et d'une culture à un instant donné. La nôtre se voit souvent affublée de qualificatifs proches : moderne, hypermoderne ou surmoderne, le plus souvent postmoderne. On y verrait à tort un jeu de langage, car cette tentative conceptuelle vise à rendre compte des nuances que prend la modernité au long de son histoire déjà longue. Comme on le verra, tous ces termes ont leur raison d'être, car le spectre est large sur l'ensemble de la société actuelle. Ils témoignent non seulement des vert...
UN TEMPS D'EXCEPTION
CHRISTUS N°268
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Françoise LE CORRE
Entre sommeil et conscience, le veilleur tient ses sens en éveil. Cet article déploie de multiples facettes de la veille et fait entrer dans ce temps d'exception, temps d'écart par rapport à la vie, qui permet une attention profonde au monde et une pleine présence à soi-même et aux autres. « Il faut bien dormir ! » Curieuse assertion au seuil d'une réflexion sur la veille. Et pourtant ! Comment prendre au sérieux l'état de veille sans se référer dans un même mouvement au sommeil, le sien et celui des autres, sans en reconnaître l'impérieuse nécessité ? Pas moyen de faire autrement sans porter atteinte au plus élémentaire équilibre de la santé et de la personnalité. La vulnérabilité de chacun se révèle inexorablement dans ce qu'il connaît du sommeil : à un certain moment, on ne peut plus lutter ; la torpeur gagne tout le corps, défait les défenses, alourdit les paupières, incline la tête, déforme les impressions lumineuses et les sons, modifie le souffle. Tout l'être crie grâce et finalement s'abandonne, s'absente. La veille est en contraste. En contraste, mais pas en opposition ; en articulation plutôt, puisqu'elle s'inscrit dans le respect de ce sommeil inévitable et de la vulnérabilité humaine. On veille à côté ou pour ceux qui dorment, souvent pour leur permettre justement de dormir, pour assurer leur tranquillité, tenir à distance les difficultés, voire le danger, les avertir s'il le faut. Point besoin pour cela d'être particulièrement puissant. À celui qui dort, la f...
"PAS SANS LUI, PAS SANS ELLE"
CHRISTUS N°274
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Françoise LE CORRE
Notre existence s'abreuve en Dieu et dans l'autre comme à une même source. Ainsi, le bien commun est-il une œuvre commune où chacun apprend que l'autre est indispensable. La vie bonne se cherche avec et pour d'autres. À première vue, cyniques exceptés, la notion de bien commun paraît faire l'accord des consciences : les hommes et femmes de bonne volonté donnent leur assentiment. Le concept est large. C'est un ensemble mouvant et tonique dans lequel on retrouve les louables intentions de partage, de solidarité, d'attention à tous ; où l'on acquiesce en son for intérieur à des propositions telles que : « faire une place à chacun », « jouer collectif », « penser l'avenir »… Plusieurs orientations puissantes convergent dans ce concept rassembleur, suscitant une bonne effervescence de l'esprit. Les choses se compliquent dès que le bien commun est mis à l'épreuve, dès que des décisions sont à l'œuvre ou doivent être discutées et que chaque individu ou chaque groupe se trouve impliqué. On sort alors du domaine des idées, pour entrer dans celui des émotions. Car le bien commun entre forcément en concurrence avec certains intérêts particuliers, façons de faire, modes de vie, avantages acquis considérés comme des droits, limitations qui paraissent impossibles : bref, « ça » résiste. Atteinte à mes frontières, à ce que je suis habitué à faire, atteinte peut-être même à ce que je suis, à ce que nous sommes. Ce ne sont plus les idées qui parlent, c'est la sensibilité, or on sait qu'el...
VIVRE EN PLÉNITUDE
CHRISTUS N°270HS
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Françoise LE CORRE
Comment les chrétiens ne seraient-ils pas séduits ? Si cette nébuleuse du développement personnel, dans laquelle s'illustrent pratiques, théories, philosophies et spiritualités, correspond bien à la sensibilité de l'époque, elle en révèle certains des traits les plus vivants. Il y a de l'élan dans cette mouvance et cet élan nous plaît. Au-delà de l'efficacité qu'en escomptent entreprises et organisations, elle témoigne au niveau des individus d'un engagement et d'une recherche active. Dans cette volonté de se prendre en main se reconnaît le goût de vivre, et de vivre d'une bonne et belle vie. Ce n'est pas rien : résistance à la morosité et au défaitisme, résilience, désir de s'améliorer, d'être en harmonie avec les autres, espoir d'être reconnu et même heureux, le tout à partir d'une connaissance de ses fragilités. Le tableau ne peut laisser indifférent.Mais, à l'inverse, comment les chrétiens ne seraient-ils pas sur une certaine défensive, en tout cas hésitants ? Personnel, trop personnel pour être honnête, ce développement ! L'ego n'est-il pas déjà suffisamment valorisé dans la société contemporaine ? Est-il besoin d'en rajouter ? L'&eacute...