L’AUTRE SOLEIL
CHRISTUS N°228
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Franck DAMOUR

Desclée de Brouwer, 2010, 200 p., 19 euros.
« J’aime écouter les autres parler d’eux. Je n’aime pas parler de moi. Seul compte, me semble-t-il, ce retourne-ment du coeur qui rend possible l’avenir. » Ces premières lignes de L’autre soleil en disent le projet : faire le récit de l’histoire de l’Esprit dans la vie d’un des grands convertis du XXe siècle. Une « autobiographie spirituelle » donc, loin de tout égotisme, disant dans la chair même de son histoire personnelle les voies d’une possible histoire spirituelle du XXe siècle. Lors de la première sortie de ce livre (1975), le théologien s’expliquait : « J’ai écrit L’autre soleil, après un accident de santé, à 52 ans. C’est l’âge d’un autre départ, d’un autre commen-cement. J’ai retrouvé mon enfance, en écrivant ce livre, comme un poème. Elle a été bien perdue. Devenir adulte c’est adultérer l’enfant que l’on a été. Alors que j’ai toujours pensé que le jugement de Dieu était un regard d’enfant sur ma vie. » Un regard d’enfant qui prend la forme d’un chant théologien, car l’écriture est précise et belle.
Né dans une...
LE DÉSERT AU COEUR DES VILLES
CHRISTUS N°226
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Franck DAMOUR

Trad. J. Prignaud. Cerf, coll. « Épiphanie », 2008, 205 p., 17 euros.
Poustinia. Ce mot russe signifie « ermitage », cette petite maison dans laquelle se retire l’ermite. Un terme peu utilisé dans la littérature spirituelle russe, sauf pour décrire le lieu lui-même, mais rarement comme pour désigner l’idéal de vie. Or, pour Catherine de Hueck Doherty, dans ce livre comme dans bien d’autres, la poustinia « veut dire prière, pénitence, mortification, solitude, silence, offerts dans un esprit d’amour, d’expiation, ou de réparation envers Dieu ! C’est l’esprit des prophètes d’autrefois ! ».
L’auteur est née en Russie à la fin du XIXe siècle, dans l’aristocratie moscovite. En 1921, elle et son mari, ruinés, fuient la Russie. Ils arrivent au Canada, où ils réussissent assez vite à acquérir richesse et respectabilité. Un jour, elle reçoit un appel à vivre auprès des pauvres et, en 1930, vend tout et part vivre dans les quartiers pauvres de Toronto, Harlem, puis à nouveau aux environs de Toronto, créant des foyers de prière et de charité. Rapidement, d’autres personnes la rejoignent et fondent à leur tour des poustinia. Elle fait aussi rayonner son action par des...
JEAN SULIVAN (1913-1980)
CHRISTUS N°226
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Franck DAMOUR
HOMÉLIES SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES
CHRISTUS N°223
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Franck DAMOUR

Introd. B. Pottier. Éd. et trad. A. Rousseau. Lessius, coll. « Donner raison », 2008, 350 p., 24,50 euros
Ces Homélies sur le Cantique des Cantiques ont été écrites par un homme éprouvé par la vie, marqué au fer rouge des tensions politiques et religieuses de cet Empire au christianisme aussi officiel qu’oscillant, mais que le concile de Constantinople de 381, dont Grégoire fut un artisan, semble stabiliser. Grégoire se retire alors de la vie publique, et dans les vallons du Milanais, il approfondit la spiritualité monastique.
Ce commentaire du Cantique des Cantiques n’est pas une érudite méditation d’un esprit hautement spéculatif, mais bien une théologie, une prière longtemps ruminée au creuset des combats du monde et de l’âme : le monde en attente de l’Époux-Messie et l’épouse noircie du Mal où sa beauté originelle s’est abîmée. Elle attend, désire, répond à l’appel de l’Époux, et devient alors ce qu’elle est. L’être, chez Grégoire de Nysse, est avant tout dynamique, élan, marche, et le dialogue amoureux de l’épouse et de l’Époux n’est qu’une sublime expression de cette marche de l’être vers Dieu. Tr...
OLIVIER CLÉMENT
CHRISTUS N°222
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Franck DAMOUR
Olivier Clément est retourné à Dieu ce 15 janvier 2009. Tout a été dit sur son rôle de passeur entre les mondes, les Orient et Occident chrétiens, la modernité et la plus haute tradition, son rôle dans le mouvement oecuménique, sa capacité à parler en liberté avec les papes et les patriarches, avec les jeunes et les intellectuels, la reconnaissance de sa figure à Beyrouth, Constantinople, Moscou, Paris ou Rome. Maintes fois a été rappelé son parcours de converti, élevé dans l’athéisme et advenu au Christ à l’âge adulte après une intense quête qu’il a racontée dans son autobiographie spirituelle, L’autre soleil (Stock, 1975).
Tout cela est vrai. Peu auront autant fait pour traduire en mots compréhensibles par l’Occident les richesses de l’Orthodoxie (je pense à la prière du coeur ou à la traduction en français de la Philocalie) et amené les Orthodoxes à comprendre les constructions occidentales : son rôle dans la résolution de la question du filioque, convergeant avec le P. Garrigues, en est une traduction éclatante. Il a apporté des contributions majeures aux théologies du visage, de la beauté, du corps. Véritable poète, il savait mêler dans ses écr...
Mots clés :
Communion
Dieu
Expérience spirituelle
Réalité
Théologie
Désir
Oecuménisme
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LE CHANTRE DE LA LUMIÈRE
CHRISTUS N°220
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Franck DAMOUR

Préf. A. de Souroge. Trad. A. Siniakov.
Cerf, coll. « Théologies », 2006, 412 p., 40 euros.
De tous les Pères cappadociens, Grégoire de Nazianze est longtemps restée l’un des moins étudiés, l’un des plus méconnus du grand public. Ses textes, aux Sources chrétiennes et ailleurs, sont largement accessibles, des travaux en langue française de grande qualité ont été publiés, mais les ouvrages didactiques qui permettent d’accompagner la lecture des Discours, Lettres et de ce superbe Chant autobiographique de Grégoire ne sont pas encore très nombreux. Mgr Alfeyev nous offre ici une synthèse complète de la vie, de la pensée mystique et théologique d’un des plus grands penseurs de la Trinité, ce qui lui a valu le titre de « Théologien » dans la tradition orthodoxe.
Certes, le livre n’est exempt ni de répétitions, ni d’une certaine lourdeur stylistique, mais il demeure d’une grande clarté et offre une vision globale qui ne se réduit pas à l’accumulation de fiches thématiques. L’auteur réussit à la fois à traiter des théologies dogmatique et mystique en les distinguant, mais sans rompre leur unité profonde, permettant ainsi à nos esprits modernes...
L’ÉGLISE DU CIEL
CHRISTUS N°220
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Franck DAMOUR

Ad Solem, 2008, 57 p., 10 euros.
Les questions les plus simples font les grands livres. Et sont aussi la signature des grandes âmes.
Au printemps 1963, Jacques Maritain vient de perdre successivement son épouse, Raïssa, et la soeur de celle-ci, Véra, deux compagnes de vie, de prière et de création depuis plus de soixante-dix ans. Sur la demande des Petits Frères de Jésus chez lesquels il s’est retiré, le philosophe propose une « libre causerie » sur « l’Église du ciel », en ce temps encore appelée « Église triomphante ».
Le texte a conservé l’immédiateté et la simplicité de ces entretiens : ce petit livre semble adresser directement la parole au lecteur. Celle de Jacques Maritain qui se fait ferme et douce, toute remplie d’hésitations à parler justement de ce que l’on oublie trop souvent, de cette communion qui nous unit à nos ancêtres, à ces vivants qui ont traversé la mort et sont devenus autrement vivants. De cet autre monde dont les chrétiens, paradoxalement, parlent si peu, même entre eux. « Et cependant l’autre monde est présent dans notre monde, il s’y invite comme la foudre, – invisiblement. » De cette conviction profonde est né un fil d’espérance dont ces pa...
L’ÎLE AU-DELÀ DU MONDE
CHRISTUS N°215
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Franck DAMOUR

Trad. F. Lhoest. Cerf/ Le Sel de la terre, 2005, 213 p., 22 euros.
De la floraison de la pensée orthodoxe au XXe siècle, celle des oeuvres majeures de ses théologiens et philosophes exilés en Occident, il reste quelques échos dont les livres de Kallistos Ware, évêque de Diokleia, ancien professeur de patristique à Oxford, sont parmi les plus clairs. L’auteur anglais ne prétend pas innover, proposer de vastes synthèses théologiques : il monte sur les épaules de ses aînés pour faire entendre avec pédagogie leurs voix puissantes. Le thème dominant de ce recueil d’articles est la destination de l’homme : qu’est-ce que l’homme ? pourquoi est-il appelé à un salut ? quelles sont les voies de ce salut ? Kallistos Ware parcourt quelques lieux majeurs de la tradition orthodoxe, comme la personne-communion, la divinisation ou le fol-en-Christ, puisant à la fois dans sa connaissance des Pères et dans les synthèses modernes. La marque propre de l’auteur est de tisser un dialogue entre la patristique, la poésie anglo-saxonne et la recherche théologique occidentale au sens large, de Vladimir Lossky ou Paul Evdokimov à Karl Barth ou Karl Rahner.
Pour le lecteur francophone, la façon de traiter ces thèmes, mille fois traversés, est neuve, car elle lui fait entendre d...
EROS, AMOUR ET TECHNO-FOETUS
CHRISTUS N°213
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Franck DAMOUR
Les innovations techniques des années 50 à nos jours en matière de contrôle et d’aide à la fécondité ont été perçues comme une libération : la fécondité allait enfin devenir une réalité biologique comme les autres, libérant la sexualité. Les acquis sont considérables. Après les progrès médicaux qui ont rendu possible la chute de la mortalité infantile comme de la mortalité en couches, bien des cas d’infertilité ont pu trouver une solution. Cependant, ces indéniables progrès ont aussi modifié la vie des couples, tant dans leur dimension conjugale que parentale. Si une certaine normalisation a eu lieu, ce n’est pas exactement dans le sens d’une banalisation.
Bien sûr, les techniques utilisées pour maîtriser la fécondité sont sans doute aussi anciennes que l’humanité, de l’avortement provoqué à la fertilité stimulée. Alors en quoi notre époque innove-t-elle ? D’abord, la place faite à une technique complexe est beaucoup plus large. Ensuite, la fécondité se joue de plus en plus dans un jeu à trois, entre le couple et le corps médical. Enfin, les critères pour prendre la décision sont beaucoup plus incertains, remis au jugement...
Mots clés :
Affectivité
Amour
Combat spirituel
Cœur de Jésus
Corps
Discernement
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L'HOMME TRANSFIGURÉ PAR L'ESPRIT
CHRISTUS N°210
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Franck DAMOUR
Préf. T. Spidlik.
Lessius, coll. « La part-Dieu », 2005, 192 p., 22 €.
En Occident, la vie consacrée est l'objet d'interrogations auxquelles la collection « La part-Dieu » s'efforce de répondre depuis quelques années Un ouvrage sur la tradition des moines d'Orient s'imposait, et le défi a été relevé par un membre du Centra Aletti de Rome, institut consacré au dialogue entre les « deux poumons » de l'Eglise. Défi, car en la matière poncifs et attendus sont considérables.
Pourtant, lorsqu'on lit le petit ouvrage de Michelina Tenace, la tentation est fréquente de vérifier le sous-titre porté sur la couverture, tant il ne semble guère être question de la vie consacrée. Bien sûr, puisqu'il s'agit d'Orient, les lumières d'Antoine, et du Mont Athos sont convoquées, leurs fruits si « catholiques » que sont la Philocalie ou la défense des images sont dûment énumérés. Mais le doute ne cesse de nous saisir, est-ce un livre sur la vie monastique ou plus simplement, et avec une rare générosité, un livre sur la vie chrétienne ?
Une telle question justifie l'existence de cet essai saisissant, débarrassé de toute « graisse spirituelle ». l'auteur — on le devine — a appris à...
DOSTOÏEVSKI ET LA BIBLE
CHRISTUS N°209
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Franck DAMOUR
Trad. P. Laroche. Lethielleux, 2004, 354 p., 25 €.
Les bons livres en langue française sur Dostoïevski (ceux de Paul Evdokimov ou de Nicolas Berdiaev) ont un destin particulier : ne pas être réimprimés, rarement réédités. Aussi, lorsqu'un ouvrage tel que celui-ci surgit à l'horizon, il faut l'attraper sans retard.
Le titre aurait aussi bien pu être Dostoïevski et Isaac le Syrien, Genèse d'une écriture, ou encore Enquête sur la vie d'un théologien moderne. En effet, le livre de Simonetta Salvestroni, professeur de littérature russe en Italie, foisonne de degrés de lecture sans jamais se désunir. En parcourant le réseau tissé par les références bibliques au coeur des oeuvres étudiées ici (Crime et châtiment, L'Idiot, Les Possédés, Les Frères Karamazov), elle décèle l'influence majeure des Discours d'Isaac le Syrien dans la nécessité de l'épreuve, de la nuit, pour se re-connaître et connaître le Royaume intérieur, pour trouver ce chemin du coeur qui est le sens majeur des romans du maître russe.
Mais il s'agit aussi — et peut-être avant tout, car telle est la spécialisation universitaire de l'auteur — d'un livre sur la création littéraire, sur la complexe venue au jour d'une oeuvre...
PARADOXES DU RECUEILLEMENT
CHRISTUS N°207
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Franck DAMOUR
Le temps présent est riche de paradoxes. Il pourrait être décrit en soulignant la dispersion de l'être, l'évanescence de tout temps pesé et de toute présence, la fuite incessante de soi, la distraction instituée et commercée. Une image en tout point contraire serait non moins exacte : culture de l'intériorité, attention aux états intérieurs et nécessité de ne pas trop les dissiper pour s'assurer que l'on vit, recherche de l'instant vécu. Ces paradoxes disent à la fois l'impossibilité et la possibilité du recueillement. La dialectique du « glocal », souvent utilisée pour décrire les processus économiques et culturels à l'échelle de la mondialisation, se décline ici en « inxtériorité », nom de cette paradoxale aspiration au recueillement qui barre la route du fleuve de l'esprit et le force à s'exhausser. Car la figure actuelle de la foi est davantage celle du recueilli, de l'être intériorisé, du priant, plutôt que celle du croisé ou du prédicateur, ou encore de l'acteur social, au point que la confusion est fort courante entre méditation et prière, intériorisation et dialogue intérieur. Dans la finalité du recueillement se jouent à la fois une visibilité possible de la foi...
Mots clés :
Expérience spirituelle
Foi
Prière
Silence
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LE SENS DES ICÔNES
CHRISTUS N°205
-
Franck DAMOUR
Cerf, 2003, 202 p., 68 €.
Dans l'immense bibliographie sur l'iconographie russe, s'il fallait retenir quelques titres, sans aucun doute le célèbre « Ouspensky-Lossky » tiendrait une des toutes premières places. Les éditions du Cerf nous proposent (enfin) une traduction en français de cet ouvrage majeur par sa rigueur, sa précision et une certaine densité d'écriture dont les deux essais d'ouverture, celui de Lossky sur l'idée de tradition (un texte à la hauteur de son Essai sur la théologie mystique) comme celui d'Ouspensky (qui synthétise les lignes de force de son enseignement d'iconographe), donnent la note.
Ensuite s'ouvre devant nous la foisonnante théologie visuelle : une succession de feuillets répertoriant avec sobriété chaque type d'icône, contenant en quelques lignes toute l'intelligence de l'Incarnation qu'elles figurent et ouvrant au lecteur des portes dans ces espaces de Lumière afin de le convertir au regard. Les feuillets sont signés tantôt du théologien, tantôt de l'iconographe, subtile variation dont on perçoit toute la richesse lorsqu'ils traitent de sujets apparentés. Mais l'unité de fond prédomine et confère à l'ensemble une simplicité dont l'unique but est de laisser parler les Images.
« Le christianisme est une rév&eacu...
TOUT CE QUI VIT EST SAINT
CHRISTUS N°204
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Franck DAMOUR
Trad. F. Lhoest et alii. Cerf, coll. « Le sel de la terre », 2003,221 p.,26€.
Il est des auteurs dont le talent tient dans la simplicité. Ce ne sont pas des vulgarisateurs, des compilateurs habiles. Ils n'écornent pas les difficultés, ni ne les recouvrent Mais ils savent ouvrir les bonnes portes, au bon moment. C'est un peu ce que l'on ressent en lisant ce recueil d'articles de Kallistos Ware (évêque orthodoxe anglais), publiés entre les années 60 et 90. Un grand écart sans doute, surtout pour le sujet du livre, la question du corps, abordé ici sous tous ses aspects : sa place dans l'univers, la sexualité, le mariage, la procréation, l'ascèse, la rédemption, etc.
Il faudra lire les articles en tenant compte de cet écart, heureusement précisé dans les références finales, pour évaluer les nuances dans les formulations, les accents, surtout pour lire la continuité d'un discernement théologique. Au fond, à travers ces trente années d'épreuves de notre existence corporelle, à ses différentes échelles, c'est une théologie qui se forge, se précise, mettant l'accent sur l'unité universelle du salut, sa dimension cosmique et la nécessité de penser le corps à cette hauteur.
L'autre enseignement de l'ouvrage, pour des non-orthodoxes, e...
ELIE OU LA CONVERSION DE DIEU
CHRISTUS N°202
-
Franck DAMOUR
Lethielleux, 2003, 262 p., 18 €.
Elie compte sans doute parmi les plus religieuses des figures bibliques : ce prophète incarne viscéralement ce monde porteur des trois monothéismes historiques, figure attachante et passionnée de l'attestation de Dieu. Mais Elie est aussi un être spirituel, figure emblématique de la cabale juive, le visionnaire par excellence. C'est la vie intérieure de cet être spirituel (j'écris bien être, car Elie n'est pas un spirituel, il est spirituel) qu'avec son écriture à la fois flamboyante et intense, forgée sans doute sous le signe du buisson ardent, Claude-Henri Rocquet nous narre. Une narration, un midrash, de la transformation d'Elie mis en face de Dieu, et de la transformation de Dieu mis en face d'Elie.
Dans sa narration de la vie intérieure d'Elie, de l'Horeb à l'enlèvement sur le Char, l'auteur quête les traces de la « conversion de Dieu », conversion de Dieu à Lui-même peut-être, une conversion qui suit Elie comme une vocation, entraînant tous ceux qu'il croise. Et là réside l'autre force de ce livre, celle d'exhausser ces figures que l'on enjambe selon l'habitude, de s'arrêter auprès de ces petits de la Bible, signes de la contre-histoire menée par Dieu dans les souterrains de nos humanités et de sa divinité — telle la veuv...
OEUVRES SPIRITUELLES II
CHRISTUS N°202
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Franck DAMOUR
Prés, et trad. A. Louf. Abbaye de Bellefontaine, 2003, 482 p., 25 €.
S'il fallait choisir un livre de nuit, un compagnon d'insomnies ou de ces moments de repos qui, à l'improviste, nous saisissent et nous arrachent à la fuite perpétuelle, il faudrait adopter sans doute ce nouveau recueil de Discours du maître de Ninive, celui qui appelait à prier « même pour les serpents ». Le projet d'Issac le Syrien est simple : l'apprentissage de la liberté spirituelle, et partant de la pleine humanité. Ces discours, sans suite logique évidente, nous conduisent par touches, par déplacements successifs, à travers les « formes extérieures » de la prière que sont la méditation ou la contemplation de l'icône de la croix, vers la prière intérieure et, in fine, vers « la prière au-delà de la prière », un au-delà qui s'éprouve dans la traversée de l'acédie.
Le « labeur de la prière » (labeur nourri par la nécessaire ascèse sans laquelle la prière serait un « aigle qui perd ses plumes ») nous donne de recevoir « sous forme d'arrhes, le royaume dans les sens spirituels », et ainsi de pouvoir montrer « sur terre l'image des biens à venir », à travers le « bel amour des hommes ». La...
SILLONS DE LUMIÈRE
CHRISTUS N°201
-
Franck DAMOUR
Fates, 2002, 12,50 €.
Cet ouvrage rassemble divers textes du théologien orthodoxe, publiés au fil des années, autour du thème de la beauté. Mais ce recueil peut être tenu pour un nouveau livre, car cette dimension de la pensée d'Olivier Clément est peu reconnue, bien qu'elle soit fondamentale et constitue une sorte de fil conducteur de son travail. La beauté pour l'auteur est à la fois présence de Dieu et révélation de l'homme à lui-même : « La beauté est une énigme qui seule ou presque, aujourd'hui, semble capable d'éveiller les hommes. » Il s'agit là d'une intuition fondatrice du parcours de Clément un des porches de son itinéraire de conversion.
Dans un article liminaire est dressé un bilan dense et aigu des enjeux spirituels et culturels du monde contemporain, resituant la sécularisation dans un long terme qui donne sens à la crise des idéologies et aux fortes attentes spirituelles. L'auteur y fait appel à « un nouvel âge chrétien ». Le reste des articles décline les différents enjeux théologiques de la beauté. Bien sûr, l'icône est un passage obligé, mais notre théologien ne s'arrête pas au seuil liturgique. Autre porte d'entrée, plus familière à notre approche occ...
L'INDIFFÉRENCE RELIGIEUSE
CHRISTUS N°200
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Franck DAMOUR
Nous vivons un temps béni : un siècle religieux s'ouvrirait devant nous. À lire les journaux, nos sociétés postmodernes seraient celles d'un retour du spirituel. Les signes en sont nombreux, des grands rassemblements catholiques à l'essor des monastères bouddhistes, des cours sur l'icône aux stages de yoga, des Bibles succès de librairie aux collections de spiritualité. Bref, notre temps serait plus éveillé à la foi que celui de nos aînés. Un article récent 1 a pris le contre-pied de cette analyse. En plein débat sur les racines chrétiennes de l'Europe à inscrire ou non dans la future constitution, le journaliste constatait que, « partout en Europe, l'indifférence religieuse gagne donc du terrain, donnant à l'opposition entre valeurs chrétiennes et laïcité une vague odeur de renfermé. Le débat, pour les Européens, est clos et leur Europe n'est ni chrétienne ni laïque, elle est... post-religieuse, areligieuse, multireligieuse, post-laïque ? Il revient aux philosophes et aux intellectuels de rayer la mention inutile. Pas aux journalistes ».
En 1817 déjà, Lamennais se posait la même question dans son célèbre Essai sur l'indifférence. En dénonçant la « léthargie » et la « brutale insouc...
Mots clés :
Ascèse
Athéisme
Désolation
Indifférence
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LES GRANDES CATÉCHÈSES (I)
CHRISTUS N°200
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Franck DAMOUR
Préf. J. Leroy. Prés, et trad. F. de Montleau. Editions de Bellefontaine, coll. Spiritualité orientale », 2002, 636 p., 29 €.
Théodore Stoudite vécut au VIIIe siècle dans l'Empire byzantin, il fut moine cénobite, higoumène et iconodoule. Voilà qui peut sembler pour le moins éloigné, voire exotique ! Mais un spirituel pleinement ancré dans son temps ne peut que nous rejoindre dans nos préoccupations les plus évidentes. Il en est ainsi de Théodore Stoudite tel qu'il se livre dans ses Grandes Catéchèses.
Ces catéchèses étaient données le soir ou après un office, parfois la nuit, aux moines. Elles constituaient pour Théodore une diaconie qu'il assumait avec une grande simplicité, parlant avec tendresse et affection à ses frères. Il mettait son service spirituel sur le même plan que le travail de l'infirmier ou du cuisinier. Théodore proposait de réunir la contemplation et l’œuvre : « Que la lumière de la connaissance de Dieu vous précède en tout mouvement et en toute action. » Pour Théodore les métiers ou diaconies sont la forme concrète de la vie communautaire. La communauté monastique n'est autre qu'une communauté de diaconies, et c'est par celles-ci qu'elle devient corps mys...
L’ÂME ET LA RÉSURRECTION
CHRISTUS N°232
-
Franck DAMOUR

Trad. et éd. B. Pottier. Lessius, coll. « Donner raison », 2011, 192 p., 19,50 euros.
Grégoire de Nysse vient de perdre son frère, Basile de Césarée ; et leur soeur aînée, Macrine, qui fut leur « pédagogue », leur initiatrice spirituelle, est mourante. Il se rend à son chevet et, au seuil de la fin de sa vie, elle lui donne un enseignement sur l’âme, l’espérance, la vie après la mort. Tel est ce dialogue que Grégoire a écrit, à la fois en mémoire de sa soeur et en vue d’un « discours de consolation » typique de l’Antiquité, adressé aux élites cultivées de son temps, discours que l’on a parfois qualifié de Phédon chrétien. Comme d’habitude, Grégoire, l’ancien rhéteur, reprend les formes littéraires de son temps pour les briser de l’intérieur et mettre la conceptualité grecque au service du mystère. Ce dialogue entre Basile et sa soeur, que Bernard Pottier nous donne à lire dans une nouvelle traduction, avec une introduction très précise et des notes abondantes, est un texte du seuil : Grégoire entend utiliser tous les arguments de la raison – « corrigeant, par le mors de son raisonnement, le désordre de m...
LE PASSAGE DU GUÉ
CHRISTUS N°233
-
Franck DAMOUR
Franck DAMOUR Essayiste et enseignant, co-responsable de la revue Nunc, Blois. A publié : Olivier Clément, un itinéraire spirituel (Anne Sigier, 2001) et Qu’avons-nous fait de l’au-delà ? Fragments d’un discours interrompu sur les urnes funéraires (Bayard, coll. « Christus », 2011). Dernier article paru dans Christus : « Olivier Clément : un maître spirituel » (n° 222, avril 2009).
Nous sommes au milieu du gué, et nous ne voyons ni la rive abandonnée, ni celle qui se révèle peu à peu. Nous sommes au milieu du gué, et nous ne bougeons plus, fascinés par le fleuve. Tel est notre rapport à l’héritage, frappé d’une double ambivalence : • La première tient à la possibilité d’hériter au temps de la volatilité de l’économie, du nomadisme des individus, de l’incessant réagencement des familles, de l’innovation technologique en temps réel, bref de l’accélération continue du temps. L’idée d’héritage peut sembler une incongruité dans la pratique commune du temps, dans notre temporalité. Et pourtant, nombreux sont les signes qui montrent le contraire. Il y a d’abord le fait que l’héritage, au sens matériel du terme...
THÉOLOGIE DE LA FILIATION ET UNIVERSALITÉ DU SALUT
CHRISTUS N°234
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Franck DAMOUR

Préf. M. Fédou. Cerf, coll. « Cogitatio Fidei », 2011, 628 p., 46 €.
Heureux celui qui, le premier, eut l’idée du sous-titre ! En effet, en refermant ce volume, on se dit que si le titre est légitime, articulant les deux axes théologiques du propos, le sous-titre dit encore mieux ce qui en fait l’intérêt : une « anthropologie théologique ». Car si le P. Joseph Wresinski mérite le titre de théologien, c’est à la hauteur de son expérience des hommes, et la théologie qui en est sortie est entièrement faite de pâte humaine. Toute la question était d’expliciter cette théologie, de la systématiser, non pour l’assécher, mais pour permettre de lire et entendre les écrits de Wresinski. Il fallait d’abord faire un récit de vie du fondateur d’ATD Quart-monde. La première partie du livre y est consacrée, respectueuse sans être hagiographique, ordonnée à la compréhension de la vision théologique, à ce qui en est le terreau – en cohérence avec la méthode mise en oeuvre par le P. Joseph lui-même, qui utilisait le récit comme un art de raconter la vie, rassemblant les morceaux épars de la conscience, afin de révéler la filiation intérieure qui l...
COMME UN CORPS LOURD DANS UNE EAU SOMBRE
CHRISTUS N°235
-
Franck DAMOUR

Le vers, sublime, qui donne son titre à cette méditation philosophique, est de Dante. Il signe la disparition de Béatrice. L’image est repérée aussi chez Descartes, puis chez Henri Maldiney. Toutes disent que le mal est aussi profond qu’éclatant. Qu’il vibre dans nos chairs, consciences, héritages, familles. D’une sourde vibration, d’un « rayonnement paradoxal » qui, dit Philippe Grosos, est le « mode d’être du mal ». C’est cette approche qui constitue la force et la nouveauté de ce bel essai, où l’auteur nous conduit avec une sérénité forte de la conscience de l’insondabilité du mal (non de sa radicalité, comme il ressort d’une passionnante discussion menée avec Kant et Schelling, révélant des pages fascinantes de ce dernier), d’un mal « immaîtrisable » qui rend vaine toute rationalisation, toute théodicée : « Insondable, le mal n’est accessible que par ses effets. »
L’échec de la pensée totalisante à penser le mal n’ouvre sur aucun renoncement à le refuser, mais au contraire, au prix d’une méditation du péché et du destin, à accueillir le réel dans sa surprenante nouveauté. Car le mal est bien immaîtrisable dans...
PETIT TRAITÉ DE LA JOIE CONSENTIR À LA VIE.
CHRISTUS N°235
-
Franck DAMOUR
Nicolas ROUSSELOT

Martin Steffens est un jeune professeur de philosophie à la foi chrétienne vivante, voire jubilante. Mais ne nous y trompons pas. Malgré son titre printanier, le Petit traité n’est pas celui d’une joie facile, acquise à bon marché. La joie spirituelle dont il est question s’est purifiée au creuset de la fascinante pensée nietzschéenne, avec laquelle l’auteur ne cesse de rester en dialogue de la première à la dernière page. Comme si, pour demeurer évangélique, ce consentement à la vie qu’est la joie devait se partager en chemin, aussi loin que possible, par celui que Paul Valadier appela si justement « l’athée de rigueur ». Ainsi, en compagnie de Nietzsche, face à cette vie que je n’ai pas choisie, je ne dis pas seulement : « Les choses sont ainsi faites », mais je proclame haut et fort : « Qu’il en soit ainsi ! » L’art de consentir se jouera donc dans cet impératif. Il refusera la résignation, inversera le temps en « créant de la liberté à rebours » et permettra ainsi de vivre libre, par delà la fausse monnaie des dépendances ambiguës. Mais le oui chrétien prendra une autre route, préférant l’espérance à l’espoir, la destinée au destin, et ira jusqu&...
LE JOUR DU SAINT-ESPRIT
CHRISTUS N°236
-
Franck DAMOUR

Marie Skobtsov – la Mère Marie de la rue de Lourmel – a été canonisée en 2004 sous le beau et si juste nom de Sainte Marie de Paris. Cette femme eut un destin exceptionnel, à la hauteur de son appétit de vie. Issue d’une famille aristocratique russe, elle est d’abord poète, fréquentant Alexandre Blok ou André Biély, puis elle se fait révolutionnaire, menacée de mort pendant la Révolution russe autant par les « Blancs » que par les « Rouges », elle s’exile. C’est la Turquie, la Serbie, et enfin Paris. Mère de trois enfants, elle se sépare de son mari et, à l’âge de 41 ans, devient moniale en 1932. Elle place toute sa vie sous le signe du « sacrement des frères », le service des plus pauvres, ceux de l’émigration russe qu’elle recueille dans un foyer rue de Lourmel, puis, en pleine guerre mondiale, les Juifs. Arrêtée, déportée en Allemagne, elle meurt dans une chambre à gaz au camp de concentration de Ravensbrück un Samedi saint, le 31 mars 1945.
Cette femme a tout vécu, mais aussi tout écrit : poèmes, articles de théologie ou de société, récits, pièces de théâtre. Ce livre rassemble certains de ces écrits, pour la plupart inédits en fr...
LETTRES DE SOLOVKI
CHRISTUS N°240
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Franck DAMOUR

Les Lettres de Solovki ont été écrites par le détenu Pavel Alexandrovitch Florensky, l’un des plus grands penseurs russes du XXe siècle, incarcéré dans cet îlot du goulag. Cet esprit universel, à la fois chimiste et théologien, ingénieur et critique d’art, y est exilé pour avoir maintenu, dans la Russie soviétique, son activité de prêtre, tout en apportant à son pays ses qualités d’ingénieur et de scientifique. La publication en français de ses lettres est un véritable événement éditorial, d’autant que le livre est beau, reprenant superbement des dessins et croquis de l’auteur, et que le travail de la traductrice impressionne.
Ces lettres sont adressées à son épouse, ses fils, quelques amis. Et elles sont stupéfiantes, un témoignage d’une forme de sainteté et d’unification intérieure rare. Florensky vit dans ce goulag comme dans un monastère. Un monastère-prison, sur une île dont il explore la nature, mettant au point des techniques de fabrication nouvelles. Il donne des conférences aux autres bagnards, sur des sujets divers, et sa mémoire convoque Goethe et Racine, Tcherny-chevski et Hume. Il accompagne le développement de ses enfants, les oriente dans leurs choix. Il cherche part...
LES RACINES DE L’ESPÉRANCE
CHRISTUS N°242
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Franck DAMOUR

La quatrième de couverture nous avertit : il s’agit d’un journal spirituel. On pourrait s’attendre à un compte rendu intime et personnel, au fil du temps, d’une traversée spirituelle. Rien de tout cela. En effet, ce petit livre est un recueil de textes écrits à l’occasion, portant sur des questions, surgies au détour d’une conférence (« Penser la mort »), d’un article ou d’une genèse de texte (sur Péguy poète, Judith peinte par Botticelli), ou, mieux encore, d’une intuition, d’un appel (ce que fait le saint, la poésie comme exercice spirituel, une méditation sur le fils de David). Des textes nés des formes multiples de la Rencontre, et donc d’une expérience spirituelle.
Mais de quoi est-il donc fait l’expérience ? Le titre l’indique, mais, comme l’auteur, ce n’est qu’à la fin, en relisant notre lecture, que le fil de l’espérance apparaît, « fragile, fidèle », l’espérance que l’Esprit, dans les mille manifestations de l’esprit dont ces textes rendent témoignage, nous fait sortir du chaos, car « tout le monde peut douter de Dieu ou du Christ, mais devant l’Esprit on ne peut pas résister. Il n’est pas devant nous, il est en nous...
MARIE SKOBTSOV
CHRISTUS N°246
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Franck DAMOUR

Mère Marie a eu mille vies au long de son existence. Fille de la noblesse, première femme à suivre des cours à l’Académie de théologie de Saint-Pétersbourg, poétesse proche de l’intelligentsia et d’Alexandre Blok, membre du Parti socialiste-révolutionnaire, maire d’une petite ville de la mer Noire après février 1917, emprisonnée par les bolcheviques, jugée par les Russes blancs, exilée à Paris, deux fois mariée puis divorcée, mère de trois enfants… Cette socialiste, devenue chrétienne – comme Péguy – par approfondissement, crée à Paris, rue de Lourmel, un foyer tout à la fois refuge pour les démunis et les SDF, lieu d’enseignement et de lutte quotidienne, ordonnée par ce qu’elle appelait « le sacrement du frère », pour affirmer que « la ténèbre n’est pas morte, ni vide, / en elle se dessine la croix, / ma fin, ma fin consumée ». Le terrible xxe siècle ne pouvait tolérer trop longtemps cette âme en quête absolue de lumière. Mère Marie Skobtsov a été assassinée à Ravensbrück le Vendredi saint 1945. La biographie de Laurence Varaut, que les éditions Salvator ont eu la bonne idée de rééditer, es...
DEUX MARTYRS DANS UN MONDE SANS DIEU
CHRISTUS N°247
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Franck DAMOUR

Voilà une idée pertinente : mettre en dialogue deux grands témoins du Christ, tous deux écrasés par les totalitarismes du XXe siècle, tous deux porteurs d’une théologie généreuse, relevant le défi d’un « monde devenu adulte » (Dietrich Bonhoeffer) qui est l’occasion pour le christianisme de se rendre compte « qu’il ne fait que commencer » (Alexandre Men). La tentative de Michel Evdokimov est plutôt concluante et mériterait d’être relayée et approfondie. Si les parcours du luthérien Bonhoeffer – opposant à Hitler, figure de l’Église confessante allemande, exécuté en 1945 – et de l’orthodoxe Men – prêtre refusant de plier devant la machine policière soviétique, assassiné en 1990 – sont familiers au lecteur, celui-ci gagnera toutefois à lire cet essai car leur confrontation fait ressortir les convergences : tous deux ont développé une théologie des religions qui renouvelle le rapport du christianisme aux autres, une ecclésiologie plus soucieuse du centre et de l’appel que des frontières, amenant à donner un sens différent à l’oubli de Dieu. Si leur témoignage rayonne bien au-delà des frontières de leur Église, ce n’es...
SAINT SÉRAPHIM DE SAROV, LE FLAMBOYANT
CHRISTUS N°247
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Franck DAMOUR

Prokhore Mochnine, fils d’un entrepreneur en bâtiments, est né à Koursk (Russie), en 1759. Il meurt Séraphim de Sarov – le « flamboyant du désert de Sarov » – en 1833. Haute figure de la spiritualité russe, immensément populaire parmi les orthodoxes, ce mystique a témoigné de la Lumière au temps des Lumières, au temps de Napoléon et de Pouchkine. Ermite, stylite mais aussi, lors des dernières années de sa vie, starets (« père spirituel ») pour tous ceux qui venaient à lui pour entendre ses enseignements, être guéri, pour se laisser lire en eux par ce clairvoyant, Séraphim a incarné la tradition philocalique jusqu’à connaître, selon le témoignage laissé par Motovilov, la transfiguration de son vivant. Séraphim de Sarov est un saint qui nous parle par son engagement pour la vérité, par son désir ardent d’être avec tous les êtres, des plus humbles créatures aux puissants de son temps. Pavel Toujilkine propose une initiation à la vie de Séraphim dans une biographie romancée qui permet de resituer la trajectoire du saint en son temps. Les publications en français sur Séraphim sont trop rares, ou difficiles à trouver ; celle-ci offre une introduction qui permettra au l...
JUDAS ISCARIOTH, L'APÔTRE FÉLON
CHRISTUS N°248
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Franck DAMOUR

Le grand théologien russe Serge Boulgakov (dont les éditions des Syrtes viennent aussi de publier une autobiographie, Ma vie dans l’orthodoxie), semble avoir été habité par la figure de Judas sur laquelle il est revenu à plusieurs reprises. La conclusion de cet opuscule en donne une des raisons : « Ce sombre et terrible point du destin humain, cet entonnoir qui mène au fond de l’inferno – le destin de Judas – attire irrésistiblement le regard de l’esprit. » Judas est une figure qui permet de comprendre la « trahison » du peuple russe, au temps du régime bolchevique athée, « l’écorce du traître Judas » venant recouvrir la fibre johannique de la Sainte Russie. Cette dimension nationale n’est que la finale du livre, le reste portant sur la figure de Judas que Boulgakov étudie avec science et passion, rassemblant dans une première partie ce qu’il est possible de savoir sur la vie de l’Apôtre, rompant avec la lecture matérialiste et de courte vue d’une trahison pour l’argent, développant l’idée d’une trahison par amour. Pour Boulgakov, Judas est doté d’une personnalité forte, radicale, amené à trahir son maître dans « une sorte d’extase », cherchant à le pousser à r...
FIGURES DE PRÊTRES
CHRISTUS N°250
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Franck DAMOUR
Lorsqu’on pense à des figures de prêtre dans la fiction, deux noms viennent aussitôt aux esprits francophones : Bernanos et Don Camillo, qui font remonter un temps d’avant la crise des vocations, un temps où le prêtre faisait partie du paysage social et culturel ! Dans son étude sur ces « prêtres de papier », Frédéric Gugelot peut écrire que si, après les années 1960, la place du clerc n’a pas perdu en force au sein du catholicisme, « c’est dans l’imaginaire qu’il a perdu, pour l’instant, le combat[1]. » Et pourtant, il faut y regarder à deux fois, ou plutôt élargir le domaine d’études au-delà des seuls romans, pour voir que le prêtre n’a pas totalement disparu de l’imaginaire contemporain. En effet, si dans les romans actuels le prêtre se fait rare, il n’en va pas de même ailleurs, sur les écrans notamment. Nous nous proposons, à partir de quelques exemples, de voir comment les fictions – romans, films et bandes dessinées – représentent le prêtre[2]. Ces œuvres, qu’elles aient connu ou non du succès, témoignent des attentes spirituelles, religieuses de notre temps.
Des héritiers de Bernanos ?
Avant Bern...
LA JOIE POUR L'ÉTERNITÉ
CHRISTUS N°250
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Franck DAMOUR

« Mon pauvre, mon chéri, mon tout proche, mon homme épuisé ! Écris-moi tout de suite sans faute pour me dire comment tu te sens. » C’est avec ces mots qui semblent tirés du Cantique des cantiques que commence la première lettre de Valentina Lossev, emprisonnée dans un des camps du Goulag en Altaï, à son époux Alexeï, lui aussi dans un camp en Carélie. Au long de leurs deux années d’enfermement, ils se sont adressé des lettres de feu et de lumière, dialogue improbable de beauté entre deux époux qui semblent n’avoir jamais quitté le premier jour de leur amour. Ces lettres sont aussi celles de deux mystiques – deux théologiens au sens orthodoxe du terme – qui ne sont pas seulement époux, mais aussi moine et moniale car ils ont prononcé, en secret, leurs vœux monastiques en 1929, selon un projet d’union totale. Et enfin, ces lettres ont été écrites par deux grands esprits, Alexeï Lossev est mathématicien, écrivain mystique et un des plus grands philosophes russes du siècle, trop méconnu en France ; Valentina est mathématicienne et astrophysicienne. Leur correspondance reflète leur goût des êtres et des choses, leur quête de la vérité par les voies de la raison...
AVEC LES CRÉATURES
CHRISTUS N°250
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Franck DAMOUR

Les auteurs de cet ouvrage collectif, qui se veut comme un manifeste, se placent sous le patronage de Jean Bastaire qui, avec son épouse Hélène, fut un des pionniers, en France, d’une réflexion théologique sur l’écologie. La particularité de ce volume est de croiser les disciplines, approche globale pour un problème global, dans une perspective résolument théologique. En effet, trop souvent les approches théologiques se spécialisent, les rendant peu audibles : ici, le projet se rapproche de ce qui est fait depuis plus de trente ans dans les pays anglo-saxons (je pense à la « théologie du carbone » de Michael Northcott, par exemple). Ce livre se pose comme « un ouvrage de conviction », et il faut le prendre comme tel : une brèche qui va au-delà des discours de principe. Il s’agit, dans une première partie, de justifier l’originalité de la parole chrétienne dans le débat sur l’écologie, puis d’en recenser des sources intellectuelles (Pères de l’Église, Jean Paul II, Gaston Fessard sont ainsi convoqués), pour enfin aborder quelques « mises en pratique ». Certes, on reste sur sa faim – par exemple avec l’absence d’une contribution sur l’héritage...
POUR UNE SPIRITUALITÉ DU COSMOS
30 JUIN 2016
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Franck DAMOUR
Pierre Teilhard de Chardin ! Le nom évoque pour certains l’euphorie de la croissance des années d’après-guerre ; pour d’autres, d’âpres batailles théologiques ; et, pour beaucoup, peu de chose… Et pourtant, il n’y a pas beaucoup d’aventure intellectuelle qui soit aussi urgente à redécouvrir pour penser autrement les défis colossaux qui s’offrent à notre temps : mutation écologique, sens à donner aux progrès technologiques, bouleversements de la connaissance du vivant, crise des partages de la modernité… Le livre de François Euvé vient donc à son heure pour donner à lire – ou relire – le théologien et paléontologue qui connut une renommée internationale au début des Trente Glorieuses – Le phénomène humain eut des millions de lecteurs. Ce qui fit son succès est aussi ce qui fait, aux yeux de certains, son discrédit aujourd’hui. Trop facilement classé parmi les technophiles béats, Teilhard de Chardin est pourtant loin d’un tel raccourci. François Euvé, rédacteur en chef de la revue Études, nous propose un portrait intellectuel soucieux de montrer la dynamique de cette pensée en chemin, avec ses impasses, ses hésitations, mais dont le...
POUR UNE SPIRITUALITÉ DU COSMOS
CHRISTUS N°251
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Franck DAMOUR

Salvator, 2015, 192 p., 19 €.
Pierre Teilhard de Chardin ! Le nom évoque pour certains l’euphorie de la croissance des années d’après-guerre ; pour d’autres, d’âpres batailles théologiques ; et, pour beaucoup, peu de chose… Et pourtant, il n’y a pas beaucoup d’aventure intellectuelle qui soit aussi urgente à redécouvrir pour penser autrement les défis colossaux qui s’offrent à notre temps : mutation écologique, sens à donner aux progrès technologiques, bouleversements de la connaissance du vivant, crise des partages de la modernité… Le livre de François Euvé vient donc à son heure pour donner à lire – ou relire – le théologien et paléontologue qui connut une renommée internationale au début des Trente Glorieuses – Le phénomène humain eut des millions de lecteurs. Ce qui fit son succès est aussi ce qui fait, aux yeux de certains, son discrédit aujourd’hui. Trop facilement classé parmi les technophiles béats, Teilhard de Chardin est pourtant loin d’un tel raccourci. François Euvé, rédacteur en chef de la revue Études, nous propose un portrait intellectuel soucieux de montrer la dynamique de cette pensée en chemin, avec ses...
KIM EN JOONG SELON LES ECRITURES
CHRISTUS N°253
-
Franck DAMOUR

DDB – Institut Pierre-Chave, 2015, 236 p., 44 €.
Dans la bibliographie consacrée à Kim En Joong, ce beau livre de Denis Coutagne mérite d'être signalé car il réussit à la fois à proposer une initiation à l'œuvre du peintre dominicain coréen et à nourrir le regard de ceux qui le connaîtraient déjà. L'œuvre du frère Kim En Joong, au carrefour des traditions extrême-orientale et occidentale, entre figuration et non-figuration, vibre de l'expérience de la rencontre de Dieu. Qu'il se fasse peintre, céramiste ou calligraphe, l'artiste demeure toujours dans l'esprit du vitrail : « À partir d'un certain moment, ce n'est plus moi, c'est une révélation, je n'ai plus qu'à me donner. » Kim En Joong a réalisé les vitraux de la cathédrale d'Évry, de la basilique Saint-Julien de Brioude ou du monastère de Ganagobie. Denis Coutagne, dans un texte à la fois personnel et didactique, nous fait entrer dans cette œuvre de lumière, la resituant dans ses sources, décrivant le dialogue de Kim En Joong avec Paul Cézanne, Henri Matisse ou Julien Green, et les lieux comme Saint-Paul-de-Vence d'où flamboient ces toiles qui témoignent des couleurs profondes des Écritures. Car il s'agit pour lui de chant...
SUR LES MONTS DU CAUCASE
CHRISTUS N°254
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Franck DAMOUR

De Hilarion Domratchev - Traduit du russe par Dom André Louf, préface du métropolite Hilarion de Volokolamsk, Syrtes, 2016, 374 p., 25 €.
Voilà enfin traduit en français – qui plus est par Dom André Louf, linguiste et fin connaisseur des traditions chrétiennes orientales – un livre qui joua un rôle majeur dans l'histoire religieuse et intellectuelle en Russie au XXe siècle. En effet, Sur les monts du Caucase fut à l'origine de la fameuse crise onomatodoxe qui ébranla l'Église russe peu avant la Première Guerre mondiale, il nourrit aussi toute une lignée de penseurs – mathématiciens, philosophes, romanciers, théologiens – au long du XXe siècle. Son auteur n'avait bien entendu aucune idée de la destinée de son livre qui se propose de faire l'éloge de la « Prière de Jésus », ce fil rouge de la tradition monastique orientale. Sur les monts du Caucase fait penser au célèbre Récits d'un pèlerin russe, il en reprend la dimension narrative, racontant la rencontre de l'auteur avec un ermite du Caucase, avec des anecdotes spirituelles et pittoresques. Mais il comprend aussi de longues pages de description de la nature, révélant toute la dimension cosmique de cette tradition : le lecteur contemporain sera sa...
EN MARCHE VERS L'UNITÉ
CHRISTUS N°258
-
Franck DAMOUR

Élisabeth Behr-Sigel a été une haute figure de l'orthodoxie de France et, plus simplement, comme le montre ce recueil, du christianisme français. Née luthérienne, devenue orthodoxe au début des années 1920, fille spirituelle de Dom Gillet, ancien moine bénédictin venu lui aussi à l'orthodoxie, elle a toujours eu pour fil directeur de sa vie la quête de l'unité des chrétiens, créant un cercle œcuménique pendant la guerre, participant au Conseil œcuménique des Églises (COE) ou à l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat). La lecture de ces textes, savamment réunis par Olga Lossky (qui lui a consacré une biographie, il y a quelques années), convainc de la cohérence de sa démarche. Elle traverse les différentes questions vives de l'unité : non pas directement les nœuds de discorde, mais le rapport à la Bible, aux Pères de l'Église, à la Tradition, les enjeux anthropologiques mais aussi ce que signifie vivre en chrétien dans la perspective de l'unité. Ces questions sont d'autant plus vives que le style est direct, simple, expression du souci de s'adresser à ses lecteurs hic et nunc. Bien souvent, on croirait ne plus être en train de lire un texte, mais d'écouter cette femme nous adresser, dans t...
LES PÈRES DE L'EGLISE DANS TOUS LEURS ÉTATS
CHRISTUS N°260
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Franck DAMOUR

Bien souvent, et à raison, l'idée convenue du christianisme comme « religion du Livre » est critiquée. En effet, ce n'est pas une religion du Livre, mais une religion des livres. C'est en tout cas ce que ce recueil d'Annie Wellens illustre merveilleusement, tant elle entre-tisse avec grâce, finesse et humour des strates de lecture : des Modernes qui lisent des Anciens qui lisent les multiples auteurs de la Bible, chaîne de lecteurs, de génération en génération, qui fait du livre un « accompagnateur spirituel », qui « met le cœur au large ». Le premier chapitre balise ce que le livre fait à l'esprit : il ouvre car « il atteint la personnalité profonde » par nature, parfois par grâce et aussi parce que le livre traverse le temps, nous reliant à ces maîtres spirituels de tous les âges. De tous les terroirs aussi : dans un chapitre lumineux sur la vie de saint Martin, Annie Wellens compare les livres à de grands crus, portés par un terroir spirituel comme les bons vins, sachant parfois pratiquer l'assemblage des cépages. Chemin faisant, elle distille ses conseils de dégustation, les indices qui permettent de savoir si un livre poursuit son œuvre en nous, si Augustin, Érasme, Grégoire de Narek ou Origène, avec leurs nuées de c...
ESPRIT ES-TU LÀ
CHRISTUS N°280
-
Franck DAMOUR

Les images virtuelles inondent nos écrans et travaillent nos imaginaires. S'appuyant sur une interprétation du film de Steven Spielberg qui présente un futur dans lequel réel et virtuel se mélangent, l'auteur pose la question des enjeux spirituels de cette possibilité qui nous est offerte de nous plonger ainsi dans les images.
Lorsque Mark Zuckerberg renomme « Meta » son entreprise Facebook, en octobre 2021, nous sortons d'une année marquée par un usage intensif du numérique, une année pendant laquelle plus que jamais le « virtuel » a semblé coloniser le « réel », s'entretisser avec lui, vidant un peu plus l'antagonisme de sens entre les deux termes. « Meta » renvoie à « metaverse », un mot-valise composé de la racine grecque « meta » et du mot anglais « universe » : le métavers est un méta-univers, ou univers au-delà de celui que nous connaissons, un monde numérique structuré et ouvert. Un tel programme « métaphysique » nous confronte à une situation inédite : celle d'être totalement plongés dans un univers artificiel, un simulacre immergeant, qui semblerait achéiropoïète1, car il ne serait pas le fait d'un seul homme, ni d'une seule entreprise, mais de millions, voire de milliards d'utilisateurs et de concepteurs. Le métavers peut paraître comme l'aboutissement de la plongée de nos vies dans les images numériques depuis un quart de siècle.
Au cinéma, des mondes échappatoires
Ce projet semble réaliser les mondes décrits dans une série de films comme Free Guy (de Shaw...