Jésuite, président du Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris, investi dans la pastorale en milieu populaire.
A publié Qu’est ce qui fait vivre encore quand tout s’écroule ? Une théologie à l’école des plus pauvres (Lumen Vitæ, 2017).
LA FOI, CHEMIN D’HUMANITÉ
CHRISTUS N°226
-
Étienne GRIEU

Préf. B. Billot. Postf. Soeur Myriam.
Éditions du Signe, 2009, 164 p., 15 euros.
Ce petit livre simple au ton modeste propose d’aborder la foi chrétienne à partir de l’expérience commune de l’humanité : il montre comment s’articulent (c’est un des points intéressants de son livre) trois types d’expérience : la foi tout simplement humaine, sans laquelle nous ne pourrions pas vivre ensemble, l’expérience spirituelle et la foi religieuse.
L’originalité de son approche tient notamment à cette importance donnée à l’expérience spirituelle, qui lui permet, tout au long du livre, de dialoguer avec des traditions non chrétiennes. Ce sont ainsi à la fois les images de Dieu et celles de l’homme qui sont mises en mouvement, le maître mot étant celui de l’appel à la confiance. L’auteur n’esquive pas les difficultés quand il présente la foi explicitement chrétienne, et il consacre la dernière partie de son livre à la question de la vie ecclésiale, point délicat pour nombre de personnes aujourd’hui.
Au total, Patrice Sauvage propose ici un livre rafraîchissant, construit avec soin et précision, au ton pacifiant. Un témoin s’exprime (il évoque discrètement &agr...
LES BANLIEUES
CHRISTUS N°224
-
Étienne GRIEU

Fidélité, coll. « Que penser de… ? », 2009, 128 p., 10 euros.
L’auteur livre une relecture d’une période de deux ans où il a vécu dans le quartier de Montreynaud (une zup de Saint-Étienne). Il y arrive en septembre 2005, et sera donc témoin des événements qui ont secoué les banlieues françaises en novembre de cette même année.
Dans un langage accessible, Guilhem Causse, jésuite, donne des éléments pour aider à comprendre ce qui se passe, sans prétendre mener une analyse sociologique, mais à partir de son expérience. Il souligne la fécondité d’une présence d’Église et, réciproquement, l’intérêt que de tels engagements représentent pour celle-ci, notamment parce qu’en ces lieux difficiles, les chrétiens sont mis devant un des principaux combats spirituels de notre époque : le tissage de relations fraternelles, là où tout pourrait pousser à se protéger les uns des autres.
QUI ES-TU POUR M’EMPÊCHER DE MOURIR ?
CHRISTUS N°222
-
Étienne GRIEU

L’Atelier, 2008, 208 p., 17, 50 euros.
Le livre de Gilles Rebèche, diacre permanent du diocèse de Fréjus-Toulon, raconte la naissance de la « Diaconie du Var », instance chargée d’aider l’Église à prendre au sérieux sa vocation de présence à l’humanité, notamment à ceux qui souffrent, qui sont seuls ou en situation de précarité. Il s’agit d’une initiative pleine de vitalité et de créativité (on a fêté ses vingt-cinq ans en 2007), porteuse d’intuitions qui pourraient s’avérer très fécondes pour l’Église. Elle révèle qu’il y a beaucoup d’énergies disponibles prêtes à se manifester lorsqu’elles découvrent des lieux où le service de l’humanité se conjugue avec la disponibilité à ce qui nous dépasse – évitant à la fois au religieux et à l’humanitaire de tourner en boucle.
On ne peut qu’être sensible à la manière de raconter de Gilles Rebèche : on sent un regard qui se régale à voir ce qui est beau, en espérance ou en genèse. Beaucoup de portraits et de récits sont savoureux. Le ton est joyeux et prête à l’humour. Chose importan...
L’ESSOR DES ÉGLISES ÉVANGÉLIQUES
CHRISTUS N°220
-
Étienne GRIEU
Comment interpréter le phénomène de l’expansion des Églises évangéliques ? Je propose de considérer ce phénomène comme un révélateur de soifs spirituelles, ainsi que d’une manière d’y faire droit aujourd’hui.
L’essor de ce que les sociologues ont appelé un « christianisme de conversion » a une ampleur mondiale (l’Église catholique est traversée elle aussi par des courants de ce type : charismatiques, communautés nouvelles). Tous les continents sont touchés. On recenserait aujourd’hui, d’après Sébastien Fath, spécialiste de la question, plus de 200 millions de chrétiens évangéliques, et ce chiffre double si l’on ajoute celui des pentecôtistes. En France, ils étaient moins de 100 000 en 1950, ils sont aujourd’hui plus de 350 000. Le phénomène est particulièrement sensible dans les banlieues, mais il ne faudrait pas considérer qu’il est l’apanage des milieux populaires. En fait, le « christianisme de conversion » touche tous les milieux.
Bien entendu, il est facile de n’y voir que manipulation, secte ou entreprise commerciale. Réagir de cette manière reviendrait à s’interdire d’entendre de ce qui se dit là. La réaction symé...
Mots clés :
Eglise
Evangélisation
Foi
Jésus-Christ
Parole d’homme
Religions
Conversion
Lire la suite
UNE MANIÈRE IGNATIENNE DE PORTER L’ÉVANGILE
CHRISTUS N°213
-
Étienne GRIEU
Y aurait-il une manière ignatienne de porter l’Évangile ? Quelles promesses ce style pourrait-il receler ? S’il vaut la peine de s’interroger à ce sujet, c’est que depuis quelques décennies, les Églises explorent les voies d’une « nouvelle évangélisation ». La tradition ignatienne a-t-elle, dans ce concert, une note spécifique à faire entendre ?
Une note originale
Au cours de l’histoire, bien des façons d’annoncer l’Évangile ont été mises en oeuvre, en fonction des époques et des contextes. On pourrait citer, par exemple, la prédication au tout-venant (les Actes montrent Paul haranguer les foules ; au XIIIe siècle, les ordres mendiants remettront cette forme à l’honneur), à distinguer de l’enseignement adressé à la communauté, qui vise à ce que celle-ci, affermie dans sa foi, diffuse à son tour l’Évangile (les lettres de Paul en sont de beaux exemples, comme les textes des Pères de l’Église). À ces deux formes les plus évidentes, on doit ajouter encore une autre : un exposé de la foi systématique qui articule différents arguments et montre la force de la proposition chrétienne lorsqu’elle rencontre les objections. À côté de ce...
Mots clés :
Combat spirituel
Eglise
Exercices spirituels
Expérience spirituelle
Liberté
Parole d’homme
Péché
Spiritualité ignatienne
Conversion
Lire la suite
LES COMMUNAUTÉS ECCLÉSIALES DE BASE
CHRISTUS N°207
-
Étienne GRIEU
Les communautés ecclésiales de base (désormais CEB) ont soulevé dans les années 70-80 beaucoup d'enthousiasme. Trop sans doute, comme si l'on avait vu en elles une sorte de clé universelle capable de transformer radicalement le visage de l'Eglise. Aujourd'hui, les CEB en Amérique Latine paraissent souvent à la recherche d'un second souffle 1. Pourquoi cette initiative n'est-elle pas à la hauteur des espérances qu'on avait placées en elle ? Les limites qu'on peut y déceler mettent-elles en cause la pertinence de cette intuition ?
Cette réflexion prolonge les impressions d'un séjour d'un an en Amérique Latine, qui m'a donne l'occasion de visiter une dizaine de communautés de base (au Venezuela, Colombie, Mexique et République Dominicaine) C'est bien peu, évidemment je ne prétends pas dresser un tableau de la situation, mais simplement partager quelques découvertes et étonnements
Première constatation l'appellation « communauté ecclésiale de base » recouvre des réalités bien différentes Certains groupes rencontrés passaient le plus clair de leurs réunions à travailler la Bible, sous forme d'un enseignement dialogue, et j'y ai entendu relativement peu d'échos de la vie du quartier ou de questions personnelles Ailleurs, j'ai eu l'impression de retro...
Mots clés :
Action
Catholicisme
Charismes
Diaconie
Discernement
Eglise
Foi
Justice
Pauvreté
Lire la suite
UNE PAROISSE D'IMMIGRÉS
CHRISTUS N°195
-
Étienne GRIEU
Certaines paroisses de nos banlieues comptent dans leur assemblée une forte proportion de familles issues de l'immigration ou de la France d'outre-mer, qui leur apportent souvent un surcroît de vitalité. S'agit-il d'un phénomène passager, le temps que ces nouveaux arrivants prennent le pli d'une société très sécularisée ou bien peut-on espérer voir les Antillais, les Africains, les Asiatiques, renouveler le visage des communautés chrétiennes ? Tout dépend sans doute de notre capacité à inventer avec eux de nouvelles manières de vivre l'Eglise
Pour réfléchir à cette question, je propose de faire un détour par un quartier de Los Angeles que j'ai récemment visité. Changer de paysage et de contexte permet parfois de débrider l'imagination, sans laquelle l'intelligence s'épuise C'est, je crois, l'une des manières de solliciter la catholicité de notre Eglise
Dolores Mission
Dolores Mission est une petite paroisse située à proximité du centre ville de Los Angeles, dans un arrondissement nommé Boyle Heights. A quelques centaines de mètres des gratte-ciel, on entre dans un autre monde ; par certains côtés, le quartier ressemble à un village, avec ses petites maisons sagement alignées, ses rues calmes, et si l'on se promèn...
Mots clés :
Eglise
Evangélisation
Justice
Pauvreté
Politique
Service
Lire la suite
EXPÉRIENCE SPIRITUELLE ET LIEN SOCIAL
CHRISTUS N°179
-
Étienne GRIEU
RETOURNEMENTS
CHRISTUS N°234
-
Étienne GRIEU
Étienne Grieu s.j. Centre Sèvres et Pastorale en milieu populaire, Paris. A récemment publié : Dieu, tu connais ? (Le Sénevé, 2005), Chemins de croyants, passage du Christ (Lethielleux, 2007), Un lien si fort : quand l’amour de Dieu se fait diaconie (Lumen vitae/L’Atelier/Novalis, 2009). Dernier article paru dans Christus : « L’essor des Églises évangéliques : un révélateur » (n° 220, octobre 2008).
La figure du pauvre, très présente dans la tradition chrétienne, appelle à des retournements. Tout simplement, d’abord, pour tourner la tête du côté où l’on n’a pas envie de voir. Ensuite, pour reconnaître, en ces lieux redoutables, des visages, ceux des frères et des soeurs qui nous manquent. Enfin, pour découvrir que rien de décisif pour une existence véritablement humaine ne peut se jouer dans l’ignorance et l’oubli de ceux qui d’habitude ne comptent pas. Leur rencontre peut alors devenir une expérience de liberté et ouvrir un espace de respiration.
Les pauvres sont cachés dans les plis de nos peurs
Qui accepterait spontanément de se voir désigner comme « pauvre » ? Ce simple fait montre que l’on a affaire à une réalité qui met tout le monde mal &...
Mots clés :
Crainte
Election
Joie
Justice
Liberté
Pauvreté
Lire la suite
TOUS FRÈRES? PAS SI SIMPLE
CHRISTUS N°240
-
Étienne GRIEU
Tous frères ? L’idée est belle, car elle suggère une grande proximité de chacun à tous les autres, l’existence d’un lien au nom duquel pourront être remises en cause barrières, frontières, inégalités, conditions de vie indignes, oppressions, etc. N’est-ce pas précisément ce qui a inspiré les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, lorsqu’ils écrivent dans le premier article : « Tous les êtres humains […] doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » ? Mais une telle fraternité sans rivage, déclarative, n’est-elle pas condamnée à demeurer à l’état gazeux ? Autrement dit, à ne jamais pouvoir acquérir une consistance qui la rendrait capable de mettre en cause l’organisation de la vie en société ?
D’un autre côté, on peut estimer que le phénomène de mondialisation entraîne une sensibilité plus vive aux lointains, obligeant ainsi les politiques à en tenir compte. De fait, les nouveaux moyens de communication modifient profondément la conscience que nous avons du sort des autres, nous les rendant beaucoup plus proches. Les nouvelles de catastrophes ou de viole...
AU-DELÀ DES RELATIONS PERSONNELLES
CHRISTUS N°249
-
Étienne GRIEU
Serions-nous en train de perdre la bienveillance, cette disposition à nous réjouir de ce qui, en l’autre, est beau, à l’appeler à ce petit air de fête qui lui va si bien ? Sommes-nous entrés dans l’ère de la méfiance ? Ou pire, dans celle de la dérision ? Chaque proposition de sens serait alors immédiatement suspectée, soumise à la question des intérêts dont elle est l’otage pour faire la preuve de son inauthenticité, puis l’exhiber triomphalement dans le cortège des condamnés. Quel monde préparons-nous, que la bienveillance aurait déserté ? Il serait à peine plus hospitalier que celui annoncé par les climatologues du GIEC [1].
Les inquiétudes que je viens d’énoncer, pourtant, ne peuvent être le point de départ d’une réflexion sur la bienveillance car, en se limitant au constat, elles n’entrent précisément pas en bienveillance, laquelle refuse de camper en retrait et de s’en tenir aux faits. Et puis, que gagne-t-on à promouvoir l’idée d’une humanité qui partirait en lambeaux ? Quelle prise offre-t-on au noyé quand on se contente de lui apprendre qu’il est en train de se noyer ? N’est-il pas plus utile de se demander ce qui, aujourd’hui, rend la bienveillance peut-&...
Mots clés :
Bien commun
Bonheur
Bienveillance
Sociabilisation
Lire la suite
UNE FORCE DE RÉSURRECTION
01 JUILLET 2016
-
Étienne GRIEU
Mais pourquoi, si souvent, notre mine s’allonge-t-elle vers le bas? Qu’est-ce qui nous rend tellement sérieux, si graves ? Seraient-ce les soucis, la crainte de rater un projet stratégique, déterminant pour la suite ? En tout cas, le rire a du mal à se frayer un chemin au milieu des obligations de bien faire et de réussir, des impératifs d’être vigilants, rigoureux, de compter, vérifier, peser, décider, corriger, reprendre, ajuster, intervenir au bon moment, refaire les calculs, rectifier le tir, faire passer l’info, mettre les choses au point, serrer les objectifs, penser au financement… Dans tout ça, il ne s’agit pas de rigoler ! Et l’on n’a pas non plus le loisir de vraiment se réjouir. La joie est sans cesse reportée à la fin des opérations, quand tout sera achevé, bien bordé, terminé, évalué. Là seulement, elle pourra éclater. En attendant, elle est suspendue, jusqu’à nouvel ordre. Et plus on l’attend, plus on l’imagine immense, recouvrant tout de sa clarté, comme une victoire définitive. En vérité, cette apparition tant espérée se produira-t-elle ? Ou bien n’est-ce qu’un mirage, une illusion qui s’évapore pour peu qu’on s&rsqu...
Mots clés :
Accompagnement
Catholicisme
Eglise
Résurrection
Rire
Lire la suite
UNE FORCE DE RÉSURRECTION
CHRISTUS N°251
-
Étienne GRIEU
Mais pourquoi, si souvent, notre mine s’allonge-t-elle vers le bas ? Qu’est-ce qui nous rend tellement sérieux, si graves ? Seraient-ce les soucis, la crainte de rater un projet stratégique, déterminant pour la suite ? En tout cas, le rire a du mal à se frayer un chemin au milieu des obligations de bien faire et de réussir, des impératifs d’être vigilants, rigoureux, de compter, vérifier, peser, décider, corriger, reprendre, ajuster, intervenir au bon moment, refaire les calculs, rectifier le tir, faire passer l’info, mettre les choses au point, serrer les objectifs, penser au financement… Dans tout ça, il ne s’agit pas de rigoler ! Et l’on n’a pas non plus le loisir de vraiment se réjouir. La joie est sans cesse reportée à la fin des opérations, quand tout sera achevé, bien bordé, terminé, évalué. Là seulement, elle pourra éclater. En attendant, elle est suspendue, jusqu’à nouvel ordre. Et plus on l’attend, plus on l’imagine immense, recouvrant tout de sa clarté, comme une victoire définitive. En vérité, cette apparition tant espérée se produira-t-elle ? Ou bien n’est-ce qu’un mirage, une illusion qui s’évapore pour peu qu’on s’en approche&thin...
Mots clés :
Accompagnement
Catholicisme
Eglise
Résurrection
Rire
Lire la suite
UNE HISTOIRE VRAIMENT POUR TOUS ?
CHRISTUS N°257
-
Étienne GRIEU
Les personnes marquées par la misère sont les grandes oubliées des récits collectifs, il est de surcroît souvent difficile pour beaucoup d'entre elles de formuler leur propre récit personnel. On peut se demander à quoi ressemblerait une Histoire dans laquelle les plus pauvres auraient toute leur place.
Les pauvres, sauf exceptions1, ne laissent pratiquement pas de traces dans l'Histoire. Leurs habitations, bâties à la va-vite dans les angles morts des cités, ne résistent pas au temps. Leurs savoir-faire, qui les vantera ? Leurs paroles, qui les a retenues ? Quant à leurs écrits, ils sont si peu nombreux que nous ne disposons que de quelques fragments2. Seules leurs frasques, quand elles leur ont valu des démêlés avec la justice, sont consignées ; mais un tel registre ne livre pas une histoire, ou si partiale3… Qu'ont-ils vécu, quel était leur nom, quels chemins leur étaient familiers, quels furent leurs angoisses, leurs combats, leurs apprentissages, leurs ruses, leurs espoirs ? De quoi ont-ils pu se réjouir, quelle a été leur foi ? Après leur départ, seuls leurs proches pourraient raconter, mais le plus souvent eux-mêmes naviguent dans la même misère. Finalement, c'est un grand silence qui recouvre leur itinéraire, silence impressionnant qui pourrait donner le vertige...
MAIS QUE SE PASSE-T-IL SUR LES PÉRIPHÉRIES ?
CHRISTUS N°259
-
Étienne GRIEU
Notre foi appelle à vivre les uns avec les autres. Or nous éprouvons tous la difficulté à répondre à cet appel. Nous rencontrer par-delà les différences et les barrières, est-ce un pari impossible ? Partons des rencontres heureuses pour découvrir les surprises que les périphéries peuvent nous réserver.
Le désir de rejoindre les périphéries pourrait nous installer dans l'illusion de possibles retrouvailles à bon marché où s'opérerait une réconciliation facile, chemin d'accès sans entrave à la pleine communion entre tous. Nous savons bien, cependant, que cette aspiration profonde de l'Humanité est aux prises avec un doute radical sur la possibilité de vivre les uns par les autres, les uns des autres, insinué en nous par le diviseur (diabolos). De cela, nous ne pouvons faire fi. Mais, alors, nous rencontrer par-delà les frontières, pouvoir serrer l'étranger sur notre cœur, sentir au plus profond ce qui nous réunit malgré tout ce qui nous sépare, est-ce une promesse valable seulement pour la Fin des temps, pour la grande réconciliation en Dieu, quand il aura essuyé toute larme de nos yeux et qu'il n'y aura plus de mort, ni de pleurs, ni de cris, ni de peine (Ap 21,4) ? Est-il légitime d'espérer en bé...
LA MESSE, UNE EXPÉRIENCE SPIRITUELLE À DÉPLIER
CHRISTUS N°262
-
Étienne GRIEU
La messe est un rendez-vous intime avec le Christ qui advient cependant dans un rassemblement où d'autres sont présents. En prendre conscience aide à déployer l'expérience spirituelle qu'est la liturgie dominicale jusqu'aux bords de notre monde familier.
On peut supposer que, pour la plupart des pratiquants, l'eucharistie dominicale est une expérience spirituelle ; même si, bien entendu, d'autres éléments entrent en jeu, par exemple le plaisir de retrouver des amis, la satisfaction esthétique, le besoin de marquer un jour différent dans la semaine. La perspective qu'on adoptera ici s'attachera justement à ces éléments de la célébration, qu'on pourrait juger secondaires, pour souligner qu'ils participent bien de l'expérience de Dieu qu'est la liturgie eucharistique.
De fait, ne pourrait-on pas considérer l'eucharistie avec un regard large ? Bien sûr, c'est un rendez-vous avec le Christ, à l'intime de soi ; mais cela ne peut advenir sans une célébration où l'on côtoie d'autres personnes avec qui nous entrons dans l'accueil du don de Dieu. En prendre conscience aide à déployer l'expérience spirituelle qu'est la liturgie dominicale à l'échelle de nos réseaux de relations mais, plus encore, l'ouvre à ceux qui demeurent dans l'ombre de nos échanges. Dès...
LE VEILLEUR : UN SOLITAIRE EN COMMUNION
CHRISTUS N°268
-
Étienne GRIEU

Pour pouvoir s'exercer, la veille demande de se mettre un peu à distance des interactions incessantes, des bruits du monde et de faire le silence en soi. Pourtant, ce mouvement de retrait ne sépare pas mais rassemble, au contraire. La veille dispose même à la communion.
Le veilleur a forcément quelque chose d'un solitaire : il a besoin de se mettre un peu en retrait de tout ce qui bouge, il doit se tenir à distance des interactions incessantes qui le sollicitent sans répit et ramènent au premier plan le souci qu'elles soulèvent, comme le nuage de poussière au passage d'un convoi ou la nébuleuse de pollution qui recouvre les villes. Dans la veille, tout cela est suspendu. Nous sommes ainsi mis à distance des bruits de fond sans trêve, du buzz et de tout ce qui grince, avertit, tape, siffle et maugrée. Cela suppose de faire place au silence intérieur, de laisser reposer autour de soi ce qui d'habitude est en mouvement, toute la série des actions dans lesquelles nous nous appliquons à obtenir un résultat en y mettant pour cela l'énergie nécessaire.
Pour autant, le veilleur n'est pas passif. Il doit au contraire mobiliser une énergie considérable, mais c'est une mobilisation paradoxale : je rassemble mes forces non pour saturer mon environnement de ma présence et de mes actions mais, au contraire, pour ouvrir un espace d'attente, un espace libre, y compris, donc, de moi. C'est sans doute ce paradoxe qui rend la veille difficile : il est relativement aisé de centrer son att...
CÉLÉBRER AVEC LES ABSENTS
01 OCTOBRE 2021
-
Étienne GRIEU
Un avantage du confinement a été de nous faire éprouver le fait que ceux qui ne peuvent participer à l'eucharistie y tiennent une place cruciale. Cet article examine ce qui se passe pendant la messe entre les présents et les absents car, autour de ce point, se joue en partie le sens de ce qui est célébré.Le confinement a eu au moins un effet positif à propos de la messe et pour la comprendre : il a montré que les absents, ceux qui ne sont pas là physiquement dans la célébration (on ne sait trop pourquoi, en général), y tiennent une place en réalité cruciale. Parce qu'au plus fort de la pandémie, certains n'étaient pas présents alors qu'ils auraient voulu l'être, l'attention que toute assemblée est appelée à avoir vis-à-vis de ses membres absents – qu'ils le soient volontairement ou non – a été remise au premier plan. Examinons donc de plus près ce qui se passe entre ceux qui sont là dans les églises quand on fait mémoire de la Pâque du Seigneur, et ceux qui n'y sont pas. Autour de ce point, en effet, se joue, en partie au moins, le sens de ce qui est célébré.Accueillis dans la Pâque du ChristCommençons par ceux qui sont là, qu'on appelle les pratiquants ou les fidèles. En entrant d...
CÉLÉBRER AVEC LES ABSENTS
CHRISTUS N°272
-
Étienne GRIEU

Un avantage du confinement a été de nous faire éprouver le fait que ceux qui ne peuvent participer à l'eucharistie y tiennent une place cruciale. Cet article examine ce qui se passe pendant la messe entre les présents et les absents car, autour de ce point, se joue en partie le sens de ce qui est célébré.
Le confinement a eu au moins un effet positif à propos de la messe et pour la comprendre : il a montré que les absents, ceux qui ne sont pas là physiquement dans la célébration (on ne sait trop pourquoi, en général), y tiennent une place en réalité cruciale. Parce qu'au plus fort de la pandémie, certains n'étaient pas présents alors qu'ils auraient voulu l'être, l'attention que toute assemblée est appelée à avoir vis-à-vis de ses membres absents – qu'ils le soient volontairement ou non – a été remise au premier plan. Examinons donc de plus près ce qui se passe entre ceux qui sont là dans les églises quand on fait mémoire de la Pâque du Seigneur, et ceux qui n'y sont pas. Autour de ce point, en effet, se joue, en partie au moins, le sens de ce qui est célébré.
Accueillis dans la Pâque du Christ
Commençons par ceux qui sont là, qu'on appelle les pratiquants ou les fidèles. En entrant dans l'église, ils entendent à nouveau l'invitation à s'associer à la Pâque du Christ, à s'y laisser embarquer : le signe de la croix, tracé d'emblée par eux sur leur propre corps, ouvre en effet le temps de la liturgie.
Et quand ils viennent célébrer l'eucharistie, ils s'apprêtent à rendre gr...
HEUREUX LES DOUX
CHRISTUS N°275
-
Étienne GRIEU

« Heureux les doux, ils auront la terre en partage. » Cette promesse faite par le Christ est paradoxale. Comment expliquer que c'est aux humbles, à ceux qui n'ont pas les moyens ou qui ne désirent pas imposer leur loi que sera remis tout pouvoir sur la terre ?
Les Béatitudes invitent à découvrir l'existence humaine sous un tout autre éclairage que celui qui nous est familier. Et, dans cette lumière, tout semble bâti en paradoxes : se pourrait-il que ceux qui pleurent et sont dans le deuil soient appelés « heureux » ? Peut-on dire cela sans ciller ? De même pour ceux qui se retrouvent entièrement dépourvus, à la merci des autres, les « pauvres en esprit » – qu'on pourrait traduire par « pauvres au plus profond d'eux-mêmes1 » ? C'est dans ces mêmes harmoniques qui déroutent le regard et l'oreille qu'il faut entendre « heureux les doux : ils auront la terre en partage2 ».
C'est vrai qu'on aime bien les doux, leur contact est agréable : à les fréquenter, on n'aura pas la désagréable surprise de se blesser à des épines ou de tomber sur une lame coupante. Avec eux, on se sent accueilli tel qu'on est et l'on sait qu'on n'aura pas besoin d'armes ou de bouclier pour se défendre. Donc, les doux, très bien, merci Seigneur ! Mais d'ici à leur confier les clés du camion… C'est autre chose ! Car on n'a pas trop envie, en fait, de les voir aux postes de responsabilité. Sauront-ils trancher ? Pourront-ils résister aux assauts de tous ceux qui viendront réclamer leur dû ou contester leurs...
RETOURNEMENTS
CHRISTUS N°250HS
-
Étienne GRIEU
La figure du pauvre, très présente dans la tradition chrétienne, appelle à des retournements. Tout simplement, d'abord, pour tourner la tête du côté où l'on n'a pas envie de voir. Ensuite, pour reconnaître, en ces lieux redoutables, des visages, ceux des frères et des sœurs qui nous manquent. Enfin, pour découvrir que rien de décisif pour une existence véritablement humaine ne peut se jouer dans l'ignorance et l'oubli de ceux qui d'habitude ne comptent pas. Leur rencontre peut alors devenir une expérience de liberté et ouvrir un espace de respiration.Les pauvres sont cachés dans les plis de nos peursQui accepterait spontanément de se voir désigner comme « pauvre » ? Ce simple fait montre que l'on a affaire à une réalité qui met tout le monde mal à l'aise, et donc se dérobe. Et pourtant, les statistiques sont là : elles indiquent que certains disposent d'à peine de quoi vivre et sont condamnés à exister au jour le jour, dans une extrême précarité.Le pauvre, c'est celui qu'on ne voit pas, qui ne compte pas, dont on oublie jusqu'à l'existence, dont on n'attend rien, et qui, de ce fait, ne peut trouver à exprimer ce qu'il porte, ce qu'il est.S'intéresser à ces personnes humiliées revient à chercher à...
EXPÉRIENCE SPIRITUELLE ET LIEN SOCIAL
CHRISTUS N°254HS
-
Étienne GRIEU
Quel rapport entre l'expérience spirituelle et le tissage du social ? Question saugrenue ? Question délicate en tout cas, à l'heure où, face au désarroi ambiant, les croyants peuvent être tentés de désigner la racine du mal et d'en appeler à un « sursaut spirituel », comme si nous avions des solutions là où beaucoup peinent et continuent malgré tout de prendre les problèmes à bras-le-corps.Pourtant, il se pourrait bien que le malaise des sociétés riches ait quelque chose à voir avec des questions spirituelles. Le cardinal Carlo Maria Martini (1927-2012), dans une interview au Monde, parlait des difficultés des pays du premier monde comme d'une « crise de la liberté et de la conscience ». Voilà qui incite, il me semble, à revisiter l'expérience spirituelle en ce qu'elle a de plus élémentaire.Se recevoir d'un autrePar bien des aspects, notre existence ressemble à une aventure, un itinéraire sur la Terre où un formidable désir de vivre tente toujours de se dire et redire, aux prises avec mille formes d'adversité. L'extraordinaire, c'est qu'avec ces deux ingrédients – on pourrait dire : ces deux couleurs – il y a de quoi peindre un nombre infini de tableaux. Et, finalement, quand on y réfléchit, on peut...
UNE FORCE DE RÉSURRECTION
CHRISTUS N°270HS
-
Étienne GRIEU
À mon oncle Michel, grand rieur devant l'Éternel.Mais pourquoi, si souvent, notre mine s'allonge-t-elle vers le bas ? Qu'est-ce qui nous rend tellement sérieux, si graves ? Seraient-ce les soucis, la crainte de rater un projet stratégique, déterminant pour la suite ? En tout cas, le rire a du mal à se frayer un chemin au milieu des obligations de bien faire et de réussir, des impératifs d'être vigilants, rigoureux, de compter, vérifier, peser, décider, corriger, reprendre, ajuster, intervenir au bon moment, refaire les calculs, rectifier le tir, faire passer l'info, mettre les choses au point, garder en vue les objectifs, penser au financement… Dans tout ça, il ne s'agit pas de rigoler ! Et l'on n'a pas non plus le loisir de vraiment se réjouir. La joie est sans cesse reportée à la fin des opérations, quand tout sera achevé, bien bordé, terminé, évalué. Là seulement, elle pourra éclater. En attendant, elle est suspendue, jusqu'à nouvel ordre. Et plus on l'attend, plus on l'imagine immense, recouvrant tout de sa clarté, comme une victoire définitive. En vérité, cette apparition tant espérée se produira-t-elle ? Ou bien n'est-ce qu'un mirage, une illusion qui s'évapore pour peu qu'on s'en approche ? Il arrive, cependant, qu'el...