Claude-Henri ROCQUET

DE L’ADORATION DE L’UN À L’IDOLÂTRIE DU RIEN
CHRISTUS N°227
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Claude-Henri ROCQUET
Il faut lire Baudelaire comme nous lisons Pascal. Au Lecteur : le poème liminaire des Fleurs du mal est une confession, un examen de conscience, un miroir où l’auteur et le lecteur peuvent également se reconnaître dans leur misérable comédie et leurs évasions illusoires, leur enfer intime, leur assujettissement à Satan. Lire cette page comme un admirable poème, la tenir pour une superbe façade, le porche ou le tympan solennel d’un recueil, au lieu d’y reconnaître le dévoilement d’un « coeur mis à nu », un De profundis, c’est ne pas l’entendre, ne pas entendre sa vérité. C’est rester au plan de la littérature, de l’illusion littéraire, retenu par la forme, cette « idole », empêché par le plaisir, la complaisance, d’accéder au sens, au déchirement de l’âme. Il en va de même pour tous les chefs-d’oeuvre. Le talent, le génie, notre admiration elle-même, nous cachent qu’au delà de toute littérature, au delà de l’art, de l’oeuvre, il s’agit de l’homme, de sa misère, de sa grandeur. Et « l’homme, dit Pascal, passe infiniment l’homme ». Il est vrai que l’admiration, la dévotion à la forme, la communion dans la beaut&eacute...
Mots clés : Art (cinéma, peinture, sculpture) Démon Dieu Discernement Prière Religions Vanité
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ABSENT DE BAGDAD
CHRISTUS N°216
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Claude-Henri ROCQUET
Jean-Claude Pirotte est romancier, poète, peintre. Il a été avocat. Il est né en Belgique. « Pour comprendre mon univers, a-t-il dit, il faut me voir dans un paysage. » Ce paysage s’étend entre l’Ardenne et la Hollande. Avec Absent de Bagdad (La Table Ronde, 2006) s’ouvre dans son oeuvre un autre lieu — géographique, mais peut-être aussi spirituel. Bagdad est à ce récit — ce monologue — ce qu’est Amsterdam pour La chute de Camus.    Le livre s’ouvre par une image que tous nous avons vue et qui nous hante. Dans le couloir d’une prison, un prisonnier nu est mené en laisse par une femme soldat. La photo n’avait pas montré que le sol où se traîne l’homme sur les mains et les genoux est semé de tessons de bouteille. Nous le savons parce que cet homme, soudain, nous l’entendons. Cet homme n’est plus une image, il est quelqu’un qui souffre hu­miliation et douleur. Par la voix que prête un écrivain à un supplicié, par la force d’une parole fictive, l’anesthésie et le mensonge des informations cessent. Tout donne le sentiment d’une déten­tion vécue, d’un tourment réellement éprouvé : le contact d’une cagoule sur le visage, la forme particulière d’une cellule s&ea...
Mots clés : Corps Islam Mystique Parole d’homme Silence Littérature
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QU’EST-CE QU’UNE OEUVRE ?
CHRISTUS N°211
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Claude-Henri ROCQUET
Visite d’atelier. Je m’attendais à des peintures, il s’agit d’empreintes : cette corolle sur un linge, l’artiste m’apprend que c’est le bout d’un sein, le sien ; auréole, aréole. Dans la grille d’un carré, cent taches : l’empreinte d’un orteil, d’un index : « On dirait une infinité de paysages, n’est-ce pas ? » Au mur, sur un tissu léger, une espèce de soie, encadrés, des paysages Song : lacs, vapeurs et brumes, montagnes célestes… Secret de ces faux paysages chinois : un peu d’encre au hasard versée et déversée d’un pan de toile à un autre. Et ainsi de suite. Je n’aime pas l’oeuvre de Max Ernst : ni ses blasphèmes, ni son « onirisme » ; cette île de Pâques infantile ; mais, enfin, ses frottages sont l’instrument ou la matière de ses forêts, de ses paysages. Et l’oeuvre d’Ernst est un monde. Elle est une part distincte et significative de l’art contemporain, un versant du surréalisme. Pourquoi l’atelier que je viens de voir, et toutes ces empreintes, ces moulages de serpillières ou de semelles dans du ciment, ces aléas, ces jeux, me laissent-ils le sentiment d’une vacuité, d’une inanité, d’un enfantillage ? « Cela n’est pas...
Mots clés : Action Discernement Imagination Louange Méditation Mémoire Sagesse Temps
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LANZA DEL VASTO ET LA PROPHÉTIE
CHRISTUS N°202
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Claude-Henri ROCQUET
Père Noé, qui plantastes la vigne... » Ce vers de Villon me revient à l'esprit au moment d'évoquer la grande et paternelle figure de Lanza del Vasto, que j'ai connu quand je n'avais pas vingt ans, et dont je fus proche jusqu'à son départ de ce monde, à l'Épiphanie 1981, — ce jour où la liturgie de l'Église d'Orient, fêtant la Théophanie, commémore Noé, l'Arche et la traversée du déluge, le baptême du Christ et Jean le Précurseur ; tandis qu'en Occident l'Église fête l'adoration des mages d'Orient, ces rois dont Lanza avait le visage et la stature, la majesté, en même temps que ce manteau invisible et rayonnant que pose, sur les épaules d'un homme, d'un voyageur et d'un nomade, d'un pèlerin, l'expérience des lointains. LE FONDATEUR DE L'ARCHE « Père Noé, qui plantastes la vigne » : cette sorte d'exergue convient à celui qui raconta une partie de sa vie — après le retour de l'Inde, après le Pèlerinage aux sources, sous ce titre : « L'arche avait pour voilure une vigne », — l'Arche étant l'Ordre et la communauté qu'il avait fondés, dans la fidélité à Gandhi, dont il avait reçu le nom qu'il porta désormais : Shantidas, « Serviteur de Paix ». Et ce...
Mots clés : Paix Père Paternité Prophète Violence Conversion
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IMAGE ET ICÔNE
CHRISTUS N°181
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Claude-Henri ROCQUET
Qu'est-ce qu'une image divine ? Qu'est-ce qu'une icône ? Et dans quelle mesure est-il possible de parler d'icône ocddentale ? Quel secours ou quel bienfait attendre de l'image — ou de l'icône — sur le chemin de la vie intérieure : dans la liturgie et la prière, la contemplation, la méditation ? Il est nécessaire de prendre beaucoup de champ pour tenter de répondre à ces questions. Et si l'essence de l'icône peut édairer notre intelligence de l'image, mieux vaut sans doute, aujourd'hui, et dans un premier temps, s'acheminer vers elle par la voie anthropologique plutôt que par la voie théologique. De même que l'icône, première image chrétienne, a pris forme de l'art profane et païen, de même c'est en la situant dans la condition ordinaire de l'homme, dans la nature humaine que nous pouvons en saisir le caraaère essentiel.   La représentation et l'Incarnation La représentation est au coeur de l'homme. L'invisible est au coeur de la représentation. L'Incarnation est au coeur de l'histoire de l'art ocddental, et universelle, depuis le Christ. La capacité de représenter n'est pas une espèce de luxe donné à l'espèce humaine, et comme un accident, heureux ou malheureux, ajouté à sa condition : elle est consubstantielle à notre humanité....