L'EXPÉRIENCE DES SENTIMENTS
CHRISTUS N°231
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Christophe ANDRE
« Et maintenant que nous les connaissons toutes [les passions], nous avons beaucoup moins de sujet de les craindre que nous n’avions auparavant ; car nous voyons qu’elles sont toutes bonnes de nature, et que nous n’avions rien à éviter que leur mauvais usage ou leurs excès. »
René Descartes Traité des passions de l’âme
Dans la vaste famille des affects, le sentiment occupe une place bien à part. Il est en quelque sorte une émotion subtile : plus discret, plus secret, plus complexe qu’une émotion ; mais aussi plus influent sur le cours de nos vies… Qu’est-ce qu’un sentiment ? « J’ai proposé de réserver le terme de sentiment à l’expérience mentale et privée d’une émotion, et d’utiliser au contraire le terme d’émotion pour désigner l’ensemble de réponses qui, pour bon nombre d’entre elles, sont publiquement observables. » Cette définition du neuroscientifique Antonio Damasio (1) nous rappelle à quel point l’irruption de la conscience a modifié la perception et l’usage des émotions dans l’espèce humaine. Nos sentiments sont ainsi des sortes de cousins évolués et civilisés de nos émotions, restées, elles, plus antiques et plus rustiques : ils s...
Mots clés :
Affectivité
Discernement
Expérience spirituelle
Humanisme
Psychologie
Littérature
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NOURRITURE, RAISON ET ÉMOTION
CHRISTUS N°238
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Christophe ANDRE
La scène se passe dans un grand hôpital parisien. Quinze personnescontemplent attentivement un grain de raisin sec, que chacune tient entre pouce et index. En silence, elles observent son apparence, le reniflent puis, lentement, le portent à leur bouche, le mâchent très doucement, très lentement, les yeux fermés, prennent, avant de l’avaler, le temps d’en percevoir le goût, la consistance. Après l’avoir – enfin – avalé, elles gardent les yeux fermés pour continuer, le plus longtemps possible, d’observer la persistance dans leur bouche de la saveur du grain de raisin, qui voyage maintenant à l’intérieur de leur corps…
L’exercice du grain de raisin est un classique des approches psychothérapeutiques basées sur la pleine conscience, cette technique de méditation empruntée au bouddhisme, puis laïcisée et codifiée afin de devenir un outil d’aide psychologique. Mais pourquoi cet étrange cérémonial ? Que vise-t-on ?
Tout simplement ceci : prendre conscience. Prendre conscience de ce que nous ressentons, écouter nos sensations, notre corps, et tenir compte de leurs messages. Prendre conscience de ce que nous faisons et vivons, au lieu de tout faire en pleine inconscience, sans y songer, l’esprit absorbé ailleurs ou dispersé partout. Les pa...
SIMPLICITÉ
CHRISTUS N°244
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Christophe ANDRE
Dans les moments de grande surchauffe professionnelle, je rêve souvent d’être jardinier. Je m’imagine alors tranquille en train de bêcher, ratisser, planter, tailler. Entouré du chant des oiseaux et du bourdonnement des abeilles, respirant l’air pur, reniflant les odeurs végétales. Personne pour me mettre la pression. Du temps devant moi pour m’arrêter, sourire en regardant passer un nuage, tomber une feuille, s’envoler une coccinelle. Une vie douce et simple.
Je sais que la vraie vie des vrais jardiniers ne ressemble pas toujours (ou pas du tout ?) à cela. Mais ça me fait du bien d’en rêver un instant. Devenir jardinier, dans mon cas, fait partie de ces « illusions chaleureuses » dont nous avons tous besoin, par moments. De ces illusions qui nous font aspirer à plus de simplicité dans notre vie…
Qu’est-ce que le simple ?
Le simple, c’est bien sûr ce qui s’oppose au complexe, puisque le terme est issu du latin simplex : « formé d’un seul élément ». Ce qui est simple, c’est à notre esprit ce qui est facile à percevoir, à comprendre, à utiliser, tant dans le domaine des objets que dans celui des idées. La simplicité représente souvent une forme d’idéal dans de nombr...
MÉDITER POUR MIEUX VIVRE ET MIEUX PRIER ?
CHRISTUS N°256
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Christophe ANDRE
Les humains méditent depuis toujours. Au XXe siècle, la pratique de formes de méditation laïques s'est répandue bien au-delà du champ religieux et spirituel. Est-ce un effet de mode ou l'expression de besoins plus profonds ?
Il y a quelques années, j'assistais à la communion solennelle d'un de mes neveux. Les enfants étaient dans le chœur, la nef de l'église était remplie de familles et d'amis. Le tout dans un incroyable tumulte ! Le public bavardait pendant l'office, à tel point que le curé dut demander plusieurs fois le silence. Les parents et proches allaient et venaient afin de trouver les meilleurs angles pour leurs photos ou leurs films. Les jeunes communiants étaient psychologiquement dispersés, chuchotant entre eux, observant le public pour y retrouver les visages connus, au lieu d'écouter le prêtre. À un moment, un diacre fut même obligé de prendre dans ses mains la tête d'un des garçons, qui faisait des grimaces à ses amis sur les bancs, pour la tourner doucement vers le curé qui tentait de s'adresser aux jeunes. Bref, une ambiance joyeuse et sympathique, mais un manque total de recueillement. Dans ce tumulte, le prêtre proposa à chaque enfant d'« accueillir Jésus dans son cœur » : vu l'agitation qui régnait déj&agra...