LE COMBAT D'UN MAÎTRE SPIRITUEL : DOM ANDRÉ LOUF
CHRISTUS N°267
-
Charles WRIGHT

Dom André Louf, un grand maître de la spiritualité au XXe siècle qui avait fait de la docilité à l'Esprit la clé de sa vie, a connu un combat intérieur au moment d'abandonner sa charge d'abbé et de se retirer dans une vie de solitude, à laquelle il aspirait pourtant depuis de longues années.
Il faut se méfier des biographies pieuses. Elles nous présentent souvent des existences trafiquées. Pour produire de belles images d'Épinal, elles s'arrangent avec les faits. Les fabricants de littérature sulpicienne savent que nous sommes des éternels enfants : on aime qu'on nous raconte des histoires qui ont toujours les mêmes schémas : des combats contre des penchants mauvais, dont le héros triomphe, ou des vies qui se présentent comme une constante progression vers le bien. Pourtant, nous savons bien que ce n'est pas ainsi que vont les choses. Que le cœur de l'homme est divisé : jusqu'à la fin s'y livre une violente bataille pour rejeter l'ombre qui voile en lui la lumière. Un itinéraire, fut-il celui d'un grand spirituel, n'est donc jamais une marche régulière vers la sainteté. Son tracé ressemble plutôt à une ligne courbe, faite d'incertitudes, de contradictions, d'enlisements, voire de retours en arrière. Même aux plus avancés, il arrive de trébucher.
Dom André Louf, qui compte parmi les grands témoins de la tradition contemplative chrétienne, ne déroge pas à cette vérité. Dans les années 1990, ce maître spirituel est abbé de la trappe du Mont des Cats, dans le nord de la Franc...
LE DISCERNEMENT DES ESPRITS SELON IGNACE DE LOYOLA, DOMINIQUE SALIN
CHRISTUS N°274
-
Charles WRIGHT

Lessius, « Petite bibliothèque jésuite », 2021, 204 p., 12 €.
Des moralistes du XVIIe siècle qu'il a souvent étudiés, Dominique Salin a hérité l'art de condenser beaucoup d'intelligence en peu de mots. Son dernier livre confirme cette inclination. En 204 pages bien tassées, ce spécialiste de théologie spirituelle nous offre à la fois un traité du discernement des esprits à la mode ignatienne, un précis de vie intérieure et une contribution décisive à « l'anthropologie historique du croire » pour parler comme l'un de ses maîtres, Michel de Certeau.
Ignace de Loyola en a fait l'expérience sur son lit de malade : l'être humain n'est pas maître chez lui. Sans cesse, il est traversé par des émotions, des sentiments, des états d'âme surgis d'on ne sait où. Joie, tristesse, angoisse, colère, exaltation, découragement… autant de choses qui nous arrivent, qui se produisent en nous. D'où viennent ces motions qui relèvent de l'involontaire, de l'insu ?
À l'époque d'Ignace, on en attribuait l'origine à des puissances extérieures qui avaient pour les contemporains une existence réelle, concrète. Le fond de l'air était animiste. Dans un monde où le prodige était banal, où l'on croisait des êtres surnaturels comme nous avisons nos voisins, on croyait que des esprits voltigeaient entre ciel et terre, prêts à intervenir en permanence. Bons et mauvais anges prenaient d'assaut les cœurs des hommes et s'y livraient à des batailles homériques pour activer en eux les passions : « ils avaient l...
DANSER EN PLEIN SÉISME OU L'ÉNERGIE DE LA FOI, ROBERT SCHOLTUS
CHRISTUS N°275
-
Charles WRIGHT

Les lecteurs de Christus le savent, Robert Scholtus aime gambader sur les chemins de traverse, s'aventurer en dehors des clous. Il aime aussi s'échapper des frontières de l'Église pour respirer l'air du dehors et dilater le christianisme. Le dernier livre de ce « prêtre libre », comme on disait de Charles de Foucauld, s'inscrit dans ce sillon.
Dans ce petit essai tonique et écrit avec style, l'auteur explore des voies pour sortir de la crise que nous traversons. Rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase), effondrement de la pratique, crise des vocations, exculturation du christianisme… Manifestement, un monde est en train de s'effondrer. Or, quand tout se délite, la tentation est de demeurer immobile, pétrifié, figé. Rejetant à la fois la crispation identitaire et l'acceptation résignée et impuissante de l'effacement, l'auteur plaide au contraire pour le mouvement, le dynamisme, la souplesse, la sortie, l'action.
Un nouveau quiétisme importé des sagesses de l'Extrême Orient a envahi les consciences occidentales. Il faut être vulnérable, faible, résilient, lâcher prise, se retirer, ne pas agir… Mais il se pourrait bien que « cette rhétorique de la faiblesse » soit le pieux alibi de nos démissions, un prétexte pour ne pas avoir à chercher la force d'imaginer et de mettre en œuvre un véritable renouveau spirituel. Si la foi est un don de la grâce, elle est aussi un acte de la volonté, soutient l'auteur qui en appelle au courage, à l'a...
PORTRAITS INDIENS DE YANN VAGNEUX
CHRISTUS N°276
-
Charles WRIGHT

Médiaspaul, 2022, 216 p., 18 €.
Dans Prêtre à Bénarès (Lessius, 2018), son précédent livre, Yann Vagneux écrivait : « Nous croyons que l'œuvre de l'Église n'est pas d'abord de se centrer sur elle-même pour restaurer l'intérieur de sa demeure mais que son appel est plutôt de partir, avec la légèreté des origines, à la rencontre de toute la réalité afin de l'éclairer par le Christ. » Portraits indiens est l'incarnation de cette profession de foi. Le prêtre des Missions étrangères de Paris (MEP), qui a voué sa vie à l'Inde et à ses habitants, brosse d'une plume inspirée le portrait spirituel de huit chrétiens qui se sont aventurés au nom du Christ dans les profondeurs et les mystères de ce pays multireligieux.
Certains de ces pionniers sont connus : mère Teresa, le jésuite Pierre Ceyrac, Jean Vanier, le moine Henri Le Saux. D'autres moins : Marc Chaduc et la carmélite Thérèse de Jésus, tous deux disciples du bénédictin Le Saux, Vandana Mataji, figure du dialogue interreligieux, ou Prasanna Devi, l'ermite du Girnar au visage ruisselant de bonté divine. Petite miette chrétienne dans l'océan de l'hindouisme, chacun, à sa façon, a fait rayonner le visage du Nazaréen au pays du Gange, soit en se mettant au service des plus pauvres, en discrets serviteurs de la charité, soit en s'enfonçant dans la prière et le silence des ermitages, une façon de faire découvrir aux hindous que le christianisme aussi peut être une voie qui conduit à la profondeur de l'expérience intérieure.
Le père...
SOIS LE BERGER DE MES AGNEAUX, ALEXANDRE SINIAKOV
CHRISTUS N°277
-
Charles WRIGHT

Un jeune et brillant recteur d'un séminaire orthodoxe russe en France, maniant avec doigté le bréviaire, l'encensoir et la diplomatie, aussi à l'aise dans les écrits des Pères de l'Église que dans les mondanités ecclésiastiques et les arcanes politico-religieux. Un jour, le sang cosaque de ce moine au visage d'ange est venu faire battre à nouveau ses rêves d'enfants : vivre au milieu des chevaux comme ses ancêtres dans les steppes des confins de l'Empire russe. Peu à peu, à ses vingt-cinq séminaristes russes et ukrainiens, sont donc venus s'agréger deux ânes, un trotteur français, une jument comtoise, un hongre westphalien et un autre venu des montagnes du Caucase, qui ont révélé le jeune clerc à lui-même. Le récit de cette aventure, qui paraît sortie d'un roman de Dostoïevski, de Balzac ou de Dumas, Siniakov l'a raconté dans Détachez-les et amenez-le à moi (Fayard, 2019), qui a reçu le « Goncourt des animaux », le Prix « 30 millions d'amis ». On le retrouve aujourd'hui dans un récit encore plus émouvant et profond. Son troupeau et lui ont quitté l'enceinte du séminaire pour une vieille ferme sarthoise. Dans cette arche rurale s'ébrouent désormais chevaux, ânesses, chiens, chats, oies, canes, boucs et chèvres… Siniakov, qui a conservé son ministère ecclésial au séminaire et cumule la charge d'âme et le soin des bêtes, relate ses joies et ses peines au contact de ce cheptel. Le recteur a troqué la soutane pour l'habit du fermier, la paix des cloîtres pour le grand air, l'e...