Anne-Marie PELLETIER

Agrégée de lettres, docteure en sciences des religions, a été lauréate du prix Ratzinger en 2014, professeure émérite des Universités, a enseigné l’exégèse et l’herméneutique à la faculté Notre-Dame (Paris).
A publié L’Église, des femmes avec des hommes (Cerf, 2019), Le signe de la femme (Cerf, 2007) et Débats éthiques et sagesse biblique (Salvator, 2018).
QUAND LA BIBLE PARLE D’ENFANTEMENT
CHRISTUS N°229
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Anne-Marie PELLETIER
Dieu masculin, Dieu féminin ? Dieu père, mais aussi mère ? Ces propositions, impensables pour les générations passées de lecteurs de la Bible, sont aujourd’hui communes. Retombées d’une histoire qui, au XXe siècle, s’est rendue sensible à la différence des sexes comme noeud de la condition humaine ? Certainement, et heureusement. Les Écritures bibliques ne pouvaient échapper au débat, en notre culture, sur la domination symbolique, qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin, comme l’énoncent benoîtement nos grammaires. C’est ainsi qu’un imaginaire tacitement masculin de Dieu comme les schémas patriarcaux en sous-main des récits bibliques se sont vus placés sous les feux d’une conscience critique. C’est par là aussi que s’est gagnée une perception plus sensible d’un versant de la révélation qui avait été ignoré ou négligé, et qui concerne tout ce dont faisait peu de cas une tradition qui trouvait ses avantages à ne nommer Dieu qu’à travers des références masculines : roi, juge, berger, guerrier, ou encore « père » dans l’acception la plus patriarcale du mot. Quitte à contrebalancer l’image ainsi formée par de prétendus adoucis...
Mots clés : Bible Corps Création Dieu Enfant Femme Jésus-Christ Mère Miséricorde Père Salut
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L’AVENIR D’UNE ÉPREUVE
CHRISTUS N°220
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Anne-Marie PELLETIER
Il y avait eu le premier grand ébranlement au VIIIe siècle, quand le royaume du Nord avait été effacé de la carte par la conquête assyrienne. Jérusalem avait échappé in extremis au désastre et, cahin-caha, le royaume de Juda avait perduré dans une vassalité plus ou moins coûteuse, sous la coupe de ses puissants voisins égyptien ou mésopotamien. Ensuite, tout s’accéléra avec l’avène­ment du babylonien Nabuchodonosor en 605. Quatre ans plus tard, celui-ci ravageait le territoire de Juda, puis assiégeait à deux reprises Jérusalem. En plusieurs vagues, les élites du pays furent déportées sur les rives de l’Euphrate. On tenta de résister en jouant d’alliances politiques hasardeuses. Mais Jérémie qui prêchait durant ces années sombres avertissait ses rares compatriotes qui voulaient bien l’entendre : la marche à l’abîme était inexorable. De fait, en 587/86, Jérusalem tombait définitivement, ses murailles étaient ruinées, le Temple pillé et détruit, le pays livré à l’étranger. Désormais, et pratiquement pour la suite des temps, l’autonomie politique fut perdue. La langue elle-même fut touchée par la catastrophe, puisque l’ara...
Mots clés : Bible Epreuve Salut
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HOMMES ET FEMMES DU NOUVEAU TESTAMENT
CHRISTUS N°214
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Anne-Marie PELLETIER
Seuil, 2006, 246 p., 20 euros. Prenant le relais de Paul Beauchamp qui, peu de temps avant sa mort, offrait avec ses Cinquante portraits bibliques (Seuil, 2000) une superbe initiation à l’Ancien Testament, Claude Flipo trace, autrement, mais d’une main également experte, le portrait de cinquante hommes et femmes du Nouveau Testament. Ce livre, comme le premier, se fait d’abord remarquer par la qualité de l’édition et par son iconographie. Des gravures de Jérôme Nadal, compagnon de saint Ignace et illustrateur des Évangiles, ponctuent les chapitres. Manière de magnifier sobrement le texte des Écritures, qui ne fait pas nombre avec nos éphémères écritures. Le Nouveau Testament est ainsi reparcouru sous la forme de portraits d’hommes et de femmes dont Jésus croisa le chemin, rencontra le regard, recueillit la détresse, devina le désir. L’auteur nous remet par là devant cette réalité majeure : la Bonne nouvelle est que Dieu vient visiter son peuple. Il « s’est fait conversation », rappelle la Préface. Dès lors, l’Évangile ne peut pas être enseignement abstrait, énoncé d’idées. Il est rencontre de Dieu incarné avec une humanité incarnée. C’est dans le face-à-face concret avec les appels, les quest...
Mots clés : Livres
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PAR LE CHEMIN DES ÉCRITURES
CHRISTUS N°212
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Anne-Marie PELLETIER
À qui l’interrogeait un jour sur l’épouvante des camps nazis, l’écrivain Primo Levi répondit que ce n’était pas la haine, mais bien plutôt la peur de l’homme qui, désormais, dominait en lui. Que — par-delà les accidents et les catastrophes qui fondent sur les vivants — l’être humain puisse être le plus grand danger pour son semblable, voilà une évidence nourrie par une histoire immémoriale. Même le partage d’une commune fragilité ou d’une commune épreuve ne fait pas des humains spontanément des alliés. Un Alfred Thesiger, explorateur des déserts d’Arabie, tenait la rencontre d’autres hommes au coeur de sables perdus pour le grand péril, bien plus redoutable que la soif, la faim ou l’épuisement. Même en des circonstances plus ordinaires, toute rencontre expose à la double possibilité que l’autre se montre bienveillant ou qu’il se révèle hostile. Cette incertitude est précisément l’interstice où se glisse depuis toujours la peur de l’autre.   Peur de l’autre homme Et c’est un fait que le livre biblique, ce laboratoire d’humanité, est rempli dès le départ de mentions de peurs, d’effrois, de récits de fuites, de cris de...
Mots clés : Bible Crainte Dieu Jésus-Christ Liberté Paix
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MARIE, VERUS ISRAËL ET MÈRE DE L'EGLISE
CHRISTUS N°183
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Anne-Marie PELLETIER
Marie dans les Ecritures... Qui a fait un jour l'inventaire des versets qui parlent d'elle dans les Evangiles et le reste du Nouveau Testament n'a pas manqué d'être saisi. Quelques mentions regroupées presque toutes au début des évangiles de Matthieu et de Luc, deux scènes de l'évangile de Jean (2 et 19) qui mettent en scène la « mère de Jésus » : c'est là le tout, avec quelques autres rares allusions, du témoignage des Ecritures à son sujet. Cette faible présence fait évidemment un impressionnant contraste avec l'immense tradition de récits, d'images, de dévotions, dont vingt siècles de christianisme ont paré la figure de Marie. Une interprétation simplement critique condura aux effets d'une piété exubérante qui a fait proliférer les mots et les images d'autant plus facilement que l'Ecriture restait sobre et discrète. Mais c'est là se suffire d'une pensée un peu courte. On peut penser, au contraire, que, s'il en est ainsi, c'est que l'Evangile du Christ avait besoin, pour prendre corps, de ce centre silencieux, maternel, maternellement silendeux, qu'est Marie. Ce silence du coeur de Marie est comme la matrice de la Bonne Nouvelle chrétienne. « Marie gardait en son coeur toutes ces choses », atteste le texte en commentaire des rédts de l'enfance Ces...
AVEC DOLORES ALEIXANDRE ÉCOUTER LES ECRITURES À PLEIN VOLUME
CHRISTUS N°252
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Anne-Marie PELLETIER
Les ouvrages de Dolores Aleixandre sont une promesse. La lire, c'est s'offrir une plongée au cœur des livres bibliques et apprendre avec elle à lire, à regarder, à écouter et à s'approprier la Parole pour en faire une nourriture vivifiante. Toute notre vie peut s'en trouver éclairée.  La Bible… beaucoup la lisent, la redécouvrent aujourd'hui, s'affairent autour de ses textes avec les outils de la science ou la ferveur du croyant. Mais cette heureuse nouvelle, qu'il ne s'agit certes pas de bouder, n'empêche pas de remarquer que plus d'une fois la vraie vigueur du texte échappe à nos lectures. De fait, il ne suffit pas d'ouvrir tout seul le livre pour qu'un sens consistant lève du silence de ses mots. L'ouvrir à plusieurs est déjà un bon pas, puisque c'est répondre à la convocation qui scande ses textes. Mais, même ainsi, le livre peut être privé de sa liberté d'expression, ramené aux piètres limites du désir humain, écrasé sous le poids des a priori du lecteur. La tradition juive le sait depuis longtemps : de même que le livre n'existe que d'être transmis, de main en main, dans ce qui s'appelle « tradition », de même il ne s'ouvre effectivement qu'à celui qui consent à apprendre d'un autre à le lire. Appelons ici...
LE DÉSIR DÉSIRÉ
CHRISTUS N°255
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Anne-Marie PELLETIER
Le Cantique des cantiques est décidément une eau vive qui traverse les longues distances de l'histoire de l'Église et rejaillit sans cesse en mots nouveaux. Le commentaire du père Benoît Standaert, bénédictin de Saint-André de Bruges, exégète de renom, en est le témoignage. Moine, il lit dans le sillage d'innombrables lectures qui ont fleuri dans les cloîtres depuis le Moyen Âge, et avant même déjà. Mais, comme pour les meilleurs des commentaires de la Tradition, la voix qui s'exprime ici est hautement personnelle et elle confère aux mots du texte, pourtant tellement labourés, une fraîcheur jubilante. En fait, l'ouvrage a pour origine une lecture au long cours du Cantique, pratiquée sur plusieurs décennies, et d'abord sans autre projet que de savourer un texte qui offre ses mots à l'expérience de Dieu dont se trame la vie de son lecteur. À vrai dire, un lecteur de choix, tout entier engagé dans l'interprétation, avec ses curiosités d'exégète, avec sa vaste mémoire littéraire, philosophique et spirituelle, chrétienne mais aussi juive. Évidemment aussi avec la passion ardente d'une vie monastique saisie par le désir de Celui qui se découvre lui-même en désir de l'Humanité et d'alliance amoureuse avec chaque croyant. L'&...
VIVRE ET DIRE LA FOI AU FÉMININ
CHRISTUS N°255
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Anne-Marie PELLETIER
  Écartons d'abord l'idée, à notre sens malencontreuse, d'une spiritualité féminine comprise sur mode générique, c'est-à-dire laissant imaginer une posture compacte, commune à toutes, et qui, comme telle, pourrait être opposée à une version masculine du spirituel. Ce genre de catégorisation sied bien à la polémique, comme aussi à la misogynie, qui trouve son avantage à ramener l'expérience croyante des femmes à un certain pli de la sensibilité, à quelques stéréotypes, dont les plus louangeurs sont souvent d'ailleurs les plus piégés. En réalité, vivre et croire au féminin nous renvoie avant tout à un volume – espace vaste et aéré – de voix multiples, ayant chacune son grain propre, marquées d'une note personnelle qui se trouve plus souvent absente dans le champ du discours masculin. La raison en est peut-être que, exclues traditionnellement de la charge institutionnelle de produire et de valider les discours théologiques autorisés et normatifs, les femmes ont parlé et parlent plus librement en « Je ». Entendons qu'elles s'expriment sans esquiver ou neutraliser l'enracinement de leur parole dans la vie. Donc au plus près de ce qu'exister comporte d'irréductible singularit&ea...
UNE CITÉ FRATERNELLE AU RENDEZ-VOUS DE DIEU
CHRISTUS N°263
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Anne-Marie PELLETIER
Là où sont les hommes, Dieu est présent. À celles et ceux qui seraient tentés de ne chercher Dieu que dans une « fuite du monde », loin du bruit des masses, cet article rappelle que l'aboutissement de l'Histoire du salut est signifié par une ville : la Jérusalem céleste.   Qui entend faire aujourd'hui le procès de la ville et, de là, celui de notre civilisation mondialisée drainant des flux d'humains vers des villes tentaculaires, trouvera pléthore d'arguments à invoquer. Qu'il s'agisse des fourmilières humaines de Lagos ou de Calcutta, du gigantisme des villes chinoises ou des cités des Émirats arabes unis qui métamorphosent les sables du désert en forêts de gratte-ciel vertigineux, partout dans le monde l'urbanisation est la loi d'airain qui reconfigure la vie des communautés humaines. Ainsi se multiplient des populations d'individus déracinés de leur sol, privés des relations généalogiques qui sont le tissu de la vie et coupés de surcroît des réalités essentielles du monde de la nature, où la chair trouve traditionnellement son ancrage, et la vie son tempo profond. Ce faisant, la culture contemporaine n'est-elle pas en train de nous entraîner irrémédiablement loin de notre vérité anthropologique, en nous...
FIGURES DE BETHLEEM
01 AVRIL 2020
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Anne-Marie PELLETIER
Traduction et préface d'Yves Roullière, Lessius, « Au singulier », 2016, 96 p., 8 €.L'Incarnation est qualifiée de « mystère » par la foi chrétienne. C'est dire que tout ce qui s'exprime à son sujet risque de se tenir en deçà de ce que nous mettons derrière le mot. Il ne suffit pas de confesser que « le Verbe s'est fait chair » pour que cette vérité se mette à exister avec sa teneur de réalité palpable, sensible, charnelle… Certes, la critique historique a creusé naguère l'évidence de l'humanité des Écritures. La foi, finalement, y aura été renouvelée dans la connaissance du scandale salvifique d'un Dieu qui vient visiter l'Homme sur sa terre même et dans le quotidien de ses affaires. Mais ce mystère d'humanité peut se rejoindre selon une autre approche : celle de la littérature, quand celle-ci vient habiter les scènes de l'Évangile, leur faire don d'un espace de résonance et d'un imaginaire cordial, qui libèrent ce que le récit inclut par allusion.Tel est le cas des pages de Gabriel Miró. L'auteur fut une des grandes voix de la littérature espagnole de la première moitié du XXe siècle. Il est rappelé dans l'introduction son aff...
UN TEMPS POUR LA COLÈRE?
CHRISTUS N°269
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Anne-Marie PELLETIER
À l'heure des scandales dévoilés Les scandales qui entachent la vie de l'Église peuvent susciter une légitime colère. Qu'elle soit entendue est une condition première pour que l'Église puisse sortir grandie de cette crise. Est-il besoin de rappeler que l'actualité de la vie de l'Église catholique multiplie jusqu'au vertige les raisons de se retrouver aujourd'hui dans l'indignation, la stupéfaction, une sidération scandalisée... les raisons d'être dans la colère, tout simplement ? Certes, l'histoire de l'Église aura abrité au long des siècles, en contrepoint d'une très réelle et édifiante sainteté, bien des formes de turpitudes déclinées selon toute l'inventivité du mal. Mais, de fait, la nature des crimes qui sont aujourd'hui dénoncés, dans une conjoncture plus attentive à la violence faite aux enfants, plus sensible à l'immémoriale violence masculine exercée contre les femmes, fait que le scandale éclate avec une violence inédite. Et, parce qu'en ce monde postchrétien, ceux et celles qui demeurent encore fidèles à l'Église ont acquis souvent une saine maturité, qui leur donne une juste assurance (parrhèsia) dans leur rapport à l'institution. Le discours de la dénonciation des crimes jusque-là étouffés s'enfle désormais plus aisément de révolte. Au vrai, les réactions sont multiples. Certains désertent, tantôt silencieusement, tantôt en déclarant publiquement leur rupture dans des démarches plus ou moins tapageuses. Le phénomène s'atteste statistiquement. D'autres, au sei...