Anne LE MAITRE

Écrivaine et aquarelliste à Dijon, enseigne l’aquarelle, a publié des carnets de voyage et des carnets d’itinérance urbaine, plusieurs essais et textes poétiques, collabore à la revue Études.
A publié Un si grand désir de silence (Cerf, 2022).
ÉPIPHANIE
CHRISTUS N°276
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Anne LE MAITRE
J'ai posé devant moi un morceau de papier blanc, rempli d'eau claire un pot, aligné trois pinceaux, ouvert la boîte de couleurs. Je suis assise au bord d'un chemin ou chez moi à la table. J'ai le crayon à portée de main. Tout est prêt. Je ne peins pas. Je regarde. Longtemps. Je ne suis plus que regard. Contemplation. Prendre le temps là où il manque, faire silence au cœur du bruit. Un espace s'ouvre dans le vacarme du monde et dans l'incessant bavardage de mes pensées. « Tout le malheur des hommes, écrit Pascal, vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre1. » À l'écart de la dispersion à laquelle nous convie – à laquelle nous convoque – notre société de l'abondance et du divertissement, la feuille blanche est la chambre dans laquelle, enfin, je me tiens en repos. Délivrée de moi-même. Moi qui suis dans le monde aussi bien que du monde, je sais que, à coups de tâches urgentes ou de récréations, je participe au grand tumulte au moins autant que j'en suis la proie. Mais j'ai de la chance : parfois vient le temps de la couleur et des pinceaux. Et dans le cadre accepté, éprouvé, de cette discipline – au double sens du mot – que je me suis choisie, dans l'immobilité enfin rejointe du corps et de l'esprit, je m'arrête. Je pense à cette autre chambre qu'appelait de ses vœux la grande romancière anglaise Virginia Woolf : Une chambre à soi2, la porte rabattue sur les fracas du monde et sur les exigences d'une vie tout entière vouée à la repr...